Cardinal Parolin © capture de Zenit / Vatican News

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Le card. Parolin à un congrès sur la fin de la Première guerre mondiale

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« Nous sommes dans les mains de Dieu »

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« … Les hommes disent que tout dépend des événements, je dis que nous sommes dans les mains de Dieu : Et vous ne voudriez pas ajouter que  “nous sommes en de bonnes mains” ? », écrivait le pape Benoît XV à son ami d’enfance, le nonce apostolique à Vienne, Valfrè di Bonzo, effrayé par les événements de l’automne 1918. C’est sur ces paroles de foi que le cardinal Parolin a conclu son intervention à un congrès sur la fin de la Première guerre mondiale.

Le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin a en effet ouvert les travaux du Congrès international d’Études « Le Saint-Siège et les catholiques dans le monde d’après-guerre » (1918-1922) », le 15 novembre 2018, à l’Université pontificale du Latran, à l’occasion du Centenaire de la conclusion de la Première guerre mondiale. Son discours portait sur « Les défis de la diplomatie vaticane après la Première guerre mondiale ».

Organisé par le Comité pontifical des Sciences historiques, le congrès s’est clôturé le 16 novembre à l’Académie de Hongrie. Les chercheurs qui y participaient étaient issus d’universités d’Italie, de France, de Belgique, de Hongrie, de Slovaquie, de Russie, de Pologne et d’Amérique latine.

Voici notre traduction de l’intervention du card. Parolin.

HG

Intervention du cardinal secrétaire d’État

La catastrophe de l’Autriche est effrayante et en même temps admirable. Sa mission historique était finie. Maintenant, commence en Orient un époque nouvelle. Sans empire turc, sans empire autrichien, sans tsarisme, la situation prend une nouvelle tournure, mystérieuse, qui attire l’attention de l’historien et du philosophe… Mais le monde qui se profile, s’il est différent, n’en est pas moins intéressant… (1). Certes, le champ est immense et l’avenir offre de nombreuses possibilités (2).

Les mots remplis d’émotion que le jeune diplomate pontifical, Ermenegildo Pellegrinetti, plus tard nonce apostolique à Belgrade et cardinal, confia à son Journal à l’automne 1918, alors qu’il était en service auprès du visiteur apostolique en Pologne Achille Ratti – le futur Pie XI – laissent transparaître l’atmosphère imprégnée d’appréhensions et d’attentes qui régnait dans la diplomatie du pape Benoît XV, alors que le premier conflit mondial touchait à sa fin. On sentait qu’il était clairement conscient d’assister à des bouleversements d’une profondeur inédite, mais aussi l’optimisme catholique prêt à s’ouvrir à de nouveaux chemins, qui mettraient peut-être en mouvement les certitudes d’hier et qui comporteraient des défis pour le lendemain, mais qui dévoileraient aussi de nouvelles perspectives pour la mission de l’Église.

Le pape Benoît XV – un pape extraordinairement doué intellectuellement et humainement, resté à tort pendant des décennies dans l’ombre de ses successeurs plus connus, et redécouvert à juste titre par les historiens seulement ces dernières années – et ses diplomates se rendaient bien compte que la « grande guerre », la première de dimensions mondiales et avec un caractère total, avait marqué pour l’Europe et pour le monde un tournant décisif, ou plutôt la fin d’une époque historique. Elle changea toute la géographie politique et les rapports de force en Europe et dans le monde, provoqua l’écroulement ou un remodellement radical de quatre grands empires : l’allemand, l’austro-hongrois, le russe et l’ottoman, auxquels se substituèrent plus d’une douzaine de nouveaux États, et catalisa le lent déclin politique, économique et social des grandes puissances européennes qui, avant la guerre, s’étaient trouvées au faîte de leur puissance et de leur influence et qui, après celle-ci, avaient dû lentement céder la prééminence à deux grandes puissances extraeuropéennes (ou dont le territoire et le rayon d’intérêts dépassaient les frontières européennes) : les États-Unis et la Russie/l’Union soviétique. Il s’était exactement produit ce que Benoît XV avait prévu dès le début de la guerre et de son pontificat : la guerre était devenue « le suicide de l’Europe » (3).

