P. Cantalamessa : Deuxième prédication de l’Avent

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ROME, Vendredi 22 décembre 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la prédication que le père Raniero Cantalamessa, OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale, a prononcée ce vendredi matin, au Vatican, en présence du pape Benoît XVI et de la curie romaine.

* * *
P. Raniero Cantalamessa
Deuxième prédication de l’Avent

« Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu »

1. Le message pour la journée mondiale de la paix

Les béatitudes ne suivent pas un ordre logique particulier. A l’exception de la première qui donne le ton à toutes les autres, on peut les analyser séparément, sans en compromettre le sens. Le message du pape pour la journée mondiale de la paix m’a conduit à remettre à une autre occasion la réflexion sur la troisième béatitude, celle des doux, et à me consacrer à celle des artisans de paix. Il est important en effet que le message de la paix destiné au monde entier soit accueilli, médité et qu’il porte avant tout des fruits ici, parmi nous, au cœur de l’Eglise.

Le message de cette année est un message pour la paix à grande échelle ; il va du domaine personnel aux domaines plus vastes de la politique, de l’économie, de l’écologie, des organismes internationaux. Des milieux divers mais unis de par l’attention qu’ils portent à un thème fondamental : la personne humaine, comme le dit le titre du message « La personne humaine, cœur de la paix ».

L’affirmation fondamentale contenue dans ce message offre une clef de lecture pour tout l’ensemble; il y est dit : « La paix est aussi à la fois un don et une tâche. S’il est vrai que la paix entre les individus et entre les peuples — capacité de vivre les uns à côté des autres en tissant des relations de justice et de solidarité — représente un engagement qui ne connaît pas de répit, il est aussi vrai, et même encore plus vrai, que la paix est un don de Dieu. La paix est en effet une caractéristique de l’agir divin, qui se manifeste à la fois dans la création d’un univers ordonné et harmonieux, et dans la rédemption de l’humanité, qui a besoin d’être rachetée du désordre du péché. Création et rédemption offrent donc la clé de lecture qui introduit à la compréhension du sens de notre existence sur la terre » (1).

Ces paroles nous aident à comprendre la béatitude « Heureux les artisans de paix » qui jette, à son tour, une lumière particulière sur ces paroles. L’imminence de Noël donne un ton spécial, liturgique, à notre méditation. La nuit de Noël, nous entendrons les paroles de l’hymne angélique: « Paix sur la terre aux hommes qu’Il aime (le Seigneur) », qui ne veut pas dire: que la paix soit, mais la paix est. Il ne s’agit donc pas d’un souhait mais d’une nouvelle « Le Noël du Seigneur, disait saint Léon le Grand, est le Noël de la paix » : Natalis Domini natalis est pacis (2).

2. Qui sont les artisans de paix

La septième béatitude nous dit : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu ». Avec celle des miséricordieux, cette béatitude est la seule qui suggère, non seulement une manière d’ « être » (pauvres, affligés, doux, purs de cœur), mais également ce qu’il faut « faire ». Le terme eirenopoioi indique ceux qui oeuvrent pour la paix, ceux qui font la paix. Pas tellement en ce sens qu’ils se réconcilient avec leurs ennemis mais qu’ils aident les ennemis à se réconcilier. « Ce sont des hommes qui aiment vraiment la paix, au prix même de compromettre leur propre paix personnelle ; qui interviennent dans les conflits pour susciter la paix et rétablir la concorde entre toux ceux qui sont divisés ». (3)

Artisans de paix n’est donc pas synonyme de pacifiques, à savoir des personnes calmes et tranquilles qui évitent les différends autant qu’elles le peuvent (ces derniers sont proclamés « bienheureux » par une autre béatitude, la béatitude des « doux »). Cette expression n’est pas non plus synonyme de pacifistes, si l’on entend par pacifistes ceux qui se rangent contre la guerre, ou prennent partie contre l’un ou l’autre des belligérants, sans jamais rien entreprendre pour tenter de les réconcilier. Le terme plus juste est pacificateurs.

