CITE DU VATICAN, Jeudi 7 avril 2005 (ZENIT.org) – Dans son Testament spirituel le pape Jean-Paul II cite avec insistance le « Primat de Pologne », le cardinal Stefan Wyszynski. C’est pourquoi nous publions ce dossier sur cette personnalité hors du commun qui aide à comprendre les allusions de Jean-Paul II.
Vingt ans après, « l’année Wyszynski »
Entretien avec Mme Iwona Czarcinska
Vice-présidente de l’Institut de Notre-Dame de Jasna Gora
Le Parlement polonais a adopté par acclamation, le 25 octobre 2000, l’organisation d’une année « Cardinal Stefan Wyszynski », ancien archevêque de Varsovie et primat de Pologne (1948-1981). L’institut séculier de Notre-Dame de Jasna Gora, fondé par lui, est à l’origine du projet, à l’occasion du XXe anniversaire de la mort du cardinal (28 mai 1981). Madame Iwona Czarcinska, vice-présidente actuelle de cet institut, et qui a été l’une des proches collaboratrices du cardinal Wyszynski, explique ce que représentent ces célébrations.
Madame Czarcinska, comment le Parlement polonais est-il arrivé à l’adoption de cette « année Wyszynski »?
-Le projet lancé par notre institut avait reçu l’approbation du cardinal Jozef Glemp, primat actuel. C’était le feu vert pour une démarche auprès du Parlement. Après débat, la proposition présentée par Mme Grazyna Soltyk, députée, a été adoptée par acclamation, toutes tendances politiques confondues.
Pourquoi? Comment le cardinal Wyszynski est-il perçu aujourd’hui?
-Le cardinal Wyszynsky est considéré comme la plus grande autorité de notre temps, grâce à son attitude face au régime communiste. Les « laïcs » comprennent parfois mieux l’importance de ce projet que l’Eglise. Dans les milieux d’Eglise, on est bien sûr d’accord pour fêter cet anniversaire, on le trouve normal, intéressant. Mais dans les milieux « laïcs », l’intérêt est encore plus vif, de la part d’associations, de groupes: ils veulent lire ses livres, organiser des rencontres. L’ouverture est impressionnante. C’est difficile à comprendre pour moi aussi.
Comment le « primat » est-il encore présent dans les mémoires?
-Certainement comme d’un pasteur soucieux des affaires de l’Eglise, mais en vue de l’intérêt de toute la Pologne. Il aimait à répéter: « J’aime plus la Pologne que mon cœur, tout ce que je fais pour l’Eglise, je le fais aussi pour mon pays ». Ainsi, lors des accords de Gdansk entre les ouvriers du chantier naval et le gouvernement, il disait qu’il aurait voulu « faire davantage » pour éviter l’escalade de la violence. Il se sentait « responsable » de ne pas y être arrivé. Il aurait voulu faire rempart de son propre corps pour éviter ces dizaines de morts. Il a été l’initiateur de la « grande neuvaine d’années » et il est considéré comme « le primat du millénaire », pour avoir organisé les célébrations du millénaire du baptême de la Pologne (966-1966).
Il est resté aussi fameux pour la lettre aux évêques allemands de 1965, par laquelle il accordait le pardon à l’Eglise d’Allemagne…
-Et à cause de cette lettre, il a beaucoup souffert de la part du gouvernement communiste. Mais nous pensons que cette lettre peut être le fondement d’une nouvelle Europe, sans frontières. Ce pardon pourrait sembler un geste spectaculaire, mais, quand on lit les sermons du cardinal Wyszynski, on constate qu’il a adopté cette attitude de réconciliation envers tous. Pendant les célébrations du millénaire du baptême de la Pologne, il a souffert de la part du Premier secrétaire du Parti communiste Wladyslaw Gomulka. Mais dans ses sermons, il n’a pas cessé d’appeler au pardon.
Vous vous souvenez des formes que prenait cette hostilité de Gomulka?
-Pendant les célébrations du millénaire, il rendait d’autres célébrations patriotiques obligatoires, en particulier pour les élèves des écoles, contraints d’assister à la fête. Il faisait installer des hauts-parleurs de façon à perturber la messe du primat. Lorsque les célébrations du millénaire étaient prévues à Poznan, à Gniezno ou ailleurs, le gouvernement annulait les trains en direction de la ville où elle devaient avoir lieu, pour empêcher les gens d’y participer, ou bien on vérifiait systématiquement qui achetait un billet.