Le nouvel ordre européen qui se substituait à l’ancien ordre écroulé présentait un bon nombre de causes de préoccupation. Il émanait d’une conférence de paix, de laquelle le Saint-Siège avait été exclu et qui, marquée par le manque de cet esprit chrétien de charité et de réconciliation qui est le prérequis fondamental d’une paix équitable et durable, risquait de se réduire, comme le fit observer le journal du pape, à un « choc d’intérêts oppposés et d’hégémonies rivales » (4).

Dans la majorité des États européens, le pouvoir politique se retrouva entre les mains des forces politiques et idéologiques d’inspiration libérale-socialiste et laïciste qui – bien que différentes entre elles – semblaient partager la violence anticatholique tacite et l’effort pour expulser Dieu et son Église de l’espace public et de la vie des hommes. Derrière le laïcisme, que Pie XI aurait appelé « la peste de notre époque » (5), profitant des ruines matérielles et politiques et des dévastations morales causées par la guerre, se sentait déjà la pression de l’extrême gauche bolchévique, qui parvint à instaurer, dans la sanguinaire révolution et guerre civile russe, le système politique communiste violemment antichrétien et destiné à allumer, comme le démontrerait rapidement les tragiques expériences des différentes républiques des conseils, les flammes de la révolution mondiale. L’Europe était divisée par de profondes oppositions politiques et idéologiques et par des égoïsmes nationaux, tourmentée par la rude question sociale et marquée par le douloureux désarroi des masses. Sous l’impression de l’horrible expérience des tranchées, la mort et l’humiliation de l’homme étant omniprésentes, de la propagande de masse naissante, de la croissante dépendance sociale et intellectuelle de larges strates des populations à l’égard des élites politiques et idéologiques, et de l’affaiblissement des communautés humaines naturelles, avant tout de la famille, ces masses perdaient de plus en plus rapidement leurs liens avec l’Église, avec la religion et avec Dieu.

Sur le Vieux continent agité, les armes finirent par se taire, mais la véritable paix, la « tranquilitas ordinis », ne vint pas. La réponse du pape à ce défi ne fut pas le regret nostalgique des temps passés, dont il connaissait bien les insuffisances cachées derrière la façade reluisante de la « période d’or » de l’ancien régime, entre autres les questions nationalistes non résolues, les oppressions sociales et coloniales et la foi aveugle dans le progrès matériel et technique, et fut encore moins l’appel à un retour aux modèles d’État monarchiques ou pré-bourgeois et à l’ancien concert des puissances basé sur l’équilibre précaire du pouvoir, mais une vision de la réorganisation internationale centrée sur la présence active des principes chrétiens dans la vie publique, sur l’amour et le respect sincère de l’homme et de ses besoins, comme individu et comme membre d’un peuple, et sur l’organisation internationale fondée sur l’équité, la justice et la fraternité des peuples en mesure de résoudre les frictions de manière pacifique. Fidèle à ses priorités sopranaturelles, l’Église ne nourrissait donc aucune préférence pour des formes particulières d’État ou d’institutions civiles, mais – comme l’avaient déjà démontré magistralement les encycliques sociales de Léon XIII – elle reconnaissait comme unique critère d’évaluation à l’égard du pouvoir politique la « libertas Ecclesiae » et le respect de la dignité de la personne humaine et des droits de la conscience chrétienne :

« L’Église, société parfaite, qui a pour unique fin la sanctification des hommes de tous les temps et de tous les pays », écrivait le pape au cardinal secrétaire d’État le 8 novembre 1918, « de même qu’elle s’adapte aux différentes formes de gouvernement, de même elle accepte sans aucune difficulté les légitimes variations territoriales et politiques ds peuples » (6).

Benoît XV et sa Curie se rendaient compte qu’à « l’époque des masses » qui faisaient irruption sur le devant de la scène historique, les grands protagonistes de l’histoire ne seraient plus les monarques et les chancelleries, mais les peuples, les nations et les grandes communautés sociales, et qu’une fois tombés les trônes et les royaumes apostoliques, dans les conditions des régimes parlementaires et des sociétés de masse, l’Église trouverait son soutien et son plus efficace défenseur dans ses propres masses catholiques mobilisées.