A l’époque du Nouveau Testament, c’était les souverains, notamment l’empereur romain, que l’on qualifiait de pacificateurs. Auguste plaçait le fait d’avoir rétabli la paix dans le monde à travers ses victoires militaires parta victoriis pax, au sommet de ses œuvres, et il fit construire à Rome le célèbre « Ara Pacis », l’autel de la paix. La béatitude évangélique entend s’opposer à cette prétention en nous disant qui sont les véritables artisans de paix et comment il convient de promouvoir cette paix : non pas en détruisant l’ennemi, mais l’inimitié, comme l’a fait Jésus sur la Croix (Ep 2 ).

De nos jours, la plupart des personnes estiment toutefois que la béatitude doit être lue en tenant compte de la Bible et des sources du judaïsme, selon lesquelles aider des personnes en conflit à se réconcilier est l’une des principales œuvres de miséricorde. Le Christ affirme que la béatitude des artisans de paix vient du commandement nouveau de l’amour fraternel, qu’elle est une manière dont s’exprime l’amour du prochain.

En ce sens on dirait qu’elle est par excellence la béatitude de l’Eglise de Rome et de son évêque. L’un des services les plus précieux rendus à la chrétienté par le pape a toujours été celui de promouvoir la paix entre les différentes Eglises et, à certaines époques, également entre les princes chrétiens. La première lettre apostolique d’un pape, celle de saint Clément I, écrite autour de l’an 96 (peut-être encore avant le quatrième Evangile), fut écrite pour ramener la paix dans l’Eglise de Corinthe déchirée par les discordes. Il s’agit d’un service que l’on ne peut pas rendre sans un certain pouvoir royal de juridiction. Pour comprendre à quel point il est précieux, il suffit de constater les difficultés qui surgissent lorsqu’il est absent.

L’histoire de l’Eglise est riche d’épisodes dans lesquels des Eglises locales, des évêques ou des abbés, en désaccord les uns avec les autres ou avec leur propre troupeau, ont eu recours au pape comme arbitre de paix. Je suis certain qu’aujourd’hui encore, il s’agit de l’un des services les plus fréquents, même s’il s’agit de l’un des moins connus, rendus à l’Eglise universelle. La diplomatie vaticane et les nonces apostoliques trouvent eux aussi leur justification dans le fait d’être des instruments au service de la paix.

3. La paix comme un don

Mais le véritable et suprême « artisan de paix » n’est pas un homme, c’est Dieu lui-même. Précisément pour cette raison, ceux qui œuvrent pour la paix sont appelés « fils de Dieu » : parce qu’ils lui ressemblent, parce qu’ils l’imitent, parce qu’ils font ce qu’Il fait lui. Le message papal dit que la paix est caractéristique de l’agir de Dieu dans la création et la rédemption, c’est-à-dire aussi bien dans l’agir de Dieu que dans celui du Christ.

L’Ecriture parle de la « paix de Dieu » (Ph 4, 7) et plus souvent encore du « Dieu de la paix » (Rm 15, 33). « Paix » n’indique pas ici seulement ce que Dieu fait ou donne, mais également ce que Dieu est. La Paix est ce qui règne en Dieu. Presque toutes les religions qui sont nées autour de la Bible connaissent des mondes divins vivant des conflits internes. Les mythes cosmogoniques babyloniens et grecs font état de divinités qui se font la guerre les unes les autres. Dans la gnose hérétique chrétienne il n’y a ni unité ni paix entre le
s Eons célestes, et l’existence du monde matériel serait précisément le fruit d’un incident ou d’un désaccord survenus dans le monde supérieur.

Sur ce fond religieux il est plus aisé de saisir la nouveauté et l’altérité absolue de la doctrine sur la Trinité comme union parfaite d’amour dans la pluralité des personnes. Dans l’un de ses hymnes, l’Eglise appelle la Trinité « océan de paix » et il ne s’agit pas seulement d’une expression poétique. Ce qui surprend le plus lorsque l’on contemple l’icône de la Trinité de Roublev (reproduite dans cette chapelle sur le mur en face, au-dessus de la Vierge siégeant sur le trône) est le sentiment de paix surhumaine qui en émane. Le peintre a réussi à traduire, dans une image, la devise de saint Serge de Radonej, pour le monastère duquel l’icône a été peinte : « Vaincre l’odieuse discorde de ce monde en contemplant la Très Sainte Trinité ».

