La connaissance des origines pour comprendre
« Toute analyse des rapports entre le fait religieux et la société comme toute réflexion sur le concept de la laïcité relève, à cause de la multiplicité de ses implications, d’une pluralité d’approches, juridique, sociologique et politique, mais aussi philosophique, théologique et historique, cette dernière n’étant pas la moins éclairante. Seule en effet la connaissance des origines et des antécédents permet de comprendre la pérennité de certaines attitudes d’esprit, la persistance de tels jugements, voire l’archaïsme de certaines positions. La démarche historienne présente aussi l’avantage de dévoiler l’ampleur des changements qui ont affecté tant l’idée de la laïcité que sa pratique et elle en propose des explications.
Changements d’appréciation
« Sans ce regard sur la longue durée comment comprendrait-on par exemple que l’Église de France puisse aujourd’hui dire qu’elle s’accommode d’une loi, celle de séparation des Églises et de l’État, dans laquelle elle voyait lors de son adoption une initiative visant à sa destruction et qui a fait alors l’objet de deux encycliques pontificales qui en condamnaient absolument et l’inspiration et les dispositions ? Autre exemple de ces changements d’appréciation : la permutation des positions entre catholiques et protestants. Si les premiers ne demandent plus l’abrogation de ladite loi, les Réformés, qui avaient alors applaudi à une initiative qui achevait de les émanciper de l’hégémonie de l’Église dominante, se plaignent aujourd’hui de certaines limitations qu’elle impose à leurs activités et souhaitent qu’y soient apportées des modifications.
En un siècle tout ou presque a changé
« C’est qu’en un siècle tout ou presque a changé ; la composition du paysage religieux, le système de concepts et de valeurs dans lequel s’enracine l’idée de laïcité, la pratique administrative, sans parler de l’évolution des esprits y compris chez les catholiques. De ces changements, le jugement sur la laïcité doit tenir compte. En conséquence, si l’on conçoit bien que pour éviter de rouvrir des controverses heureusement apaisées on puisse souhaiter ne pas remettre en question le texte de 1905, on ne doit pas pour autant en faire une lecture fondamentaliste et s’attacher religieusement à son interprétation première : on doit témoigner du même attachement à l’ensemble des dispositions qui en un siècle sont venues progressivement orienter l’application, parfois infléchir l’orientation et proposer des solutions inédites aux questions nouvelles.
La loi de Séparation, aujourd’hui texte de conciliation
« C’est cette évolution qui explique que la loi de Séparation puisse aujourd’hui être tenue pour un texte de conciliation et interprétée comme ayant contribué à la concorde. Ce n’était pas tout à fait la lecture qu’en ont faite sur le moment les contemporains, d’un côté comme de l’autre. Par quel processus singulier a-t-on pu passer d’une interprétation à l’autre ? C’est toute l’histoire de l’évolution de la laïcité comme idée et comme pratique et que, en 1905, les catholiques ne pouvaient évidemment pressentir. Sur le moment ils trouvaient dans le texte comme dans le contexte plus d’une raison d’y voir le point d’orgue du conflit qui opposait la République à l’Église. Au reste dans la majorité qui vota la séparation, plus d’un, convaincu que l’Église ne maintenait son influence sur la société que grâce au soutien de la puissance publique, escomptait de la rupture définitive des liens qui les unissaient son dépérissement et à terme sa disparition.
Contexte
« Interprétant le texte à la lumière du contexte, les contemporains y voient naturellement le dernier maillon de la longue chaîne de textes qui traduisaient dans la législation la volonté persévérante de soustraire à la tutelle de l’Église l’État et l’enseignement, la société civile et ses institutions, les comportements collectifs et les conduites individuelles. Cette dernière initiative paraissait bien donner le coup de grâce à tout espoir de fonder des relations apaisées entre le catholicisme et la société moderne.
Une agression de plus?
« Les catholiques trouvent aussi dans les circonstances des raisons de voir dans ce texte une agression de plus. La loi met unilatéralement fin à un régime qui avait naguère été instauré par une négociation bilatérale entre la République française et le Saint-Siège. La nouvelle loi n’a pas fait l’objet de pourparlers avec le Vatican, la France ayant même rompu les relations diplomatiques. Comment les catholiques n’y auraient-ils pas vu une résurgence du gallicanisme ? Circonstance aggravante aux yeux d’un peuple de fidèles pour qui la foi chrétienne et l’attachement à l’Église s’identifient depuis près d’un siècle à une obéissance inconditionnelle au Souverain Pontife.
La référence à une autre rupture
« On déchiffre toujours le présent à la lumière du passé. Cette nouvelle rupture est lue en France comme à Rome par référence à une autre rupture : la malheureuse expérience de la Constitution civile du clergé de 1790 qui a provoqué la fracture de la conscience nationale et dissocié le catholicisme de la société moderne. Ce précédent a projeté son ombre sur les débats de 1905. Rome a craint un nouveau schisme. La formule des associations cultuelles telle qu’elle était définie par le texte de loi rappelait par trop le précédent de l’Église constitutionnelle.
La procédure des inventaires
« Ajoutons que la procédure des inventaires, qui se justifiait par la nécessité de procéder à une évaluation des biens avant leur transfert des fabriques d’hier aux cultuelles de demain, décrétée sans consultation, exécutée avec brutalité, a frappé les imaginations et associé au principe de la séparation une connotation de violence de l’appareil d’État. De surcroît Pie X ayant fait défense de se prêter à l’application d’une loi réputée mauvaise et injuste, et la transmission des biens n’ayant pu de ce fait s’opérer conformément à la loi, la séparation s’est trouvée associée à une spoliation qui n’était pas dans l’esprit des législateurs mais dans laquelle les fidèles virent une conséquence logique. Dans ces conditions il n’y a pas lieu de s’étonner que les autorités religieuses et les fidèles aient porté sur la loi et sur le régime de séparation, ainsi que sur l’idée de laïcité à laquelle ils attribuaient avec raison l’inspiration, un jugement entièrement négatif ».
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