Le pape Benoît XV qui, pendant tout le conflit, rappelait avec persévérance aux belligérants les « justes et légitimes aspirations des peuples », comme la condition sine qua non d’une paix juste et durable, reconnaissait aussi la valeur morale et politique de la Nation en tant que communauté de droit naturel enracinée dans des conditions historico-religieuses particulières et fondement stabilisateur des États et incluait le respect de celle-ci dans le cadre du quatrième commandement, à condition qu’elle s’insère dans la dialectique chrétienne du tout et du particulier et qu’elle ne dégénère pas dans un comportement aveugle destiné à exalter la Nation (ou l’État) comme valeur suprême et à ignorer l’unité fondamentale du genre humain et l’universalisme chrétien, devenant ainsi un danger pour la paix et pour le bien commun.

En fin réaliste et sincère ami de l’homme dans toutes ses situations, Benoît XV comprenait bien qu’un monde nouveau avec des caractéristiques et des exigences nouvelles allait naître et il a accueilli son cri : un rappel fort à la liberté et aux droits fondamentaux des millions d’hommes en uniformes revenus des tranchées, des millions de femmes forcées à assumer les obligations des hommes absents, des prisonniers de guerre, des affamés, des veuves et des orphelins, des chrétiens russes persécutés, des Romanov en captivité ou en exil, des enfants de Francesco Ferdinando d’Este qui allaient perdre leurs derniers biens matériels, en somme, de tous les hommes souffrants, qu’ils soient des aristocrates portant des noms historiques ou les derniers parmi les plus humbles, qui attendaient des paroles de consolation, d’encouragement et de soutien ou qui revendiquaient leurs droits dans un contexte politique nouveau. Le pape n’avait pas l’intention de se faire exclure ni de faire exclure l’Église de ce monde nouveau même s’il se présentait comme laïc ou laïciste et de laisser enfermer l’Église dans les « sacristies » ou dans l’intimité des consciences, mais – conformément à la pensée augustinienne antique selon laquelle le fait de jouir de la paix terrestre facilitait la réalisation concrète de la « civitas Dei » dans la société humaine, il voulait la situer dans ce monde comme une instance morale présente dans la sphère publique et incisive dans la vie internationale, et non comme une partie intéressée parmi les parties intéressées, mais comme une mère et maîtresse « ni dépassée, ni en arrière, ni importune, mais vivante, mais bénéfique, mais amie » (7).

L’œuvre active de médiation et de paix effectuée par la diplomatie pontificale pendant et après le conflit et la très vaste action humanitaire qui s’est poursuivie encore après l’armistice d’une façon tellement généreuse qu’elle a vidée les caisses du pontife au point de contraindre les cardinaux à demander un crédit pour pouvoir ensevelir dignement le grand pape ligure disparu, furent les expressions du nouveau rôle international de la papauté en tant qu’autorité morale, pacificatrice et avocate non seulement de ses propres fidèles mais de l’homme en général et de toutes les valeurs humaines naturelles. Ce fut une mission universelle, de laquelle Jean-Baptiste Montini, le futur Paul VI, dira dans son discours historique prononcé au Capitole à la veille du Concile Vatican II que la papauté, humiliée par la perte du pouvoir temporel, « avait repris avec une vigueur singulière ses fonctions de Maîtresse de vie et de témoin de l’Évangile, au point de s’élever à une telle hauteur dans le gouvernement spirituel de l’Église et dans le rayonnement moral sur le monde, comme jamais auparavant » (8).

