ROME, lundi 27 juin 2005 (ZENIT.org) - Ils sont deux cents millions dans le monde, dont trente millions d’enfants obligés de travailler dans la clandestinité, alors que cinq à sept millions de mineurs asiatiques sont destinés à la prostitution. Ces chiffres sur l’esclavage dans le monde sont tirés d’une enquête de Giancarlo Giojelli présentée dans un ouvrage intitulé « Gli schiavi invisibili » (Les esclaves invisibles), publié aux éditions Piemme.

Dans cet entretien accordé à Zenit, Giancarlo Giojelli explique.

Zenit : Un peu plus de 57 ans se sont écoulés depuis la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et pourtant l’esclavage est encore un phénomène vaste et répandu. Combien d’esclaves y a-t-il encore dans le monde ? Quels sont les pays les plus touchés ?

Giancarlo Giojelli : Depuis un demi siècle la Déclaration sur les Droits de l’Homme marque la fin de l’esclavage. Deux siècles de déclarations internationales, l’abolition progressive des esclaves dans tous les pays du monde… il semblerait absurde de parler encore d’esclavage, et pourtant ce sont des chiffres des Nations unies ; en ce moment l’on répertorie 200 millions d’esclaves dans le monde. Au début du 19ème siècle ils étaient 15 millions. Un bilan consternant.

Ce sont des hommes contraints de travailler dans les mines chinoises, des femmes des Balkans, du Nigeria et du Sud-est asiatique obligées de se prostituer sur les routes et dans les maisons de prostitution de tous les pays occidentaux et industrialisés sans exception. Ce sont des enfants roumains et des nomades vendus par leurs familles aux marchands du sexe et au racket du vol et de la drogue qui agissent en Europe, et surtout en Italie, entre Rome, Milan et Turin. Des millions d’enfants qui, au Pakistan et en Inde septentrionale sont obligés de travailler dans des conditions inhumaines dans les usines de tapis. Tant d’enfants qui travaillent dans les usines clandestines de la mafia chinoise entre Sesto Fiorentino et Prato en Italie. Des enfants – près de 200.000 – kidnappés en Ouganda et au Soudan méridional. Tous les pays, et tous les continents ont leurs esclaves, du travail, du sexe, de la guerre. Ils sont parmi nous, mais nous faisons semblant de ne pas les voir. Ils sont invisibles…

Zenit : Dans votre livre, vous parlez d’esclavages anciens et nouveaux. Que voulez-vous dire ?

Giancarlo Giojelli : Malheureusement les modalités sont toujours les mêmes. L’illégalité ne sert souvent qu’à augmenter les prix. Les enfants et les femmes kidnappés dans les 200 guerres oubliées que connaît notre planète, de l’Océanie à l’Afrique et à l’Amérique du sud, sont utilisés comme marchandises pour la guerre et le sexe.

Les hommes, les femmes et les enfants qui fuient les horreurs d’une condition de vie inhumaine dans le sous-continent asiatique deviennent la proie des marchands d’êtres humains qui les font passer de manière clandestine dans les pays européens et souvent les revendent aux organisations criminelles, aux mafias italiennes et internationales qui les exploitent comme main-d’œuvre pour la criminalité, les travaux clandestins, la drogue, la prostitution. Ce sont les mafias siciliennes, la Ndrangheta en Calabre, la Sacrée Couronne dans les Pouilles, alliées de la mafia russe et ukrainienne, des « cosche » albanaises, des clans nigérians et nord africains. Les « triades » chinoises oeuvrent seules, mais l’on peut dire qu’il existe au moins 80 groupes organisés. En Italie, l’article 601 qui interdit l’esclavage est encore en vigueur. Il y a eu près de 700 arrestations dans le pays et il y aurait 30.000 esclaves… Et ce n’est que la pointe de l’iceberg.

Zenit : Des femmes, des enfants, garçons et filles, sont les plus touchés. Quelles sont les dimensions de ce marché de la chair humaine et pourquoi ?

Giancarlo Giojelli : J’ai déjà évoqué les chiffres. Deux cents millions d’esclaves ; 30.000 en Italie, surtout des femmes obligées de se prostituer. Selon le Bureau international du travail, près de 30 millions d’enfants seraient obligés de travailler de manière clandestine dans le monde. Les enfants soldats sont près de 200.000. Il y aurait entre cinq et six millions de mineures asiatiques dans les maisons de prostitution du monde entier. Le trafic d’êtres humains est à présent, après la drogue et les armes, la troisième source de financement de la criminalité organisée au niveau mondial avec des « complicités » qui impliquent des agences gouvernementales, des policiers corrompus, des institutions chargées d’effectuer des contrôles et qui deviennent le moteur de nouvelles formes de recrutement.

Zenit : Est-il vrai qu’au Soudan, être chrétien signifie devenir esclave ?

Giancarlo Giojelli : Le Soudan, où le nord, arabe et islamique intégriste mène une guerre sans merci contre le sud, africain, chrétien et animiste, a été et est depuis longtemps un centre de recrutement d’esclaves. Les deux millions de morts au cours de cette guerre oubliée, ne sont qu’un aspect de cette tragédie.

Les villages du sud où font irruption les miliciens arabes, appuyés par l’armée régulière, sont détruits, les hommes massacrés tandis que les femmes et les enfants sont emmenés comme esclaves. Certaines personnes comme l’évêque de Rumbek, Mgr Mazzolari, missionnaire combonien et des associations comme « Solidarité Chrétienne » ont délivré des milliers d’esclaves, en les rachetant à des marchands arabes, comme cela se faisait au siècle dernier avec saint Daniel Comboni ou l’Ordre espagnol des Trinitaires. Très peu de choses ont changé.

Zenit : Quelles sont à votre avis les solutions pour mettre fin à ce marché terrible ?

Giancarlo Giojelli : Les grandes déclarations au niveau international n’ont guère servi. Mais on peut faire trois choses. La première est de s’informer, de parler de ce qui se passe. La deuxième, très simple, est l’adoption à distance : trente euros par mois permettent à un enfant du tiers monde de grandir et d’étudier. On sauve une vie et on permet la création dans chaque village d’un groupe de personnes en mesure de dénoncer ce qui se passe, d’aider leur concitoyens, d’être des personnes libres ou capables de se battre pour la liberté. La troisième, aider les organisations qui, même en Italie, oeuvrent pour libérer de l’esclavage des milliers de femmes et d’enfants. Le livre propose une série de sites internet ou il est possible de trouver des informations et contacter les ONG de confiance qui ont montré savoir œuvrer avec efficacité.