Visite à la Villa Nazareth, 18 juin 2016, L'Osservatore Romano

Visite à la Villa Nazareth, 18 juin 2016, L'Osservatore Romano

Le pape aux jeunes: «Le témoignage chrétien, c’est le martyre de chaque jour»

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Visite à la « Villa Nazareth » de Rome (2/7)

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« Le témoignage chrétien c’est le martyre de chaque jour, un martyre silencieux », affirme le pape François. Il parle aussi de « beaucoup de crises » qu’il traversait dans sa vie et souligne : « Le chrétien … ne doit pas avoir peur d’entrer en crise : c’est le signe qu’il progresse. »
Le pape a prononcé un discours avant d’entamer un dialogue avec les jeunes italiens de la « Villa Nazareth » de Rome, où il s’est t rendu le samedi 18 juin.
Fondé il y a 70 ans pour venir en aide aux enfants pauvres orphelins de guerre, ce centre est géré aujourd’hui par la Fondation Tardini présidée par le cardinal Silvestrini et permet à des enfants de familles modestes de poursuivre leurs études.
Nous avons publié la première question et la première réponse, mardi 28 juin. Et le discours du pape le 20 juin.
M.D.
Question de Gabriele Giuliano
Cher pape François, dans les journaux nous lisons souvent de terribles nouvelles relatives au drame que vivent les communautés chrétiennes à travers le monde: ces événements nous font beaucoup réfléchir à la grandeur du témoignage, témoignage d’une foi vécue parfois jusqu’à la mort. Ce courage de vivre une foi authentique nous met tous en discussion. Comment être des témoins crédibles de l’Évangile, comment annoncer le message du Christ au monde? Beaucoup d’entre nous, avec tous les défauts et limites qui font partie de l’être humain, essaient, mais se découragent facilement. Cela vous arrive-t-il aussi ? Votre foi a-t-elle subi quelque crise ? Où et comment avez-vous trouvé la manière de vous ressaisir, de ne pas flancher, et de poursuivre votre mission, d’abord en tant que laïc puis en tant que consacré?  
Réponse du pape François

