L’événement singulier de la « Shoah » concerne toute l’humanité (card. Lustiger)

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CITE DU VATICAN, Jeudi 27 janvier 2005 (ZENIT.org) – Le cardinal Lustiger souligne que l’événement singulier et monstrueux de la « Shoah » concerne toute l’humanité, pas seulement les victimes et les bourreaux ou l’Europe, mais toute l’humanité.

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Le cardinal Jean-Marie Lustiger a été choisi par Jean-Paul II comme son envoyé spécial aux célébrations du 60e anniversaire de la découverte du camp d’extermination d’Auschwitz, qui ont lieu en ce jeudi 27 janvier. Avant son départ, l’archevêque de Paris a donné une conférence de presse à Paris, le 21 janvier. Nous transcrivons nos notes, en respectant le style oral. Titres de la rédaction.

Du témoignage à l’histoire, face à trois « falsifications »

Le cardinal Lustiger a tout d’abord souligné l’importance des témoignages des anciens déportés et des récits publiés ces derniers temps dans les media. Il voit une « nécessité absolue de maintenir, affirmer, exprimer, vérifier, la vérité historique ». Une nécessité face aux « entreprises de falsification », la « première » étant celle « des nazis » qui « ont voulu tout camoufler ».

La seconde, non « moindre », celle du « régime stalinien, y compris dans la présentation d’Auschwitz », avec une « répartition par nationalités », selon les langues parlées. Ce régime a en effet catalogué comme juifs, rappelait le cardinal Lustiger, seulement les personnes « qui parlaient Yiddish, Ladino ou Hébreu, or, rares étaient par exemple les Juifs de France qui parlaient ces langues, ils étaient francophones ». Il voit dans cette présentation une « déformation systématique de l’histoire ».

« La troisième falsification, faisait observer le cardinal Lustiger, est celle du révisionnisme occidental contemporain ».

Dans ce contexte, insistait le cardinal, « le rappel historique est capital », au moment où « les témoins » vivent encore. Car, ensuite, on va passer « de la mémoire à l’histoire ».

Il citait à ce propos le discours de Jean-Paul II à Jérusalem, à Yad vaShem, en l’an 2000.

Qui est concerné par la « Shoah » ?

Pour ce qui est du nom donné à l’extermination voulue et systématique des Juifs d’Europe par le régime nazi, le cardinal soulignait qu’au nom d’ « Holocauste » ou de « Déportation », on a finalement préféré celui de « Shoah » pour désigner un « désastre à nul autre comparable ».

Or, soulignait le cardinal, il ne s’agit pas d’un événement qui concerne seulement les Juifs, -certes – ou les bourreaux, – oui – mais aussi « toute l’humanité » : « Cela concerne les Juifs, ce sont eux que cela touche. C’est l’affaire des bourreaux, oui, et non. Sinon, au bout de 60 ans ce ne serait plus qu’un événement du passé. C’est une affaire qui concerne toute l’humanité, contemporaine, scientifique, technique, la mondialisation ».

Le cardinal Lustiger évoquait à ce propos un « antécédent », un « événement majeur qui a concerné toute l’humanité » : « la « première » guerre « mondiale », première guerre scientifique et technique, de destruction massive ». Elle a été appelée « la Der des Der », la « dernière » : c’est ce qu’espérait le courant pacifiste de « l’entre-deux guerres », après avoir réfléchi à la « cruauté » inédite de ce conflit. Mais elle n’a pas été la dernière, déplorait le cardinal.

La Shoah a été plus « exceptionnelle », en tant qu’extermination « scientifique et technique délibérée », reposant « sur le mensonge », le « camouflage ». Mais quelle signification a-t-elle pour l’humanité ?

Responsabilité mondiale de l’humanité

Il s’agit d’un « symptôme décisif, singulier, unique, de quoi est capable l’humanité quand sa raison déraisonne, et utilise sa puissance à ses fins ». Ce n’est plus « le mythe du savant fou » qui a hanté l’imaginaire au début du XXe siècle, cela. Ce n’est pas actuellement cela qui est à craindre, mais « la nation folle, les hommes qui dans la mondialisation s’emparent des moyens de la puissance, sans être capables de la maîtriser par les procédures rationnelles que l’humanité veut se donner, que ce soit la démocratie, que ce soient les droits de l’homme, le respect de valeurs fondamentales, etc.» : « Tout est possible, tout peut encore arriver. Du coup, cette expérience singulière de la Shoah montre comme un cas d’école jusqu’où peut aller la folie humaine et cela montre de quoi les hommes sont capables et aussi la responsabilité mondiale de l’humanité ».

Il faut donc « éduquer les générations futures à cette responsabilité », non pas comme « une culpabilité qui pèserait sur les hommes, mais comme une mise en garde ». « Nos civilisations sont capables de maîtriser cela sur des dimensions réduites : on sait « faire de la prévention sanitaire, parfois, dans certains pays, par exemple contre les risques routiers, mettre des interdits pour limiter les risques, ou même le tabac ». Mais, « comment graver dans la conscience des générations qui viennent qu’ils ont à gérer leur liberté pour qu’elle ne devienne pas folle et qu’elle soit fondée sur le respect imprescriptible des droits des autres êtres humains ». « Sinon, le risque d’une catastrophe est cette catastrophe absolue, d’un peuple détruit, simplement parce qu’il était ce peuple, jeunes, vieux, femmes, enfants, sans distinction de culture, d’utilité sociale, etc. Aucun argument rationnel ne tient là-dedans. C’est la première raison, et je crois qu’à ce titre, cela concerne toute l’humanité, et pas simplement les victimes, pas simplement les bourreaux ». Les victimes sont « un signe qui doit nous faire réfléchir ».