C’est le Pseudo-Denys l’Aréopagite qui a le mieux célébré cette paix qui vient de l’au-delà de l’histoire. Pour lui, la paix est l’un des « noms de Dieu », au même titre que « amour » (4). Du Christ également il est dit qu’Il est lui-même notre paix (Ep 2, 14-17). Lorsqu’il dit : « je vous donne ma paix », il nous transmet ce qu’il est.

Il existe un lien indissoluble entre la paix comme don d’en haut et l’Esprit Saint ; ce n’est pas sans raison qu’ils sont tous deux représentés par le symbole de la colombe. Le soir de Pâques Jésus donna aux disciples, presque en un seul souffle, la paix et l’Esprit Saint : « Paix à vous !… Ayant dit cela il souffla et leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ » (Jn 20, 21-22). La paix, dit saint Paul, est un « fruit de l’Esprit » (Ga 5, 22).

On comprend dès lors ce que signifie être artisan de paix. Il ne s’agit pas d’inventer ou de créer la paix, mais de la transmettre, de laisser passer la paix de Dieu et la paix du Christ « qui dépasse toute intelligence ». « A vous grâce et paix, de par Dieu, notre Père et le Seigneur Jésus Christ » (Rm 1,7) : telle est la paix que l’Apôtre transmet aux chrétiens de Rome.

Nous ne devons ni ne pouvons être des sources mais seulement des « canaux » de la paix. La prière attribuée à saint François d’Assise l’exprime à la perfection : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix », que les anglais traduisent très justement par : Fais de moi un canal de ta paix, make me a channel of your peace.

Mais quelle est cette paix dont nous parlons ? La définition que saint Augustin en donne est la définition classique : « La paix est la tranquillité de l’ordre » (5). En se basant sur cette définition, saint Thomas ajoutera qu’il existe dans l’homme trois types d’ordre : avec soi-même, avec Dieu, et avec son prochain ; et qu’il existe, par conséquent, trois formes de paix : la paix intérieure qui permet à l’homme d’être en paix avec lui-même ; la paix qui lui permet d’être en paix avec Dieu, pleinement soumis à ses dispositions, et la paix relative à son prochain, par laquelle il vit en paix avec tout le monde » (6).

Dans la bible, le mot shalom qui veut dire paix, va toutefois au-delà de la simple tranquillité de l’ordre. Il indique également le bien-être, le repos, la sécurité, le succès, la gloire. Il indique même parfois la totalité des biens messianiques et est synonyme de salut et de bien : « Qu’ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut » (Is 52, 7). La nouvelle alliance est appelée une « alliance de paix » (Ez 37, 26), l’évangile « évangile de la paix » (Ep 6, 15), comme si ce mot paix résumait tout le contenu de l’alliance et de l’évangile.

Dans l’Ancien Testament, le mot paix va souvent de pair avec le mot justice : « Justice et paix s’embrassent » (cf. Ps 85, 11) et dans le Nouveau Testament avec le mot grâce. Lorsque saint Paul écrit : « Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu » (Rm 5,1), il est clair que l’expression « en paix avec Dieu » revêt la même signification prégnante que l’expression « dans la grâce de Dieu ».

4. La paix comme une tâche

Le message du pape dit cependant que la paix, en plus d’être un don, est aussi une tâche. Et c’est de la paix comme tâche que nous parle en premier lieu la béatitude des artisans de paix.

La condition pour pouvoir être des canaux de paix est de rester unis à la source de la paix qui est la volonté de Dieu : « Dans sa volonté se trouve notre paix », fait dire Dante à une âme du Purgatoire. Le secret de la paix intérieure est l’abandon total et toujours renouvelé à la volonté de Dieu. Pour conserver ou retrouver cette paix, il est utile de répéter souvent, intérieurement, avec sainte Thérèse d’Avila « Que rien ne te trouble, Que rien ne t’effraie, Tout passe, Dieu ne change pas, La patience permet tout, Qui en Dieu a foi, Ne manquera de rien, Seul Dieu suffit ».