Le pape Paul VI en personne aurait dû participer aux célébrations…
-Oui, mais il n’a pas été permis à l’Eglise de le faire venir. Et pourtant, juste après la mort de Gumulka, quand une personne qui rendait visite à Wyszynski a commencé à critiquer le défunt, le primat l’a tout de suite arrêté: « On ne gifle pas une tête coupée » a-t-il dit pour couper court. Il n’avait pas hésité non plus à avoir de longs colloques avec Gomulka, pendant une, deux ou trois heures. Il a adopté une attitude semblable lors de la démission de Gierek. Tout le monde se détournait de lui. Le primat, lui, est allé lui rendre visite. Un geste humain!
Le régime a aussi tenté d’opposer les deux cardinaux Wyszynski et Wojtyla.
-En particulier dans sa propagande, mais sans jamais y réussir! Ils étaient liés d’une affection très forte. Comme un père et un fils. Ils partageaient la même dévotion à la Vierge Marie. A propos de l’attentat du 13 mai 1981, le pape a repris ce proverbe polonais: « l’homme tire, Dieu dirige la balle », lorsqu’il a dit qu’une main avait tiré et que la Vierge Marie avait dirigé le projectile. A la nouvelle de l’attentat, le cardinal Wyszynski a offert sa vie à Dieu pour le pape: il est mort quelques jours plus tard…
Comment avez-vous vécu ces heures dramatiques?
-Notre mouvement se relayait dans la prière, jour et nuit, à Jasna Gora. Dix jours avant sa mort, le 18 mai, le cardinal avait souffert d’une première crise. Le médecin était venu, avait procédé à de longs examens. Tout à coup le cardinal regarde sa montre et dit: « A cause de moi, vous n’avez pas pu prendre votre déjeuner! » Le 25 mai, il a pu parler au téléphone une dernière fois avec le saint-père. On l’a entendu dire: « Saint-père, bénissez-moi ». Il est mort en silence, à 4 heures du matin, le 28 mai, jeudi de l’Ascension. Son cercueil a été transporté à deux pas du palais présidentiel, à l’église du séminaire, parce que c’est là qu’il avait été intronisé en 1948: la cathédrale avait été détruite pendant la guerre.
Quelle a été la réaction des fidèles?
-Il pleuvait beaucoup: les gens disaient que le ciel aussi pleurait! Jusqu’au dimanche, des foules sont venues se recueillir, jour et nuit, auprès de sa dépouille. Ses funérailles ont eu lieu en plein air, au centre de Varsovie, place de la Victoire, là où le pape avait célébré la messe en 1979. Volontairement, on a décoré l’autel comme le jour de la messe du pape. Une foule immense a participé à la célébration.
Vous qui avez été une proche collaboratrice, comment le décririez-vous aujourd’hui?
-La première fois que j’ai vu le cardinal Wyszynski, c’était lors d’une célébration du Jeudi saint. Il était distingué, sérieux, tout en faisant les gestes du lavement des pieds, qu’il embrassait ensuite. Pour moi ce fut vraiment un choc. Mais je me suis demandé si ces gestes étaient seulement dictés par la liturgie où si c’était aussi l’expression de la vérité de sa vie. Deux ans plus tard, lorsque j’ai eu travaillé avec lui, j’ai compris que c’était la vérité de sa vie.
Comment était-il au quotidien?
-Ce qui frappait d’abord, c’était son respect pour les autres, pour la dignité de l’homme. Il le souligne dans son enseignement. Mais c’était visible dans sa vie quotidienne. De loin, il pouvait sembler fier, mais il se montrait très aimable, très délicat, attentif aux problèmes des autres. Il était humble et vivait modestement: il n’a jamais accepté que l’on change les meubles de sa chamb
re. Lorsqu’il a été arrêté, il a pris seulement son bréviaire et son rosaire. Venu pauvre, il partait pauvre. Il était aussi très sensible à la rencontre avec les enfants. Il savait parler avec eux et ne s’énervait jamais lorsqu’ils étaient remuants.
Quelle a été l’intuition fondamentale à l’origine de votre Institut séculier?
-En 1942, le cardinal a eu l’idée de former à Varsovie une « cité pour les filles », un peu comme Don Bosco avait fait une « cité pour les garçons ». Il voulait donner aux jeunes filles de Pologne la Vierge de Jasna Gora comme modèle de femme, de façon à les éduquer aux valeurs chrétiennes. Il cherchait, pour s’occuper de ce groupe, quelqu’un qui ait des connaissances aussi en sciences sociales et il a rencontré Maria Okonska, le 1er juillet 1942, à Larski, près de Varsovie. Il se cachait de la Gestapo qui le recherchait! Et ce fut le début de l’Institut.
Après la guerre, avec la présence soviétique, comment l’institut a-t-il pu se développer?