Tuer les témoins. Tous.

« La deuxième raison : cet « antisémitisme » – même si le mot est « équivoque », employant un concept racial qui tombe dans les catégories des idéologies du nazisme et des idéologies du XIXe siècle finissant et du début du XXe s., – porté à son paroxysme technique et exécuté, qu’a été l’entreprise nazie (il faut dire que du côté stalinien il y a eu quelques entreprises aussi dont l’histoire pas encore révélées) a une autre explication dans le contexte de la civilisation occidentale et mondiale : ce peuple a été tué pour être tué, on découvre toujours des victimes, dans les pays de l’Est on commence à inventorier seulement maintenant des charniers juifs russes, ukrainiens, exécutés, fusillés, dès 1939, par les « Einsatzgruppen », les commandos, à l’arrivée en Pologne. Pas du tout par hasard ».

Peuple juif porteur de la loi morale fondamentale

« Comment expliquer cet antisémitisme ? », s’interrogeait le cardinal Lustiger. « Aucune explication sociale, économique, nationale, culturelle, etc. ne justifie une telle extermination ». « Quelle valeur symbolique représentait ce peuple aux yeux des nazis, d’une partie de l’Occident ? » Le cardinal disait sa « conviction intime » que « le Peuple juif continue d’être porteur de cette loi morale fondamentale qu’il reçoit de la révélation des dix commandements, dont la transcription séculière et laïque sont les droits de l’homme, à condition de leur conserver toute leur rigueur. Et aussi, il est porteur d’une transcendance que l’athéisme occidental peut nier, mais dont la personne humaine porte la trace. Même un athée occidental hérite d’une certaine transcendance de la condition humaine.

Un héros de Dostoïevski dit : « Si Dieu n’existe pas, on peut tout faire ». Ce mot est prophétique. Il s’agissait de tuer les témoins, la loi nazie – de prétention divine – « Gott mit uns », « Dieu avec nous », mais Dieu, c’est nous. Tuer le messager, pour supprimer le message. Tuer le peuple porteur de cela malgré lui, malgré ses erreurs, quel que soit leur génie, les faiblesses de ces pauvres gens, les lâchetés, il n’y a pas à les choisir : c’est cela qu’ils représentaient, il faut les tuer tout. Il fallait les tuer tous. Les tuer en raison de ce qu’ils sont, pas en raison d’une responsabilité pe
rsonnelle. Ce n’est pas de l’eugénisme, même si c’est habillé d’une théorie raciale qui ne tient pas debout scientifiquement. Il faut donc les tuer, c’est aussi simple que cela. Le peuple juif devient le témoin de ce que cette ambition refuse d’accepter ou de voir ».

C’est ce qui fait l’unicité d’Auschwitz, qui « dévoile ce que nous refusons de voir dans tous les autres malheurs ou massacres du monde, et tout ce qui s’est passé depuis 70 ans dans le monde ».

Le mal absolu c’est le manquement à l’humanité de l’homme

A la lecture d’Auschwitz, reprenait-il, on peut « lire que ce qui s’est passé dans les massacres ethniques, raciaux, économiques, le défi fondamental à l’humanité ce que des raisons circonstancielles pourraient masquer ». « Cela projette une lumière sur les guerres ethniques, dans les Balkans par exemple : ce que connaissent les tribunaux internationaux (heureuse création de ces dernières années) sont chargés de déclarer s’il y a crime contre l’humanité ou non, de discerner les responsabilités, en faire la preuve juridique, par humanité, par civilisation, de façon à ne pas faire un « contre-génocide » pour répondre à un génocide.

Prenons les conflits en ex-Yougoslavie, – présents à nos esprits, heureusement apaisés – les tribunaux internationaux peinent à identifier les responsables et voir jusqu’où il faut aller ou ne pas aller: mettre en cause un peuple ? un dirigeant ? une classe, une catégorie de citoyens ? dans ce débat, le mal absolu c’est le manquement à l’humanité de l’homme. La Shoah peut servir de clef de lecture pour apprécier ces autres malheurs. Elle nous permet de voir que l’enjeu dans les massacres, les conflits, les manquements aux droits de l’Homme, relèvent de ce même mépris de l’homme porté à son paroxysme, et donc aussi du mépris de la transcendance inscrite dans la condition humaine où l’on voit, nous croyants, l’image et la ressemblance de Dieu ».

Ne pas faire de la Shoah une nouvelle « Der des Der »

« Ce 60e anniversaire est très important. En passant du souvenir à l’histoire, nous ne devons pas faire de la Shoah une nouvelle « Der des Der », en disant : cela ne peut pas se reproduire. Mais nous sommes invités à réfléchir à ce qui habite le cœur des hommes, et chaque homme est responsable de ce qui l’habite, lui, du bien et du mal. Cela concerne toute l’humanité, pas seulement les amis ou les ennemis des Juifs, pas seulement les Européens, à défaut des Asiatiques ou des Africains, mais la dimension éthique de la mondialisation, cela concerne tout homme et l’humanité », a conclu le cardinal Lustiger.

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ZENIT Staff

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