Rencontre avec les jésuites polonais © L'Osservatore Romano

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L’Église a besoin de grandir dans "sa capacité de discernement"

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Dialogue du pape avec des jésuites polonais (traduction intégrale)

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« L’Église aujourd’hui a besoin de grandir dans la capacité du discernement spirituel », a affirmé le pape François devant un groupe de 28 jésuites polonais, qu’il a rencontrés au cours de son voyage apostolique en Pologne, à l’occasion des Journées mondiales de la jeunesse à Cracovie, le 30 juillet 2016. « Certains projets de formation sacerdotale courent le risque d’éduquer à la lumière d’idées trop claires et distinctes, a estimé le pape, et donc d’agir avec des limites et des critères définis rigidement a priori, et qui ne tiennent pas compte des situations concrètes ».
Durant cette rencontre – en la veille de la fête de saint Ignace de Loyola – qui a duré une quarantaine de minutes, le pape François a salué toutes les personnes présentes, une à une ; puis il s’est assis et a entamé un dialogue. Nous publions la traduction de ce dialogue rendu public le 25 août 2016 par L’Osservatore Romano et la revue jésuite La Civiltà cattolica.
Dialogue du pape avec les jésuites polonais
Votre message arrive au cœur des jeunes. Comment faites-vous pour leur parler si efficacement ? Pourriez-vous nous donner quelques conseils pour travailler avec les jeunes ?
Quand je parle, je dois regarder les gens dans les yeux. Ce n’est pas possible de regarder les yeux de tout le monde, mais je regarde les yeux de celui-ci, celui-ci, celui-ci… et ils se sentent tous regardés. C’est quelque chose qui m’est spontané. Je fais comme cela avec les jeunes. Mais ensuite, les jeunes, quand tu parles avec eux, il posent des questions… Aujourd’hui, au déjeuner, ils m’ont posé quelques questions… Ils m’ont même demandé comment je me confesse. Ils n’ont pas de pudeur. Ils posent des questions directes. Et à un jeune il faut toujours répondre par la vérité. Aujourd’hui, au déjeuner, à un certain point, nous en sommes venus à parler de la confession. Un jeune m’a demandé : « Et vous, comment vous confessez-vous ? ». Et il a commencé à me parler de lui. Il m’a dit : « Dans mon pays il y a eu des scandales liés aux prêtres et nous n’avons pas le courage de nous confesser à tel prêtre qui a vécu ces scandales. Je n’y arrive pas ». Vous voyez : ils te disent la vérité, parfois ils te font des reproches… Les jeunes parlent directement. Ils veulent la vérité ou au moins un clair « je ne sais pas comment te répondre ». Il ne faut jamais trouver des subterfuges avec les jeunes. C’est pareil avec la prière. Ils m’ont demandé : « Comment priez-vous ? » Si tu réponds une théorie, ils sont déçus. Les jeunes sont généreux. Mais le travail avec eux nécessite aussi de la patience, beaucoup de patience. L’un d’eux m’a demandé aujourd’hui : « Que puis-je dire à un ami ou une amie qui ne croit pas en Dieu pour qu’il puisse devenir croyant ? » Voilà : on voit que parfois les jeunes ont besoin de « recettes ». Alors il faut être prêts à corriger cette attitude de demande de recettes et de réponses toute prêtes. J’ai répondu : « Regarde, la dernière chose que tu doives faire est de dire quelque chose. Commence par faire quelque chose. Ensuite ce sera lui ou elle qui te demandera des explications sur la manière dont tu vie, et pourquoi ». Voilà : il faut être direct, direct avec la vérité.
Quel est le rôle de l’Université des jésuites ?
Une université dirigée par les jésuites doit viser à une formation globale et pas seulement intellectuelle, une formation de tout l’homme. En effet, si l’université devient simplement une académie de notions ou une « usine » de professionnels, ou si dans sa structure prévaut une mentalité centrée sur les affaires, alors elles est vraiment hors e la route. Nous avons en main les Exercices. Voilà le défi : mettre l’université sur le chemin des Exercices. Cela signifie risquer sur a vérité et non sur les « vérités fermées » que personne ne discute. La vérité de la rencontre avec les personnes est ouverte et requiert e se laisser interpeller vraiment par la réalité. Et l’université des jésuites doit être aussi impliquée dans la vie réelle de l’Église et de la Nation : celle-ci aussi est une réalité en effet. Une attention particulière doit toujours être donnée aux marginaux, à la défense de ceux qui ont plus besoin d’être protégés. Et ceci, que ce soit clair, ne signifie pas être communiste : c’est simplement être vraiment impliqués avec la réalité. En ce cas, en particulier, une université des jésuites doit être pleinement impliquée avec la réalité, exprimant la pensée sociale de l’Église. La pensée libertaire, qui déplace l’homme du centre, et qui a mis au centre l’argent, n’est pas la nôtre. La doctrine de l’Église est claire et il faut aller de l’avant dans ce sens.