-Maria Okonska a travaillé avec le primat pour mettre au point une catéchèse destinée aux élèves des écoles catholiques. Des laïques ont alors laissé leur métier pour se consacrer à la catéchèse jusqu’à ce que cela soit interdit. Nous étions médecins, infirmières, professeurs. Puis le primat a été arrêté et emprisonné. Nous avons prié à Jasna Gora et il a été libéré, en 1957. Il a alors créé une nouvelle organisation « L’institut du Primat ».
Malgré le régime?
-C’était, politiquement parlant, l’époque de la « détente », et du point de vue de l’Eglise la préparation du pèlerinage de la l’icône de la Vierge de Jasna Gora dans toute la Pologne (aujourd’hui encore, elle poursuit son pèlerinage dans tous le pays!). Alors, de façon plus officielle, nous nous sommes regroupées dans « L’Institut du primat » qui fut l’instrument de l’organisation des célébrations, de la catéchèse, de l’édition des livrets et des tracts nécessaires. On enregistrait tous les sermons du primat, et on les dactylographiait en plusieurs exemplaires. Les copies étaient distribuées. C’était risqué. Il arrivait que tel ou tel prêtre se fasse arrêter avec une valise pleine et les miliciens confisquaient tout. Ou bien, comme on enregistrait tout, on se faisait prendre pour des membres de la police secrète. Car elle aussi enregistrait tout!
Vous avez pu conserver ces documents?
-Vous avons ici, dans cette maison, à deux pas de la cathédrale, 12.000 sermons du primat, enregistrés sur bande et nous voulons conserver ces enregistrements historiques. Nos éditions ont également publié plusieurs volumes des œuvres complètes et des photos.
Qui peut avoir accès à cette documentation?
-Nous avons ouvert une petite salle de lecture. Les livres et les documents sont consultés par des étudiants ou des élèves. Plus de 200 mémoires ont été publiés sur le cardinal Wyszynski, et un doctorat en Sorbonne. Nous accueillons tous ceux qui ont besoin d’aide dans leurs recherches. Nous avons beaucoup de contacts avec les jeunes: plus de 40 écoles publiques portent en Pologne le nom de Wyszynski, et cinq nouvelles l’ont pris en l’an 2000: nous recevons des demandes presque chaque semaine.
Ces écoles participeront-elles à l’année Wyszynski?
-Pour les célébrations, nous avons organisé une rencontre des directeurs d’écoles et elles vont se regrouper en une association. En septembre, elles se rencontreront à Varsovie. Un concours est organisé dans les instituts secondaires du pays pour favoriser la connaissance de la personnalité du primat. L’esprit du concours étant que la plus grande victoire c’est un vrai changement de vie, découlant de la découverte de qui il était. Un garçon de 18 ans ne réussissait pas à pardonner à ses camarades de classe. C’est en lisant les mémoires de prison du cardinal qu’il a réussi à pardonner. De nombreux témoignages nous parviennent. D’autres manifestations sont organisées, au Parlement (le 10 mai), au sénat, où sera présentée une exposition itinérante dont une copie ira aussi en Lituanie, en Russie, en Ukraine. Le 27 août, nous serons reçus en audience par le pape Jean-Paul II à Castelgandolfo: l’exposition sera là pour l’occasion.
Quels autres projets avez-vous en tant qu’Institut?
-Un centre de spiritualité en mémoire du cardinal Wyszynski est en cours de construction à Cestochowa, auprès de la Vierge de Jasna Gora. Nous avons l’intention de transférer là les archives, et d’y organiser des rencontres et des retraites, non seulement pour les instituts de vie consacrée, mais aussi pour le Mouvement de la « Famille des familles », fondé par le primat et le mouvement spirituel des « Assistants de la Mère de l’Eglise », caractérisé par une consécration à la Vierge Marie, et pour quiconque voudra approfondir sa spiritualité.
Quels sont selon vous les points forts de la pensée et de la spiritualité du cardinal Wyszynski dont peut bénéficier ce nouveau millénaire?
-On peut dire qu’il avait trois amours: Dieu – et la Mère de Dieu -, sa patrie – la Pologne -, et l’homme. Si l’homme est vraiment enraciné en Dieu, disait-il, il doit aimer l’homme. Et il considérait la patrie comme la « famille des familles » qui constituent la société. Le message qu’il transmet à ce nouveau millénaire, c’est essentiellement la grandeur de la dignité de l’homme.
Son procès de béatification est actuellement en cours à Rome…
-Il s’est achevé au niveau diocésain le 6 février dernier par une session de la conférence des évêques et par une messe à la cathédrale où le primat repose. Les documents concernant sa cause ont été communiqués en avril à la congrégation romaine pour les Causes des saints.
Propos recueillis par Anita Bourdin
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