L’ordre nouveau qui se profilait à l’horizon pouvait devenir une « promesse et une garantie de liberté bien comprise et honnête, ou l’instrument de la pire des tyrannies selon qu’il serait ou non basé sur des principes clairement chrétiens ou sur ceux d’un laïcisme mécréant et athée », avertissait L’Osservatore Romano à l’aube de la première année d’après-guerre (9). Ce fut précisément par rapport à ce carrefour que le pape vit un devoir fondamental de son action religieuse-pastorale comme politico-diplomatique et il se hâta de l’accomplir, aidé par une équipe plutôt restreinte mais fidèle de diplomates, à cette époque encore tous italiens, formés dans l’ancien monde diplomatique des chancelleries, des salons et de la langue savante et qui, d’un jour à l’autre, furent contraints de s’adapter à des environnements, des langages et des interlocuteurs nouveaux.

La première étape fondamentale sur ce chemin fut la paix. Il était naturel que la diplomatie pontificale qui avait consacré tant de forces, pendant la guerre, à la restauration de la paix, cherche aussi après la fin des hostilités la véritable consolidation de la paix et son préalable fondamental, la détente des esprits. Il est bien connu que les négociations de paix se déroulèrent sans la participation du Saint-Siège, exclu par l’article 15 du Pacte de Londres, mais aussi en raison de l’intervention des forces laïcistes décidées à empêcher une interférence religieuse et ecclésiastique dans les organismes internationaux. Malgré cela, Benoît XV ne renonça pas aux seules cartes qui lui restaient pour intervenir : la parole pastorale dans les discours publics, la mobilisation de l’opinion publique catholique et la présence, au moins officieuse, de ses représentants diplomatiques.

Avant encore que soit réunie la Conférence de paix, dans sa brève encyclique Quod iamdiu, du 1er décembre 1918, Benoît XV, préoccupé par l’esprit d’imposition et de rancœur qui transparaissait dans les préparatifs du rassemblement parisien, sentait que la tâche du futur Congrès serait de combiner une paix juste et durable et il invitait les évêques à faire prier pour que s’y concrétise « ce grand don de Dieu qu’est la véritable paix fondée sur les principes chrétiens ». Parallèlement, le pape envoya le chef de sa diplomatie, l’habile secrétaire pour les Affaires ecclésiastiques extraordinaires Bonaventura Cerretti, en France, en Belgique, aux États-Unis et en Angleterre pour promouvoir de la part des épiscopats nationaux et de l’opinion publique catholique une action sur les gouvernements respectifs, dans le sens désiré par le Saint-Siège. Quand la Conférence de Paix se réunit à Paris, Cerretti, bien qu’exclu des négociations elles-mêmes, fut présent dans la capitale française pendant deux mois et réussit à adoucir le sort des lieux saints et des missions catholiques allemandes dans les colonies dont l’Allemagne vaincue fut privée, ainsi qu’à créer des contacts discrets avec les interlocuteurs italiens pour démêler lentement la question romaine non résolue.

Ce qu’était le contenu concret de la vision du pontife d’une nouvelle organisation européenne pour laquelle l’infatigable Cerretti chercha à sensibiliser l’opinion catholique dans les grandes puissances, était déjà bien reconnaissable dans la fameuse Note de paix de Benoît XV du 1er août 1917 : le respect de la justice et de l’équité dans les rapports entre les États et les peuples, le renoncement aux compensations réciproques, le respect du principe naturel de nationalité et des légitimes aspirations des peuples, le juste accès aux biens matériels et aux voies de communication pour tous, la réduction des armements et l’arbitrage comme instrument pacifique de résolution des conflits. De manière significative, le pontife préféra, plutôt que de justice, parler d’équité, à savoir la justice animée par la charité chrétienne, faisant appel au précepte évangélique fondamental de l’amour du prochain et du pardon des offenses, mais aussi à celui, politique, de l’impossibilité de réaliser des demandes maximalistes qui n’étaient pas en mesure d’assure la coexistence humaine et qui menaçaient de susciter, une fois que l’adversaire se serait repris, des réactions ruineuses pour la paix et pour les vainqueurs d’hier eux-mêmes.

Cet avertissement aux vainqueurs pour qu’ils n’abusent pas de leur force du moment indiquait aussi les limites entre lesquelles le Saint-Siège approuverait les traités de paix : ils étaient bienvenus parce qu’ils sanctionnaient l’arrêt des hostilités et ouvraient les possibilités d’une collaboration renouvelée entre les peuples, mais acceptés avec perplexité et critique, quand la paix restait sur la carte et non dans le cœur des hommes et que les exigences de la charité chrétienne n’étaient pas satisfaites. Un dualisme similaire marqua aussi l’estimation de la toute nouvelle Société des Nations. Son caractère universel et son objectif de protéger la paix ressemblaient trop aux propositions de Benoît XV lui-même (le désarmement, la sécurité collective, l’arbitrage obligatoire) pour ne pas attirer sa bienveillance, de même que son caractère libéral-laïciste enraciné dans l’idéologie de l’humanitarisme laïc, les influences de la franc-maçonnerie internationale auxquelles elle était soumise ainsi que l’exclusion du pontife de cet organisme international, ne pouvaient pas ne pas susciter des réserves et une distance, mais sans empêcher pourtant les diplomates du pape de soutenir des initiatives singulières destinées à une conclusion heureuse (10).

Un des plus grands défis pour la diplomatie papale d’après-guerre fut l’écroulement de la pluriséculaire monarchie habsbourgeoise. Même si le Saint-Siège ne se faisait aucune illusion sur l’état interne de la monarchie danubienne, imprégnée de l’héritage joséphiste et de la tradition juridictionnaliste « faussement considérée par certains comme le bastion de l’Église catholique », comme l’écrivit le fondateur du Parti populaire italien Luigi Sturzo (11), par la sécularisation avancée et par des scissions nationales et idéologiques, la ruine de la dernière grande puissance qui se reconnaissait catholique ne pouvait pas ne pas causer de préoccupations au Saint-Siège. Malgré cela, déjà quelques jours après l’armistice de Villa Giusti, le pontife chargea le chef de sa nonciature apostolique à Vienne, Mgr Teodoro Valfrè di Bonzo, de « se mettre en relation amicale avec les différentes nationalités de l’État austro-hongrois qui se sont récemment constituées en États indépendants » (12). À la représentation la plus noble du pape à la Cour des Habsbourg, transformée d’un jour à l’autre en un centre d’action improvisé de l’Europe centrale, incomba ainsi la tâche centrale de procurer au Saint-Siège les informations si douloureusement manquantes et de construire de nouveaux canaux pour une communication efficace et une action diplomatique, afin de sauvegarder les intérêts de l’Église et, à travers une action rapide en un temps crucial, de lui assurer la place dûe dans la nouvelle formation des États (13).

Le profil du monde nouveau qui s’entrouvrait sous les yeux du nonce comportait un bon nombre de défis : les tristes conséquences du juridictionalisme austro-hongrois qui avait lié les Églises particulières à l’État et à l’establishment dominant, exposant l’Église (…) à des critiques acerbes et à des mesures vexatoires, des revendications politiques des nouveaux gouvernements désireux de ne pas perdre leurs droits en matières ecclésiastiques exercés par le pouvoir politique sous le régalisme austro-hongrois, la perte de biens ecclésiastiques dûe à des saisies ou à des réformes agraires, des demandes de séparation entre l’Église et l’État, des territoires des diocèses coupés par les nouvelles frontières politiques. Plus encore : la charge émotionnelle, le ferment politique et spirituel, les vagues de nationalisme ne s’arrêtèrent même pas aux portes de l’Église et aboutirent à différents courants réformistes particulièrement ressentis dans les pays bohêmes où plus d’un million de personnes quittèrent l’Église catholique et où naquit une Église nationale considérée comme l’accomplissement religieux de l’émancipation politique de la Nation.