La parénèse apostolique est riche d’indications pratiques sur ce qui favorise ou ce qui constitue un obstacle à la paix. L’un des passages les plus célèbres est celui de la Lettre de Jacques : « Car la jalousie et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes. Au contraire, la sagesse qui vient de Dieu est d’abord droiture, et par suite elle est paix, tolérance, compréhension ; elle est pleine de miséricorde et féconde en bienfaits, sans partialité et sans hypocrisie. C’est dans la paix qu’est semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix » (Jc 3, 16-18).

Tout effort pour construire la paix doit partir de ce domaine très personnel. La paix est comme le sillon d’un beau navire qui s’élargit jusqu’à l’infini, mais commence par une pointe, et la pointe est, dans ce cas, le cœur de l’homme. L’un des messages de Jean-Paul II pour la Journée mondiale de la paix, celui de 1984, avait pour titre : « La paix naît d’un cœur nouveau ».

Mais ce n’est pas sur ce domaine personnel que je voudrais insister. Un champ de travail nouveau, difficile et urgent s’ouvre aujourd’hui aux artisans de paix : promouvoir la paix entre les religions et avec la religion, c’est-à-dire aussi bien des religions entre elles que des croyants des différentes religions avec le monde laïc non croyant. Le message du pape consacre un paragraphe aux difficultés que l’on rencontre dans ce domaine. Il dit :

« Pour ce qui concerne la libre expression de la foi, un autre symptôme préoccupant du manque de paix dans le monde est constitué par les difficultés que rencontrent souvent aussi bien les chrétiens que les croyants d’autres religions à professer publiquement et librement leurs convictions religieuses… Il y a des régimes qui imposent à tous une religion unique, tandis que des régimes indifférents nourrissent non pas une persécution violente, mais une dérision culturelle systématique des croyances religieuses. Dans tous les cas, un droit humain fondamental n’est pas respecté, avec des répercussions graves sur la convivialité pacifique. Cela ne peut que promouvoir une mentalité et une culture négatives pour la paix » (n. 5).

Nous avons un exemple, précisément ces jours-ci, de cette dérision culturelle des croyances religieuses ou au moins de la tentative de marginalisation de ces croyances, avec la campagne organisée dans différents pays et villes d’Europe contre les symboles religieux de Noël. On donne souvent comme prétexte la volonté de ne pas offenser les personnes d’autres religions qui vivent parmi nous, spécialement les musulmans. Mais il s’agit d’un prétexte, d’une excuse. En réalité, c’est un certain monde laïciste qui refuse ces symboles, ce ne sont pas les musulmans. Ceux-ci n’ont rien contre le N
oël chrétien, qu’en réalité ils honorent même.

Nous sommes arrivés à une situation absurde où de nombreux musulmans célèbrent la naissance de Jésus, veulent faire une crèche dans leur maison et vont même jusqu’à dire que « celui qui ne croit pas à la naissance miraculeuse de Jésus n’est pas musulman » (7) et où certaines personnes, qui se disent chrétiennes veulent faire de Noël une fête hivernale uniquement peuplée de rennes et d’ours en peluche.

Dans le Coran, il y a une sourate consacrée à la naissance de Jésus qu’il vaut la peine de connaître, également pour favoriser le dialogue et l’amitié entre les religions. Elle dit :

« 45. (Rappelle-toi,) quand les Anges dirent : Ô Marie, voilà qu’Allah t’annonce une parole de Sa part : son nom sera “al-Masih” “Hissa”, fils de Marie, illustre ici-bas comme dans l’au-delà… 46. Il parlera aux gens, dans le berceau et en son âge mûr et il sera du nombre des gens de bien”. 47. – Elle dit : “Seigneur ! Comment aurais-je un enfant, alors qu’aucun homme ne m’a touchée ? ” – “C’est ainsi ! ” dit-Il. Allah crée ce qu’Il veut. Quand Il décide d’une chose, Il lui dit seulement : “Sois”; et elle est aussitôt » (8).

