ROME, Vendredi 2 décembre 2005 (ZENIT.org) – « Quels obstacles y a-t-il au témoignage commun des chrétiens en Russie? » « L’obstacle le plus grave – si triste que ce soit de le constater – dans la majeure partie des cas, c’est nous! », répond le cardinal Renato Raffaele Martino, président du conseil pontifical Justice et Paix, qui s’explique dans les colonnes de l’hebdomadaire catholique russe « Svet Evangelia » (« Lumière de l’Evangile »), dans un entretien accordé à Victor Khroul, le 1er décembre, avant de quitter Moscou, où il a présenté le « Compendium » de l’enseignement social de l’Eglise. Nous publions ci-dessous la première partie de cet entretien.

Svet Evangelia - Eminence, vous voyagez dans le monde entier: est-ce que la voix de l’Eglise est entendue dans la société moderne? La prend-on au sérieux dans la vie sociale? Que pourrait-elle faire pour attirer l’attention de la société sécularisée sur les valeurs chrétiennes?

Card. Martino : A ce propos, je voudrais faire observer que l’enseignement de l’Eglise, y compris dans le domaine social, a d’autant plus de résonance qu’il s’incarne dans la vie des Eglises locales, des communautés paroissiales, des organisations caritatives… Il en a toujours été ainsi depuis le début de l’Eglise, et notre époque ne fait pas exception. La situation d’aujourd’hui est caractérisée, me semble-t-il, par un besoin croissant de témoignage chrétien par la vie, et pas seulement (ou pas tant) à travers des paroles ou des gestes retentissants. Il me semble qu’aujourd’hui plus que jamais, une attention à l’inculturation, un apport le plus personnel possible à l’œuvre de témoignage de la foi chrétienne, un apport effectif à réaliser en consonance avec l’Evangile, et le magistère de l’Eglise, avec le souci de le proposer et de le vivre dans un langage compréhensible et accueillant pour la culture dans laquelle nous vivons.

Svet Evangelia - On parle beaucoup du besoin urgent de témoignage commun de tous les chrétiens – catholiques, orthodoxes, protestants – à différents niveaux. Pourriez vous donner un exemple d’une activité de ce type?

Card. Martino : Par exemple, dans la plupart des pays européens il existe des commissions permanentes de coordination entre les différentes confessions, qui contribuent à réaliser un grand nombre de projets. Je voudrais souligner en particulier que, dans le Conseil mondial des Eglises, l’Eglise catholique collabore justement à la commission « Justice et Paix », alors que dans les autres, elle n’a qu’un rôle d’observateur. Comme exemple concret, je peux citer avec plaisir le conseil caritatif interconfessionnel qui existe à Saint-Pétersbourg depuis – m’a-t-on dit – plus de dix ans, et qui réunit des représentants des communautés orthodoxe, catholique et protestante de la ville. Du point de vue des perspectives d’une collaboration effective avec l’Eglise orthodoxe russe, j’ai été très content de la rencontre que j’ai eue ces derniers jours avec le métropolite Kyrill, président du Département pour les Relations extérieures du Patriarcat de Moscou. Nous avons discuté de différents problèmes concernant l’intégration européenne, la nécessité de redécouvrir les racines chrétiennes communes, les processus de sécularisation actuels, etc.: nous avons trouvé une profonde harmonie et programmé des initiatives concrètes à réaliser en commun.

Svet Evangelia - Nous avons une commission conjointe catholique et orthodoxe pour l’étude des cas « négatifs » de façon à résoudre les tensions dans nos relations en Russie. Est-ce raisonnable d’en envisager une autre – pour des questions « positives » – pour la coopération dans des domaines non conflictuels: activité sociale, éducation, charité, mass media?

Card. Martino : Il me semble que c’est une très bonne chose qu’une telle commission existe, qu’elle puisse discuter sereinement tous les cas problématiques qui surgissent et prendre à temps des mesures pour les surmonter. Je pense que dans la mesure où son activité évoluera avec succès, il ne faudra pas s’étonner si elle se transforme progressivement dans le type de structure de « coopération » à laquelle vous faites allusion dans votre question. Du reste, par amour de la justice, j’ai su, ici, à Moscou, que dans sa dernière session de travail, on a proposé de porter aussi des exemples de collaboration fructueuse de façon à soutenir de telles initiatives et de les proposer en modèle d’action là où une attitude de ce genre manque encore. Il me semble que beaucoup dépend aussi de nous. Je crois ne pas me tromper en disant qu’après une longue période d’incompréhensions (généralement c’est toujours une erreur d’accuser exclusivement une des parties), nous nous trouvons au début d’une phase de collaboration plus fructueuse dans les domaines que vous avez cités. Au fur à mesure que l’on avance, le chemin s’éclaircit. Actuellement, on voit plus clairement que l’on avance et qu’ensemble nous sommes en mesure d’obtenir des résultats meilleurs que séparément.

Svet Evangelia - Voyez-vous des obstacles au témoignage commun des chrétiens en Russie?

Card. Martino : Il me semble pouvoir dire que l’obstacle le plus grave – si triste que ce soit de le constater – dans la majeure partie des cas, c’est nous! Qui est tout tendu vers des idéaux de charité, d’amour fraternel, qui exerce les vertus de patience et d’humilité, sera tôt ou tard « compris par son propre frère ». C’est une vérité profonde pour ce qui concerne les relations entre les personnes, comme dans les relations entre les organismes plus vastes que sont, à différents niveaux, les communautés religieuses. N’oublions pas la promesse du Sauveur: « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Si, nous aussi, à l’exemple de saint Paul, « nous nous traitons avec douceur, en nous corrigeant avec respect » (Romains 12, 10), cette attitude ne peut pas ne pas, tôt ou tard, porter des fruits.

Svet Evangelia - Quelle forme de coopération entre Catholiques et Orthodoxes est possible en Russie? En avez-vous discuté, hier (le 30 novembre, ndlr), lors de votre rencontre avec le métropolite Kyrill?

Card. Martino : Il faut penser à des formes de travaux communs qui peuvent être non seulement acceptables mais aussi souhaitables pour les deux parties. Ici, on peut choisir de façon dynamique entre de nombreuses variantes, applicables à la situation russe, et qui, dans la majeure partie des cas, sont évaluées ici, sur place. Et puis il existe aussi un autre niveau du problème, le témoignage commun que nous pouvons rendre, par exemple dans el contexte européen. Même si ces niveaux sont reliés entre eux de façon assez étroite, il ne faut pas les confondre, si nous voulons atteindre des résultats réels et concrets, et ne pas nous limiter seulement à de pieuses déclarations. De toute façon, à tous les niveaux, la chose principale me semble être le fait que nous sommes réellement intéressés par le développement de nos relations, par plus de compréhension réciproque, qui, tôt ou tard, à la mesure de notre persévérance et de notre décision, se transformera en amitié et en charité, comme le Seigneur le veut de nous. Comme je le disais plus haut, c’est justement ce qui a fait l’objet de l’entretien avec le métropolite Kyrill, et j’espère vivement pouvoir bientôt commencer, avec mon dicastère, un travail de collaboration effective.

[Fin de la première partie]