Benoît XV et ses diplomates furent ainsi mis devant la nécessité de développer des stratégies pour défendre les catholiques de l’impact laïciste, assurer à l’Église catholique le poste qui lui était dû dans la nouvelle formation des États, l’émanciper des charges du juridictionalisme, fussent-elles anciennes ou nouvelles, rétablir à l’intérieur de l’Église la parfaite unité de doctrine et d’organisation qui avaient souffert des développement précédents et la lancer sur le chemin de la reconquête de l’espace social perdu. Concrètement, il fallait rétablir l’aménagement ecclésiastique territorial et juridictionnel en harmonie avec les nouvelles réalités étatiques et avec les nouveaux besoins pastoraux, nommer de nouveaux évêques de la nationalité de leurs fidèles, tout en récupérant la liberté de nomination des évêques et en finissant une fois pour toutes avec la triste pratique des différents patronages royaux ou étatiques et enfin augmenter le niveau intellectuel et moral des clercs à travers l’action pastorale des nouveaux évêques, la réforme de l’éducation et de la formation des clercs dans un esprit vraiment catholique (14).

Ce fut une situation complexe et un défi difficile que la diplomatie pontificale dut affronter avec une connaissance et des moyens insuffisants, mais avec courage et sans aucun préjugé, réussissant rapidement à consolider la situation, grâce entre autres à l’œuvre accomplie par les nouveaux diplomates apostoliques, personnages extraordinaires, presque tous devenus cardinaux ou même pontifes : Achille Ratti et Lorenzo Lauri en Pologne, Clemente Micara et Francesco Marmaggi en Tchécoslovaquie, Lorenzo Schioppa et Cesare Orsenigo en Hongrie, Ermenegildo Pellegrinetti dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (plus tard la Yougoslavie), Francesco Marmaggi et Angelo Maria Dolci en Roumanie, et beaucoup d’autres.

Les défis procurés par la révolution bolchévique en Russie ne furent pas moins dramatiques ; celle-ci chassa le gouvernement tsariste par son hostilité persécutrice à l’égard de l’Église catholique, le remplaçant, après une brève phase d’expectative optimiste au Palais apostolique, par un régime d’oppression et ennemi de la loi divine et naturelle jamais connu auparavant. Quand le régime soviétique se révéla durable, de manière surprenante, et la situation des catholiques dans ses frontières de plus en plus dramatique, et quand même le régime soviétique, poussé par le besoin d’être consolidé, découvrit les avantages politiques de la reconnaissance diplomatique du pape, la diplomatie vaticane n’a toutefois pas craint d’entrer en contact avec les révolutionnaires bolchéviques en uniforme et de commencer des négociations diplomatiques pour assurer la survie du catholicisme en Union soviétique. Les négociations échouèrent, mais le Saint-Siège parvint au moins à envoyer en Union soviétique une imposante mission caritative, contribuant ainsi à sauver des milliers de vies humaines (15). Le christianisme en Russie et en Union soviétique demeura cependant une des préoccupations majeures de tous les papes du XXè siècle si tourmenté.

En dépit de toutes les difficultés et de la poursuite de la situation d’infériorité diplomatique liée à la Question romaine non résolue, la guerre et les développements qui l’ont immédiatement suivi, la stricte impartialité, les vastes actions de médiation, de pacification et d’aide et le généreux amour pour l’homme et pour tous les peuples, le respect et le prestige dont jouissaient la papauté et sa diplomatie augmentèrent et sa position sur l’échiquier international se renforça. Pour le dire en termes purement arithmétiques, tandis qu’au commencement du pontificat, en septembre 1914, le Saint-Siège n’avait de relations qu’avec 17 États, avant la mort du pape Della Chiesa, en janvier 1922, le nombre des partenaires diplomatiques était monté à 27 ; ce chiffre n’incluait pas seulement les nouveaux États qui ressentaient le besoin du soutien du souverain le plus ancien et de l’autorité morale du pape, mais aussi les grandes puissances qui avaient coupé avant la guerre toutes relations avec le pape, comme la France ou la Grande-Bretagne, ou encore la République de Weimar, qui abandonna le vieux système dans lequel les États de Prusse et de Bavière maintenaient leurs propres représentants à Rome et accueillaient les nonces sur leur territoire et qui noua des rapports diplomatiques au niveau central. Il devint à nouveau évident que, malgré tous les nuages à l’horizon, le Seigneur ne cessait pas d’aider Son Église. Quand le nonce apostolique à Vienne, Valfrè di Bonzo, effrayé par les événements de l’automne 1918, écrivit au pape Benoît XV, son ami de jeunesse, une lettre pleine d’anxiété, le pape, rempli d’optimisme nourri par sa foi, lui répondit : « … les hommes disent que tout dépend des événements, je dis que nous sommes dans les mains de Dieu : Eet vous ne voudriez pas ajouter que  “nous sommes en de bonnes mains” ? » (16).

