La théologie de la libération, la vraie

Analyse de Mgr Müller

Share this Entry

« Il n’y a aucune rupture entre le cardinal Ratzinger/Benoît XVI et le pape François concernant la théologie de la libération », affirme Mgr Müller.

Dans certains milieux, la nomination de Mgr Gerhard Ludwig Müller comme préfet de la Congrégation qui s’occupe de la doctrine catholique, et l’élection de l’archevêque de Buenos Aires  comme évêque de Rome, sont vues comme une revanche de la théologie de la libération, combattue par Jean-Paul II et par le cardinal Joseph Ratzinger. 

Pour y voir un peu clair dans ces conjectures Włodzimierz Rędzioch a rencontré Mgr  Müller. Son entretien a été publié en polonais par l’hebdomadaire Niedziela, et paraîtra en anglais dans Inside the Vatican.

Depuis le 2 juillet 2012, la Congrégation pour la doctrine de la foi, le plus important des dicastères de la curie romaine, est dirigée par un nouveau préfet : pour la deuxième fois dans l’histoire récente de l’Eglise, c’est un théologien allemand qui a été choisi, et de surcroît un ami personnel de Benoît XVI : l’ancien évêque de Ratisbonne, Gerhard Ludwig Müller. 

Le choix du pape n’a été dicté en aucune façon par des motifs personnels : Mgr Müller a été nommé préfet, parce qu’il est l’un des plus brillants théologiens de l’Eglise, comme le montre sa carrière académique.

Gerhard Ludwig Müller est né le 31 décembre 1947 à Mainz-Finthen dans une famille ouvrière. Il a étudié théologie et philosophie à Mayence, Munich et Fribourg. En 1977, il obtient un doctorat en théologie et un an plus tard est ordonné prêtre par le cardinal Herman Volk. En 1986, Il est appelé à la chaire de théologie dogmatique à l’Université Ludwig Maximilian de Munich : il avait alors 38 ans et était un des plus jeunes professeurs de l’université. 

Il a enseigné dans des universités au Pérou, en Espagne, aux Etats-Unis, en Inde, en Italie et au Brésil. Il est l’auteur de plus de 400 publications scientifiques, dont la plus connue est sa « Dogmatique catholique », une œuvre monumentale. 

Le pape Jean-Paul II l’a nommé évêque de Ratisbonne en 2002 et sa  devise épiscopale est « Dominus Iesus ». Au Vatican Gerhard Müller était déjà connu: dans les années 1998-2003 il a été membre de la Commission théologique internationale, et a travaillé au Conseil pour l’unité des chrétiens comme expert en œcuménisme. En 2008, le Saint-Père lui a demandé de fonder l’Institut Pape Benoît XVI (http://www.institut-papst-benedikt.de/franzoesisch.html), dont le siège est à Ratisbonne et qui a pour but principal de publier les œuvres complètes de Joseph Ratzinger.

Dans certains milieux catholiques, la nomination de l’évêque de Ratisbonne au poste de préfet de l’orthodoxie catholique a suscité de l’inquiétude, car on l’accusait d’être en contact avec les représentants de la théologie de la libération, ayant pour ami le père Gustavo Gutierrez, avec lequel il avait aussi écrit un livre Du côté des pauvres. Théologie de la Libération. 

Et la théologie de la libération était condamnée aussi bien par le pape Jean-Paul II que par l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger. Si bien que cette question constitue le sujet principal de notre conversation… 

Zenit – Comme prêtre et comme évêque vous avez toujours été très sensible aux valeurs de justice, solidarité et dignité de la personne. Pourquoi cet intérêt pour les problèmes sociaux? 

Mgr Müller – Je viens moi-même de Mayence. Au début du XIX siècle, l’évêque de la ville,  le baron Wilhelm Emmanuel von Ketteler, était un grand évêque, un précurseur de la doctrine sociale de l’Eglise. Enfant, je vivais dans cette ambiance d’engagement social. Et n’oublions pas que si en Europe, après la seconde guerre mondiale et après les dictatures, nous avons réussi à construire une société démocratique, c’est aussi à la doctrine sociale de l’Eglise catholique que nous le devons. Grâce au christianisme, des valeurs comme la justice, la solidarité et la dignité de la personne ont été introduites dans les constitutions de nos pays.

En regardant votre parcours on voit que vous avez eu beaucoup de contacts avec l’Amérique Latine. Comment est né ce lien avec l’Eglise latino-américaine ?

Pendant quinze ans je me suis rendu en Amérique Latine, au Pérou, mais aussi dans d’autres pays. J’y passais toujours entre deux ou trois mois par an, vivant au milieu des habitants, c’est à dire dans des conditions très modestes. Au début, pour un européen cela est difficile, mais quand on apprend à connaître les gens personnellement et que l’on voit comment ils vivent, alors on peut l’accepter. Un chrétien est chez lui partout ; là où il y a un autel, le Christ est présent ; partout, tu fais partie de la grande famille de Dieu.