Dans l’émission faisant partie de la série sur l’évangile du dimanche « A son image », qui sera transmise par Rai Uno demain soir, j’ai demandé à un frère musulman de lire lui-même ce passage et il l’a fait avec une grande joie, se disant heureux de contribuer à clarifier un malentendu qui nuit, disait-il, aux croyants musulmans eux-mêmes, sous prétexte de favoriser leur cause.

La raison qui permet un dialogue entre les religions fondées non seulement sur les raisons d’opportunité que nous connaissons, mais sur un solide fondement théologique, est que « nous avons tous un Dieu unique », comme le rappelait le Saint-Père à l’occasion de sa visite à la Mosquée bleue d’Istanbul. C’est la vérité de laquelle est également parti saint Paul dans son discours à l’aréopage d’Athènes (cf. Ac 17, 28).

Nous avons, de manière subjective, des idées différentes sur Lui. Pour nous chrétiens, Dieu est « le Père de Notre Seigneur Jésus Christ » que l’on ne peut connaître pleinement que
« par lui », mais de manière objective nous savons bien qu’il ne peut exister qu’un Dieu. Il n’y a « qu’un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 6).

Notre foi dans l’Esprit Saint est également un fondement théologique du dialogue. Comme Esprit de la rédemption, Esprit du Christ et de la grâce, il est le lien de la paix entre les baptisés des différentes confessions chrétiennes ; comme Esprit de la création, Spiritus creator, il est un lien de paix entre les croyants de toutes les religions et même entre tous les hommes de bonne volonté. « Toute vérité, quelle que soit la personne l’ayant dite, a écrit saint Thomas d’Aquin, vient de l’Esprit Saint » (9).

De même cependant que cet Esprit créateur tendait vers le Christ dans les textes des prophètes de l’Ancien Testament (1P 1, 11) nous croyons que, d’une manière connue de Dieu seul, il tend aujourd’hui vers le Christ et son mystère pascal dans son action en dehors de l’Eglise. De même que le Fils ne fait rien sans le Père, l’Esprit Saint ne fait rien sans le Fils.

Le récent voyage du Saint-Père en Turquie a entièrement été une œuvre pour la paix religieuse, qui s’est révélé fructueux, comme tout ce qui naît sous le signe de la croix : paix entre l’Eglise chrétienne d’orient et l’Eglise d’occident, paix entre le christianisme et l’islam. « Cette visite nous aidera à trouver ensemble les moyens et les voies de la paix pour le bien de l’humanité », avait commenté le Saint-Père à l’occasion de la prière silencieuse dans la Mosquée bleue.

5. Une paix sans religions ?

L’occident sécularisé souhaite, à vrai dire, un type différent de paix religieuse, celui qui résulte de la disparition de toute religion.

Imagine que le paradis n’existe pas,/ c’est facile si tu essaies. /Aucun enfer au-dessous de nous,/ rien d’autre que le ciel au-dessus de nous.

Imagine toutes les personnes, /qui vivent pour aujourd’hui, /imagine qu’il n’existe pas de pays. /Ce n’est pas difficile. /Rien pour lequel tuer ou mourir et/ plus aucune religion.

Imagine toutes les personnes, /qui vivent leur vie en paix / Tu pourras dire que je suis un rêveur/ Mais je ne suis pas le seul./ J’espère qu’un jour tu t’uniras à nous /et le monde ne sera qu’un. (10)

Cette chanson, écrite par l’une des plus grandes idoles de la musique légère moderne, sur une mélodie caressante, est devenue une espèce de manifeste civil du pacifisme. Si cela devait se réaliser, le monde souhaité ici serait le plus pauvre et le plus laid que l’on puisse imaginer ; un monde plat, ou sont abolies toutes les différences, ou les personnes sont destinées à s’entre-déchirer, et non pas à vivre en paix, car, comme l’a mis en lumière René Girard, là ou tous veulent les mêmes choses, le « désir mimétique » se déchaîne et avec lui la rivalité et la guerre.

