UNESCO: Mme Bokova explique les enjeux de sa visite au Vatican

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Le pape invité à l’UNESCO et un colloque le 3 juin à Paris

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Mme Irina Bokova a élue directrice générale de l’UNESCO lors de la 35ᵉ session de la Conférence générale de l’UNESCO qui a pris fin le 23 octobre 2009. Elle s’est rendu en visite au Vatican le 2 mars dernier. Elle confie à Zenit sa rencontre avec le pape François et elle annonce un important colloque, organisé par la Mission permanente d’Observation du Saint-Siège auprès de l’UNESCO et la Congrégation pontificale de l’éducation catholique,le 3 juin prochain à l’UNESCO, à Paris, autour du thème « Eduquer : aujourd’hui et demain ».

Zenit –  Mme Bokova, vous avez été reçue en audience par le Pape François le 2 mars au Vatican : que lui avez-vous dit ? Qu’est-ce que le pape François vous a dit ?

Mme Irina Bokova – L’audience pontificale avec le Saint Père a porté sur des sujets d’intérêt commun au Saint-Siège et à l’UNESCO, et ce en une année toute particulière puisque 2015 correspond au 70e anniversaire de l’Organisation, et que nous ne sommes qu’à quelques mois de l’adoption, par les Nations Unies, de l’agenda global pour le développement durable après-2015.

Les enjeux et défis à relever sont ainsi immenses et le propos s’est concentré sur l’impératif de préserver le « vivre ensemble » aujourd’hui alors même que nos sociétés font face à des défis croissants, touchant à la fragmentation du tissu social, à l’intolérance, voire au rejet de « l’autre » et au fondamentalisme violent.

Sa Sainteté a rappelé le rôle essentiel des Nations Unies comme plate-forme pour la coopération internationale, en exhortant à mettre l’accent sur les « oubliés du développement » et les marginalisés. L’UNESCO œuvre précisément dans ce domaine, en ciblant les « sans voix » et en contribuant à la promotion de l’autonomisation des groupes les plus vulnérables, et à bâtir des sociétés plus inclusives, notamment par le soutien à la pleine participation des jeunes et à l’autonomisation des femmes et des filles. Notre conversation a porté sur deux piliers essentiels, tant pour le Vatican, que pour notre Organisation : l’éducation et la culture.

La première est la matrice de la dignité humaine et un rempart manifeste contre l’exclusion et la pauvreté. L’accès à une éducation de qualité est au cœur même de notre mandat et le droit à l’éducation pour tous est promu avec force par l’UNESCO à travers nombre d’initiatives.

La deuxième car elle est un élément décisif du développement, une source de croissance, d’emplois, et d’inclusion. La culture, que l’on voit menacée dans de nombreux pays en conflits, constitue le terreau de l’identité et est devenue un enjeu pour la sécurité et pour la paix. Les destructions du patrimoine en Syrie et en Iraq sont des atteintes à l’humanité toute entière, dans son histoire, dans sa diversité et une perte irremplaçable pour les générations futures.

Le Saint-Siège et l’UNESCO sont unis autour du même dessein, celui de promouvoir à l’échelle mondiale le respect pour la dignité humaine et la justice sociale. En un mot, notre œuvre commune relève du soutien constant au dialogue interculturel et interreligieux, et au rapprochement entre les cultures.

J’ai souhaité au cours de cette audience également réitérer mon invitation à se rendre prochainement au Siège de l’UNESCO à Paris pour y porter, devant l’ensemble de nos Etats membres, son message de plaidoyer en faveur de la « grande fraternité humaine », pour reprendre Ses propres termes.

Vous lui avez remis un arbre symbolique: quel est le sens de cette démarche?

L’œuvre offerte au Pape François est l’Arbre de la paix, réalisée par l’Artiste pour la paix de l’UNESCO, Hedva Ser, une sculptrice de renommée mondiale, que je tiens à remercier à nouveau.

La symbolique de l’arbre est éminemment forte et évocatrice : ses racines représentent l’assise dans le passé et l’ancrage dans une mémoire collective partagée. Ses branches sont, pour leur part, autant de ramifications vivantes évoquant des sociétés allant à la rencontre les unes des autres et qui symbolisent à la fois la diversité et le rapprochement. L’arbre est majestueux, mais il n’est pas rigide. Il évolue, il se renouvelle et se régénère, tout comme le font les sociétés dans leurs interactions diverses. Il est tourné vers le ciel et l’horizon des possibles.

Dans l’interprétation de l’artiste elle-même, l’Arbre de la paix est porté par plusieurs éléments : le Chaï, qui, dans la Bible, signifie la vie. Le second élément est le Shin, qui est, en hébreu, la première lettre du mot shalom, et, en arabe, la première lettre du mot salam. Le troisième élément de la sculpture de l’Arbre est la colombe, messagère d’espoir et de liberté. La paix est sans la moindre hésitation le cœur même de la mission pontificale, comme elle l’est de l’UNESCO, dont je voudrais reprendre les mots si célèbres de son Acte constitutif, quand il y est dit que « L’Organisation se propose de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples. »

Comment voyez-vous l’action du Saint-Siège en faveur de l’éducation, de la science, de la culture dans le monde tourmenté d’aujourd’hui ?

L’action menée par le Saint-Siège est absolument incontournable et cela d’autant plus que la complexité et les bouleversements induits par des menaces variées pesant sur toutes les sociétés, ainsi que des crises à répétition, de nature éthique, économique, environnementale, sociale ou politique, mais aussi spirituelle, nous conduisent à recentrer, je dirais, notre regard vers l’humain.