Comment êtes-vous devenu jésuite ?
Quand je suis entré au séminaire, j’avais déjà une vocation religieuse. Mais à cette époque, mon confesseur était anti-jésuite. J’aimais aussi les Dominicains et leur vie intellectuelle. Ensuite je suis tombé malade, j’ai dû subir une intervention chirurgicale au poumon. Par la suite, un autre prêtre m’a aidé spirituellement. Je me souviens que quand j’ai dit au premier prêtre que j’entrais chez les jésuites, il ne l’a pas bien pris. Mais là on a vu l’ironie du Seigneur. En effet, à cette époque, on recevait les Ordres mineurs. La tonsure se faisait en première année de théologie. Le recteur m’a dit d’aller à Buenos Aires chez l’évêque auxiliaire, Mgr Oscar Villena pour lui demander de venir faire la cérémonie de la tonsure. J’y suis allé, là-bas, à la Maison du clergé, mais on me dit que Mgr Villena était malade. Il y avait à sa place un autre monseigneur qui était précisément ce premier prêtre qui était devenu évêque ! Et c’est justement de lui que j’ai reçu la tonsure ! Et nous avons fait la paix après pas mal d’années… De toutes façons oui, je peux dire que mon choix pour la Compagnie a mûri tout seul…
Dans ce groupe, il y a quelques prêtres à peine ordonnés. Avez-vous des conseils pour leur avenir ?
Tu sais, l’avenir appartient à Dieu. Le maximum que nous puissions faire, c’est la voyance. Et les voyants viennent tous de l’esprit mauvais ! Un conseil : le sacerdoce est une grâce vraiment grande ; que ton sacerdoce comme jésuite soit baigné de la spiritualité que tu as vécue jusqu’à maintenant : la spiritualité du « Suscipe » de saint Ignace.
Je veux ajouter quelque chose maintenant. Je vous demande de travailler avec les séminaristes. Donnez-leur surtout ce que nous avons reçu dans les Exercices : la sagesse du discernement. L’Église aujourd’hui a besoin de grandir dans la capacité du discernement spirituel. Certains projets de formation sacerdotale courent le risque d’éduquer à la lumière d’idées trop claires et distinctes, et donc d’agir avec des limites et des critères définis rigidement a priori, et qui ne tiennent pas compte des situations concrètes : « Il faut faire ceci, il ne faut pas faire cela… ». Et ensuite, les séminaristes une fois devenus prêtres se trouvent en difficulté pour accompagner la vie de nombreux jeunes et adultes. Parce que beaucoup demandent : « Peut-on faire cela ou non ? » Tout est là. Et beaucoup de gens sortent déçus du confessionnal. Non pas que le prêtre soit mauvais, mais parce qu’il n’a pas la capacité de discerner les situations, d’accompagner dans le discernement authentique. Il n’a pas eu la formation nécessaire. Aujourd’hui, l’église a besoin de croître dans le discernement, dans la capacité de discerner. Et surtout les prêtres en ont vraiment besoin pour leur ministère. C’est pourquoi il faut enseigner aux séminaristes et aux prêtres en formation : habituellement, ils recevront les confidences de la conscience des fidèles. La direction spirituelle n’est pas un charisme uniquement pastoral, mais aussi laïc, c’est vrai. Mais, je le répète, il faut enseigneur cela surtout aux prêtres, les aider à la lumière des Exercices dans la dynamique du discernement pastoral, qui respecte le droit mais qui sait aller au-delà. C’est une tâche importante pour la Compagnie. J’ai été très touché par une pensée du père Hugo Rahner. Il avait une pensée claire et une écriture claire ! Hugo disait que le jésuite devrait être un homme qui ait le flair du surnaturel, c’est-à-dire qu’il devrait être doté d’un sens du divin et du diabolique relatif aux événements de la vie humaine et de l’histoire. Le jésuite doit donc être capable de discerner dans le champ de Dieu comme dans celui du diable. C’est pourquoi, dans les Exercices saint Ignace demande d’être introduit aux intentions du Seigneur de la vie comme à celles de l’ennemi de la nature humaine et à ses tromperies. C’est audacieux, c’est vraiment audacieux, ce qu’il a écrit, mais c’est justement cela le discernement ! Il faut former les futurs prêtres non pas à des idées générales et abstraites, qui sont claires et distinctes, mais à ce fin discernement des esprits, pour qu’ils puissent vraiment aider les personnes dans leur vie concrète. Il faut vraiment comprendre cela : dans la vie, tout n’est pas noir sur blanc ou blanc sur noir. Non ! Dans la vie, ce qui prévaut ce sont les nuances du gris. Il faut alors enseigner à discerner dans ce gris.
© L’Osservatore Romano et la Civiltà cattolica
© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Rédaction

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