Homélie du primat anglican, à Saint-Grégoire de Rome

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Répondre à l’appel de Dieu dans celui qui est dans le besoin

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ROME, mardi 13 mars 2012 (ZENIT.org) – « L’Eglise est appelée à montrer le même esprit prophétique que celui de saint Grégoire, la capacité de voir où est le véritable besoin et de répondre à l’appel de Dieu dans la personne de celui qui est dans le besoin », déclare l’archevêque de Cantorbéry.

Voici notre traduction de l’homélie de l’archevêque de Cantorbéry et primat de la Communion anglicane, Rowan Williams, lors des vêpres présidées avec Benoît XVI, samedi 10 mars, dans l’église des Saints-André-et-Grégoire au Celius, à Rome, à l’occasion du millénaire de la fondation de l’ordre des Camaldules (cf. Zenit du 12 mars 2012 pour l’homélie de Benoît XVI).

Homélie de l’archevêque Rowan Williams

Votre Sainteté,

Frères et sœurs dans le Christ,

C’est pour moi un grand honneur de me retrouver ici, en ce lieu où mes prédécesseurs sont venus en 1989 et 1996, pour offrir une fois encore, comme nous l’avons fait récemment à Westminster – et à Assise -, le sacrifice de louange que nous devons à l’unique Seigneur au nom duquel nous sommes baptisés ; l’unique Seigneur qui, par son Esprit, permet de reconnaître, dans chacun des membres de son Corps sacramentel, l’image et la vie abondante du Christ son Fils, à travers les tentations et les combats de notre vocation baptismale.

Saint Grégoire le Grand a beaucoup parlé des tentations et des combats propres à ceux qui sont appelés à remplir une fonction ministérielle dans l’Eglise de Dieu. Etre appelé à son service, c’est être appelé à souffrir de diverses manières – le tourment de la compassion, ainsi qu’il le nomme (Moralia 30.25.74), la conscience quotidienne des besoins urgents des hommes, corporels et spirituels, et le tourment des éloges, de la flatterie et du statut (ib. 26.34.62)-. Cette dernière épreuve en est une parce que ceux qui sont appelés à ce ministère connaissent bien leurs faiblesses et leur instabilité. Mais cette connaissance est salutaire, puisqu’elle nous permet de pourvoir efficacement aux besoins des personnes en difficulté ; et cela nous rappelle que nous ne trouvons la stabilité, soliditas, que dans la vie du Corps du Christ, et non dans notre propre réussite (Homélies sur Ezéchiel 2.5.22).

Ce sont des intuitions profondément enracinées dans la formation monastique de saint Grégoire. L’humilité est la clé de tout ministère fidèle, une humilité qui cherche sans cesse à être immergée, impliquée, dans la vie du Corps du Christ, sans chercher un héroïsme ou une sainteté individuels. Et c’est cette humilité que l’auteur de la première vie de saint Grégoire, écrite en Angleterre au début du huitième siècle, place en tête de la liste des vertus du saint ; il l’associe au don de « prophétie » qui lui permettait de voir ce dont le peuple anglais avait besoin et de répondre en envoyant, de Rome, la mission de saint Augustin [de Cantorbéry, ndlr]. Saint Grégoire lui-même fait d’ailleurs la même association entre l’humilité et la prophétie dans les Dialogues.

Parce qu’il est pris dans l’éternelle offrande que Jésus-Christ fait de lui-même, à travers les mystères sacramentels de l’Eglise, le véritable pasteur et chef de l’Eglise est quelqu’un qui est libre de voir les besoins des autres tels qu’ils sont réellement. Cela peut être « un tourment », car ces besoins peuvent être extrêmement profonds et tragiques ; mais cela nous pousse aussi à agir pour répondre à ces besoins au nom et avec la force du Christ.

Là se trouve le cœur de la vision monastique de saint Grégoire, une vision que les frères et sœurs Camaldules – dont nous fêtons ici aujourd’hui le millénaire avec une joie sincère – cherchent toujours à vivre. Etre immergé dans la vie sacramentelle du Corps du Christ requiert une immersion quotidienne dans la contemplation ; sans cela, nous ne pouvons pas nous voir clairement l’un l’autre ; sans elle, nous ne parviendrons pas à nous reconnaître et nous aimer les uns les autres, et à grandir ensemble dans son Corps unique, saint, catholique et apostolique. Dans la vie monastique, l’équilibre entre la solitude d’une part, et le travail et la prière en commun d’autre part – équilibre qui est particulièrement soigné dans la vie des Camaldules – est quelque chose qui tend à donner une vision claire, et même « prophétique », des autres ; comme le suggère la tradition chrétienne orientale représentée par Evagre, il s’agit de voir les autres dans la lumière de leur authentique essence spirituelle, et non en fonction de ce qui nous lie par nos passions ou nos préférences. Le travail inséparable de l’action et de la contemplation, de la solitude et de la communauté, a affaire avec la constante purification de la conscience que nous avons les uns des autres, dans la lumière du Dieu que nous rencontrons dans le silence et dans l’oubli de nous-mêmes.

Votre Sainteté, chers frères et sœurs, il ne serait pas juste de suggérer que nous entrons dans la contemplation afin de nous voir les uns les autres avec plus de clarté ; mais si l’on nous disait que la contemplation est un luxe dans l’Eglise, quelque chose d’immatériel pour la santé du Corps, nous devrions répondre que sans elle, nous n’aurions plus affaire constamment qu’à des ombres et à des fictions, et non à la réalité du monde dans lequel nous vivons.

L’Eglise est appelée à montrer le même esprit prophétique que celui de saint Grégoire, la capacité de voir où est le véritable besoin et de répondre à l’appel de Dieu dans la personne de celui qui est dans le besoin. Cela requiert une habitude du discernement, de la pénétration pour dépasser les préjugés et les clichés qui affectent aussi les croyants, dans une culture si souvent pressée et superficielle dans tant de ses jugements ; et à cette habitude du discernement appartient celle de nous reconnaître mutuellement comme des agents de la grâce, de la compassion et de la rédemption du Christ. Une telle habitude se développera uniquement si nous apprenons chaque jour la discipline du silence et de la patience, dans l’attente que la vérité se manifeste à nous, au fur et à mesure que nous laissons de côté les déformations de notre vision, causées par l’égoïsme et la cupidité.

Ces dernières années, nous avons vu se développer un système extrêmement sophistiqué d’irréalité, créé et soutenu par l’avidité, un ensemble d’habitudes économiques dans lesquelles les besoins des êtres humains réels semblent presque entièrement obscurcis. Nous nous sommes familiarisés avec une culture fiévreuse de la publicité qui nous pousse à développer des désirs irréels et disproportionnés. Tous, chrétiens et pasteurs inclus, nous avons besoin d’une discipline qui purifie notre vision et restaure en nous un certain sens de la vérité de notre monde, même si cela doit produire le « tourment » de connaître plus clairement combien les hommes et les femmes souffrent et combien nous pouvons faire peu pour eux par nos efforts individuels.

Votre Sainteté, réunis ici à Rome en 1989, nos prédécesseurs d’heureuse mémoire, le pape Jean-Paul II et l’archevêque Robert [Runcie, ndlr], ont caractérisé de « certaine mais encore imparfaite » la communion que partagent nos deux Eglises. « Certaine » à cause de la vision ecclésiale commune dans laquelle sont impliquées nos deux communautés, partageant la conviction que l’Eglise est, par nature, à la fois une et particulière : la perspective de la restauration de la pleine communion sacramentelle, d’une vie eucharistique qui soit pleinement visible, et donc d’un témoignage qui soit pleinement crédible, afin que ce monde troublé et tourmenté puisse entrer dan
s la lumière accueillante et transformatrice du Christ. Et pourtant « imparfaite », en raison des limites de notre vision, du manque de profondeur de notre espérance et de notre patience. La reconnaissance que nous avons de l’unique Corps dans la vie institutionnelle des uns et des autres est encore instable et incomplète ; pourtant, sans une telle reconnaissance ultime, nous ne sommes pas encore totalement libres de partager la puissance transformatrice de l’Evangile dans l’Eglise et dans le monde.

« La vérité vous rendra libres », dit notre Seigneur. Dans la discipline de la contemplation et du calme, nous sommes conduits plus près de la vérité, et donc plus près aussi de la croix du Seigneur. Nous apprenons notre faiblesse, et nous apprenons quelque chose de la manière mystérieuse dont Dieu utilise notre faiblesse – non pas en l’ignorant ou en la rejetant mais en en embrassant les conséquences dans l’incarnation et la passion du Christ. En se vidant de lui-même, il nous appelle à renoncer à nous-mêmes – thème approprié à ce temps de carême. Nous apprenons à laisser de côté nos emplois du temps remplis de nos propres intérêts et à permettre au Christ qui se donne de vivre en nous, d’ouvrir nos yeux et de nous rendre capables de servir.

Aujourd’hui, en rendant grâce pour le millénaire du témoignage monastique, nous célébrons les dons de claire et vraie vision qui ont été rendus possibles à travers ce témoignage. Et nous prions pour tous ceux qui sont appelés à exercer un ministère public dans l’Eglise du Christ, pour que leur soit donnée, dans leur témoignage, la grâce de la discipline contemplative et de la clarté prophétique afin que la gloire de la croix du Christ illumine notre monde, même au milieu de nos faiblesses et de nos échecs.

Traduction de l’anglais par Hélène Ginabat


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ZENIT Staff

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