Nous croyants, nous ne pouvons pas nous laisser aller à des ressentiments et des polémiques, pas même contre le monde sécularisé. Un autre objectif est en train d’apparaître, à côté du dialogue et de la paix entre les religions, pour les artisans de paix : celui de la paix entre les croyants et les non-croyants, entre les religieux et le monde sécularisé, indifférent ou hostile à la religion.

Cela sera un autre banc d’essai : donner raison, également avec fermeté, de l’espérance qui est en nous, mais le faire comme exhorte la Lettre de Pierre, et comme en donne l’exemple son successeur actuel « avec douceur et respect » (1 P 3, 15, 16). Respect ne signifie pas dans ce cas « respect humain », de garder Jésus caché pour ne pas susciter des réactions. C’est le respect d’une intériorité connue de Dieu seul et que personne ne peut violer ou contraindre à changer. Ce n’est pas mettre Jésus entre parenthèses mais montrer Jésus et l’évangile, à travers la vie. Nous formons seulement le vœu que les chrétiens soient traités avec un respect semblable, un respect qui jusqu’à présent a malheureusement souvent fait défaut.

Nous terminons en revenant par la pensée à Noël. Un antique répons des matines de Noël disait : « Hodie nobis de caelo pax vera descendit. Hodie per totum mundum melliflui facti sunt caeli Aujourd’hui est descendue pour nous du ciel la paix véritable. Aujourd’hui les cieux font ruisseler le miel sur le monde ».

Comment rendre au Père le don infini qu’il fait au monde, en donnant pour lui son Fils Unique ? S’il y a une gaffe à ne pas faire à Noël, c’est bien celle de recycler un cadeau en l’offrant par erreur, à la personne même qui nous l’a donné. Eh bien, avec Dieu, il est impossible de ne pas faire cette gaffe en permanence ! Le seul remerciement possible est l’Eucharistie : lui offrir à nouveau Jésus son Fils, devenu notre frère.

Et qu’offrirons-nous à Jésus ? Un texte de la liturgie orientale de Noël dit : « Que pouvons-nous t’offrir, ô Christ, pour t’être fait homme sur la terre ? Toute créature t’apporte le signe de sa reconnaissance : les anges leurs chants, les cieux leur étoile, la terre une grotte, le désert une crèche. Mais nous, nous t’offrons une Mère vierge ! » (11)

Saint-Père, vénérables pères, frères et sœurs : merci de votre patiente écoute et Joyeux Noël !

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NOTES

1. Benoît XVI, « La personne humaine, cœur de la paix ». Message pour la journée mondiale de la paix 2007.
2. St. Léon le Grand, Traités 26 (CC 138, linea130)
3. J. Dupont, Le beatitudini, I
II, p.1001.
4. Pseudo Dionigi Areopagita, Nomi divini, XI, 1 s (PG 3, 948 s).
5. S. Agostino, La città di Dio, XIX, 13 (CC 48, p. 679).
6. Cf. S. Tommaso d’Aquino, Commento al vangelo di Giovanni, XIV, lez.VII, n.1962.
7. Magdi Allan, “Noi musulmani diciamo sì al presepe”, “Il Corriere della sera” 18 Dicembre 2006, p. 18.
8. Corano, Sura III, trad. di M.M. Moreno, Torino, UTET, 1971, p. 65.
9. S. Tommaso d’Aquino, Somma teologica, I-IIae q. 109, a. 1 ad 1; Ambrosiaster, Sulla prima lettera ai Corinti, 12, 3 (CSEL 81, p.132).
10. John Lennon, « Imagine there’s no heaven / it’s easy if you try. / No hell below us / above us only sky. Imagine all the people / living for today./ Imagine there’s no countries / it isn’t hard to do. / Nothing to kill or die for / and no religion too. /Imagine all the people / living for today./ Imagine there’s no countries / it isn’t hard to do./ Nothing to kill or die for /and no religion too…Imagine all the people / living life in peace. / You may say I’m a dreamer / But I’m not the only one./ I hope someday you’ll join us / and the world will live as one”.
11. Idiomelon ai Grandi Vespri di Natale.

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ZENIT Staff

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