En d’autres termes, ce que j’ai dénommé, et porté depuis mon élection à la tête de l’UNESCO en 2009, je veux parler du « nouvel humanisme », doit être une donnée systématique de nos actions de sensibilisation à la promotion de la paix, au respect des droits et libertés fondamentaux. L’humanisme est le fondement même de la dignité, il est un rappel à la conscience morale universelle.

Cet humanisme s’incarne dans le mandat de l’UNESCO par son action pour l’accès à une éducation de qualité et à l’alphabétisation, aux sciences et technologies, au foisonnement de la diversité culturelle comme facteur d’épanouissement et de renouvellement des sociétés, et à la communication et à l’information.

Au moment où les nouvelles internationales font état de violences inouïes non seulement contre le patrimoine culturel mais spécialement contre les chrétiens, d’où faut-il repartir ? De l’éducation ?

L’éducation constitue la base du développement et du vivre ensemble. Elle est au cœur de l’action de l’UNESCO. C’est là sa priorité principale. Il ne peut y avoir d’avenir, de respect de l’Autre sans investissement dans l’éducation et dans la connaissance. Toutes les persécutions sont à condamner. Nous assistons en ce moment même, en Iraq et dans d’autres endroits du monde, à un véritable nettoyage culturel qui est intolérable. Il nous faut combattre, avec les armes de l’esprit, les forces de l’obscurantisme, du fanatisme, ainsi que toute manifestation d’ostracisme ou d’intolérance religieuse.

Au lendemain des épisodes douloureux que la France a pu connaître au début janvier, notre Organisation a organisé une journée de réflexion et mobilisation, dont l’un des temps étant précisément
consacré à la question du dialogue interculturel dans des sociétés fragmentées. Il s’agit là d’une question fondamentale et, oui, j’insiste très fortement là-dessus, l’éducation joue un rôle décisif dans ce cadre. J’entends l’éducation dès le plus jeune âge afin que les jeunes gens deviennent des citoyens du monde responsables. J’entends l’éducation comme facteur d’approfondissement du respect et de la compréhension mutuels dans des sociétés connaissant de plus en plus la diversité, et qui se transforment rapidement. J’entends aussi l’éducation en tant qu’enseignement de l’histoire, afin que les conceptions erronées des différentes religions puissent être levées et corrigées. Nous ne le savons hélas que trop : le fanatisme et l’extrémisme se nourrissent d’une interprétation volontairement dévoyée de la « religion ».

C’est à nous toutes et tous qu’il revient d’œuvrer  pour le vivre ensemble harmonieux. C’est aussi pour cela que l’UNESCO est la seule organisation du système des Nations Unies à avoir mis en place un programme pour l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste et pour la prévention des génocides. Ce programme s’adresse tant aux éducateurs qu’à nourrir les curricula.

Comme je l’ai déclaré en de très nombreuses occasions, les atteintes au patrimoine culturel et religieux sont des violations du droit international et sont désormais considérés – grâce au plaidoyer de l’UNESCO – comme étant des « crimes contre l’humanité. En voulant supprimer la mémoire collective de l’humanité, constituent des attaques délibérées contre le genre humain dans son ensemble. Elles relèvent, sur le plan strictement juridique, de possibles crimes de guerre.

Durant l’Occupation nazie de la Pologne le jeune acteur Karol Wojtyla a choisi non pas la lutte armée mais la résistance culturelle, notamment par le théâtre : ce peut être un exemple pour les tragédies du XXIe siècle aussi ?

Je crois profondément en la force de l’esprit humain et, singulièrement, en la capacité de l’éducation et de la culture, de véritables leviers de résilience des peuples face à l’adversité, aux conflits, aux catastrophes naturelles, et des facteurs de développement et de paix. La culture est une vitrine de nos émotions, de nos inspirations et nous insuffle ce je ne sais quoi qui nous conduit à nous dépasser nous-mêmes. Nombreux sont en effet les drames du 21esiècle auxquels il a fallu faire face avec pugnacité.

J’évoquerai ici Haïti, si profondément endeuillé dans sa chair en janvier 2010, exposé à des failles tant naturelles que socio-politiques et économiques – dont a si bien parlé l’écrivain Yannick Lahens – et qui, justement, dans et par la culture se tient debout. Dans sa dignité. Dans sa fierté. C’est là une forme aussi de combat, celui de l’esprit, du verbe, de la plume, du pinceau, et qui refuse de céder devant les persécutions, l’occupation, ou les catastrophe naturelle. De plus en plus, le rôle de la culture est reconnu comme un vecteur de développement, comme une force pour la  paix, la sécurité et la stabilité mais aussi un levier de croissance, d’inclusion et de justice sociale. Je suis personnellement convaincue de très longue date de cette fonction intrinsèque à la culture et il nous faut, ensemble, approfondir encore le plaidoyer universel en la matière.

Quel sera le prochain projet de coopération entre l’UNESCO et le Saint-Siège ?

Je mentionnerais, à cet égard, le très important colloque, organisé par la Mission permanente d’Observation du Saint-Siège auprès de l’UNESCO et la Congrégation pontificale de l’éducation catholique, en présence notamment de Son Eminence le Cardinal Parolin et de Son Eminence le Cardinal Grocholewsky, autour du thème « Eduquer : aujourd’hui et demain ». Cette manifestation se tiendra le 3 juin 2015 à la Maison de l’UNESCO à Paris et je suis intimement convaincue de l’impact que ne manquera pas de rencontrer ce symposium, et qui est la preuve manifeste de la vitalité et de l’actualité de la coopération entre  l’UNESCO et le Saint-Siège.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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