Mais, tu as posé une question très personnelle! Et moi je dois choisir … Ou je réponds en disant la vérité, ou je raconte un beau feuilleton et voilà… Le drame des communautés chrétiennes à travers le monde : Ça, c’est vrai. Mais c’est la destinée des chrétiens : le témoignage – je reprends ce mot «  témoignage » – jusque dans les situations difficiles. Je n’aime pas, et je veux le dire clairement, je n’aime pas quand on parle d’un génocide des chrétiens, par exemple au Moyen-Orient: Ceci est réducteur, c’est faire du réductionnisme. La vérité c’est qu’il s’agit d’une persécution qui porte les chrétiens à être fidèles et cohérents dans leur foi. Ne faisons pas du réductionnisme sociologique sur ce qui est un mystère de la foi: le martyre. Ces 13 hommes – je crois des Égyptiens chrétiens coptes, aujourd’hui saints, canonisés par l’Église copte – égorgés sur les plages de la Libye: ils sont tous morts en disant: «  Jésus, aide-moi! ». Jésus. Mais moi je suis sûr que la majorité d’entre eux ne savaient même pas lire. Ce n’étaient pas des docteurs en théologie, non, non. Des gens sans instruction, dirons-nous, mais c’était des docteurs en «  cohérence chrétienne », soit de vrais témoins de foi.
La foi nous fait témoigner de tant de choses difficiles dans la vie ; nous témoignons aussi par la vie. Mais nous n’y trompons pas: le martyre sanglant n’est pas l’unique façon de témoigner du Christ. C’est, disons, le maximum, la façon la plus héroïque. Il est vrai aussi qu’aujourd’hui il y a plus de martyrs qu’aux premiers siècles de l’Église, c’est vrai. Mais il y a le martyre de tous les jours : le martyre de l’honnêteté, le martyre de la patience, dans l’éducation des enfants; le martyre de la fidélité à l’amour, quand il est plus facile de prendre un autre chemin, plus caché: le martyre de l’honnêteté, dans un monde que l’on pourrait appeler «  le paradis des pots-de-vin », c’est si facile: «  Vous dites ça et vous aurez ça », là où manque le courage de jeter à la figure l’argent sale, dans un monde où tant de parents donnent à manger à leurs enfants l’argent sale des pots-de-vin, ce pain qu’ils achètent avec les pots-de-vin qu’ils gagnent … Témoigner pour un chrétien, son martyre, c’est de dire : «  Non, je ne veux pas! » – «  Si tu ne veux pas, tu n’auras pas ce poste, tu ne pourras pas aller plus haut ». Le martyre du silence devant la tentation des commérages. Pour un chrétien – et c’est Jésus qui le dit – le bavardage ce n’est pas bien. Jésus dit que celui qui dit «  stupide » à son frère doit aller en enfer. Vous savez que les bavardages sont comme la bombe d’un terroriste, d’un kamikaze – non pas d’un kamikaze lui au moins il a le courage de mourir en même temps – non, les bavardages c’est quand je jette «  la bombe », détruis la personne et en suis heureux. Le témoignage chrétien c’est le martyre de chaque jour, un martyre silencieux, et nous devons parler comme ça. «  Mais sommes-nous des hommes et des femmes martyrisées ? Devons-nous avoir le visage triste, une tête … de six pieds de long ». Non ! Il y a la joie de la parole de Jésus, comme ceux de la plage en Libye. Et il faut du courage. Le courage est un don de l’Esprit Saint. Le martyre, la vie chrétienne… le témoignage chrétien ne peut être vécu sans le courage de la vie chrétienne.
Saint Paul utilise deux mots pour indiquer au chrétien le chemin du martyre dans sa vie de tous les jours : courage et patience. Deux mots. Avoir le courage d’avancer et ne pas avoir honte d’être chrétien, se faire reconnaître en tant que tel. Et la patience de porter sur ses épaules le poids de tous les jours, y compris ses péchés et ses incohérences. «  Mais peut-on être chrétien et avoir des péchés? » Oui. Nous sommes tous des pécheurs, tous. Le chrétien n’est pas un homme ou une femme aseptisée comme dans les laboratoires, ce n’est pas comme de l’eau distillée ! Le chrétien est un homme, une femme, capable de trahir son propre idéal par le péché, un être faible. Mais nous devons nous réconcilier avec cette faiblesse. Et devenir ainsi un peu plus humble. Plus humble. La vérité n’est pas dans l’apparence. «  Je ne suis pas un pécheur, comme ce pharisien qui priait devant le Seigneur : «  Je te remercie parce que je ne suis pas comme untel ou untel »; il salissait tout le monde, mais lui était propre. Il se pavanait. Permettez-moi, c’est un peu … pas très correct, pas très licite ce que je m’apprête à dire, mais l’image nous aidera. La cohérence chrétienne de la vérité c’est se sentir des pécheurs qui ont besoin de pardon; contrairement à celui qui se pavane d’être un parfait chrétien, tel un paon: mais quel beau paon! On le voit, c’est une belle réalité… Pardonnez-moi, mais passez derrière moi : ça aussi c’est la vérité du paon ! Et le message du Christ au monde est le suivant: nous sommes des pécheurs, et Jésus nous a aimés, nous a guéris, ou nous a mis sur la voie de la guérison, toujours. Et il nous aime. Et ces limites qui font partie de nous et que nous voyons autour de nous, par exemple, l’hypocrisie dans l’Eglise, l’hypocrisie des chrétiens; ces limites nous découragent, et notre foi finit par entrer en crise.
Et arrive l’insolente question: « Votre foi a-t-elle connu des crises ?” Et vous posez cette question au pape ! Vous êtes courageuse! «  Où et comment avez-vous trouvé la manière de vous ressaisir, de ne pas flancher, et de poursuivre votre mission, d’abord comme laïc puis comme consacré? ». J’en traverse beaucoup de crises et certaines fois j’ai eu le toupet d’en faire le reproche à Jésus: «  Mais pourquoi permets-tu cela? », et j’ai eu des doutes aussi: «  Mais cela s’avérera-t-il, ou tout n’aura été qu’un rêve? ». J’ai traversé ces crises lorsque j’étais jeune, séminariste, prêtre, religieux, évêque et pape. « Mais pourquoi le monde est-il ainsi, si Tu as donné Ta vie? Mais n’est-ce pas une illusion, un alibi pour nous nous consoler ?”
Au chrétien qui n’a pas connu ça, qui a toujours eu une foi sans crise, il manque quelque chose: c’est un chrétien qui se contente d’un peu de mondanité et avance dans la vie comme ça. On m’a dit – car moi je ne connais pas le chinois, j’ai beaucoup de mal avec les langues vous savez … – je ne connais pas le chinois, mais on m’a dit que le mot «  crise », en chinois, s’écrit en utilisant deux idéogrammes: l’un est l’idéogramme « risque » et l’autre l’idéogramme «  opportunité ». C’est vrai. Quand quelqu’un entre en crise – comme lorsque Jésus dit à Pierre que le diable l’aurait mis en crise [« passé au crible »] comme on fait avec le grain, et tant de fois le diable, la vie, le prochain, tant de personnes nous font «  sauter » comme le grain, nous mettent en crise – il y a toujours un risque, un risque dans le mauvais sens, et une opportunité.
Le chrétien – ça, je l’ai appris – ne doit pas avoir peur d’entrer en crise : c’est le signe qu’il progresse, qu’il n’est pas accroché à la rive du fleuve ou de la mer, qu’il a pris le large et avance. Et là il y a les problèmes, les crises, les incohérences, et la crise de son propre péché, qui nous fait tellement honte. Et comment ne pas flancher? C’est une grâce. Demande-la au Seigneur: «  Seigneur, fais en sorte que je ne me lasse pas. Fais-moi la grâce d’être patient, d’avancer, d’attendre qu’arrive la paix ».
(c) Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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