_________________________

[1] I Diari del Cardinale Ermenegildo Pellegrinetti 1916-1922, a cura di Terzo Natalini, Città del Vaticano: Archivio Vaticano, 1994, p. 182.

[2] Ibid., p. 159.

[3] Cf. Divers discours publics de Benoît XV comme par exemple la Lettre pastorale au cardinal Pompilj du 4 mars 1916 ; la Lettre au cardinal Gasparri du 5 mai 1917 ; la Note aux puissance belligérantes du 1° août 1917.

[4] L’Osservatore Romano, 25 juin 1919.

[5] Cf. surtout l’encyclique Quas primas del 1925, in Enchiridion delle encicliche, vol. 5, Pio XI (1922-1939), Bologna 1995, pp. 158-193.

[6] Benoît XV au cardinal secrétaire d’État Gasparri dans sa Lettre apostolique Dopo gli Ultimi du 8 novembre 1918, in La Civiltà Cattolica, 1918, vol. IV, p. 343; AAS, vol. 10, 1918, p. 579.

[7] Pour la citation cf. Giorgio Rumi, Introduzione, in Benedetto XV e la pace – 1918, a cura di Giorgio Rumi, Brescia, Morcelliana, 1990, p. 8.

[8] Giovanni Battista Montini, Discorsi e scritti milanesi (1954-1963), III (1961-1963), Brescia, Istituto Paolo VI, 1997, pp. 5348-5361.

[9] L’Osservatore Romano, 1° janvier 1919.

[10] Pour l’attitude du Saint-Siège à l’égard de la Société des Nations, cf. S.RR.SS, AA.EE.SS, Stati Ecclesiastici, pos. 506 P.O., fasc. 515, rapporti del nunzio apostolico a Berna Di Maria e del consigliere della Nunziatura Laghi alla Segreteria di Stato, 1934-1935.

[11] Luigi Sturzo, I discorsi politici, Roma, Istituto Luigi Sturzo, 1951, p. 391. [12] Dopo Gli Ultimi, Lettera apostolica di Benedetto XV al cardinale Segretario di Stato, in, La Civiltà Cattolica, 1918, vol. IV, p. 343.

[13] Cf. Emilia Hrabovec, Der Heilige Stuhl und die Slowakei 1918-1922 im Kontext internationaler Beziehungen, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2002, pp. 19-32, 67-78.

[14] Cf. Gianpaolo Romanato, “Achille Ratti in Polonia nel contesto del rinnovamento cattolico dopo la prima guerra mondiale”, in Nunzio in una terra di frontiera. Achille Ratti, poi Pio XI, in Polonia (1918-1921), a cura di Quirino Alessandro Bortolato e Mirosław Lenart, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2017, p. 24; Emilia Hrabovec, “Pio XI e le conseguenze pastorali dei trattati di pace nell’Europa centro-orientale: il caso della Cecoslovacchia e dell’Ungheria”, in La sollecitudine ecclesiale di Pio XI. Alla luce delle nuove fonti archivistiche, a cura di Cosimo Semeraro, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2010, pp. 363-395.

[15] Giorgio Petracchi, “La missione pontificia di soccorso alla Russia (1921-1923)”, in: Santa Sede e Russia da Leone XIII a Pio XI. Atti del Simposio organizzato dal Pontificio Comitato di Scienze Storiche e dall’Istituto di Storia Universale dell’Accademia delle Scienze di Mosca. Mosca, 23-25 giugno 1998, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2002, pp. 122-180.

[16] Giacomo Della Chiesa, Lettere ad un amico Teodoro Valfrè di Bonzo, a cura e con introduzione di Giorgio Rumi, Milano, NED, 1992, p. 13.

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Hélène Ginabat

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