Quand l’année dernière vous avez été nommé préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, des voix se sont élevées vous accusant d’entretenir des liens étroits avec le père Gustavo Gutiérrez, fondateur de la théologie de la libération. Que pouvez-vous nous dire à ce propos?

C’est vrai, je connais bien le père Gustavo Gutiérrez. En 1988 j’ai été invité à participer à un séminaire avec lui. J’y suis allé avec quelque réserve car je connaissais bien les deux déclarations de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la théologie de la libération publiées en 1984 et en 1986.  

Mais j’ai pu constater qu’il faut faire la distinction entre une mauvaise et une bonne théologie de la libération. J’estime que toute bonne théologie part de Dieu et de Son amour et qu’elle a quelque chose à voir avec la liberté et la gloire des enfants de Dieu. 

Ainsi, on ne saurait mélanger la théologie chrétienne, qui parle du salut donné par Dieu, à l’idéologie marxiste qui parle d’une auto-rédemption de l’homme. L’anthropologie marxiste est complètement différente de l’anthropologie chrétienne parce qu’elle traite l’homme comme privé de liberté et de dignité. Le communisme parle de dictature du prolétariat, alors qu’une bonne théologie parle de liberté et d’amour.

Le communisme, tout comme le capitalisme néolibéral, refuse la dimension transcendantale de l’existence et se limite à l’horizon matériel de la vie. Le capitalisme et le communisme sont les deux faces d’une même monnaie, une fausse monnaie. Alors que pour édifier le royaume de Dieu, la vraie théologie de la liberté puise à la Bible, aux pères de l’Eglise, aux enseignements du Concile Vatican II. 

Dans certains milieux votre nomination à la tête de la congrégation et la récente élection de l’archevêque de Buenos Aires à la tête du diocèse de Rome ont été vues comme une vraie revanche de la théologie de libération combattue par Jean-Paul II et par le cardinal Joseph Ratzinger. Que répondez-vous à cela ?

Je tiens tout d’abord à souligner qu’il n’y a aucune rupture entre le cardinal Ratzinger/Benoît XVI et le pape François concernant la théologie de la libération. Les documents du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à l’époque servaient à clarifier ce qu’il fallait éviter pour faire de la théologie de la libération  une vraie théologie de l’Eglise. Ma nomination ne signifie pas ouvrir un nouveau chapitre dans les rapports avec cette théologie, elle est un signe de continuité.

Benoît XVI, en recevant le 7 décembre 2009 un groupe d’évêques du Brésil en visite ad limina, a dit « cela vaut la peine de rappeler qu’en août dernier, l’Instruction « Libertatis nuntius« , de la Congrég
ation pour la doctrine de la foi, sur certains aspects de la théologie de la libération, a fêté ses vingt-cinq ans. En parlant de cette théologie il a ajouté : « Ses conséquences plus ou moins visibles faites de rébellion, de division, de désaccord, d’offense, d’anarchie, se font encore sentir, créant dans vos communautés diocésaines de grandes souffrances et une grave perte de forces vives ». Etes-vous d’accord avec cette analyse du pape concernant les conséquences de la théologie de la libération?

Ces aspects négatifs dont parle Benoît XVI sont le résultat d’une mauvaise compréhension, d’une mauvaise application, de la théologie de la libération. Il n’y aurait pas eu ces phénomènes négatifs si la vraie théologie avait été appliquée. Les différences idéologiques créent des divisions au sein de l’Eglise. Mais cela arrive aussi en Europe entre catholiques progressistes et conservateurs. Ceci rappelle la situation de Corinthe où il y avait ceux qui se référaient à Pierre, et d’autres au Christ. Mais nous devons tous être unis en Jésus-Christ, car Dieu unit, le mal divise. La théologie qui crée des divisions est plutôt une idéologie. La vraie théologie doit être tournée vers Dieu et il n’y aura alors pas de divisions.

Excellence, en recevant en 2008 un doctorat « honoris causa » à l’université pontificale catholique du Pérou, vous avez condamné dans votre intervention « l’infamie de notre époque : le capitalisme néolibéral ». Le capitalisme néolibéral est-il une structure du mal?

Il est difficile de faire des comparaisons entre une structure du mal et un péché personnel, car tout péché a une dimension sociale, dans la mesure où il s’insère dans une structure : famille, lieu de travail, société, nation. Le capitalisme néolibéral est une de ces structures du mal qui, aux XIXe et XXe siècles, voulaient éliminer les valeurs du christianisme. Mais je le répète, derrière chaque structure il y a des personnes qui acceptent ses principes, alors derrière chaque structure du mal il y a des péchés personnels.

Traduction d’Océane Le Gall

Share this Entry

Włodzimierz  Rędzioch

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel