Card. Ouellet - ZENIT - HSM

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Éducation : le card. Ouellet souhaite plus de contribution féminine (traduction complète)

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Il déplore le peu de place laissée à l’Esprit Saint

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« La conception et l’organisation des études supérieures portent encore exclusivement la marque masculine reconnaissable dans la planification, dans les prestations, dans les contenus objectifs, dans la technique et dans la discipline, qui tireraient un avantage certain de l’apport des valeurs vitales, affectives et relationnelles dont la femme est porteuse par nature, y compris dans les domaines de l’éducation supérieure. Et pourquoi pas dans les facultés ecclésiastiques ? » : l’observation est du cardinal Ouellet qui souhaiterait que plus de place soit laissée à l’Esprit Saint.

Le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, est intervenu à l’Assemblée plénière de la Congrégation pour l’éducation catholique qui s’est tenue du 17 au 20 février au Vatican. Il a proposé une lecture de la Constitution apostolique du pape François, « Veritatis gaudium », publiée intégralement dans L’Osservatore Romano en italien des 7-8 mars 2020.

Selon l’analyse du cardinal, « la culture ecclésiale concède en général peu de place à la femme dans la vie publique, en raison du fait de longue date d’un déficit pneumatologique encore très évident, malgré l’ouverture novatrice du concile Vatican II et la reconnaissance progressive post-conciliaire de la dimension charismatique de l’Église ». Saint Jean-Paul II, a-t-il souligné, « montre le lien très intime entre l’Esprit et la vocation de la femme, dans la continuité du rapport de l’Esprit à l’Église ».

Voici notre traduction de l’intervention du card. Ouellet.

HG

Intervention du cardinal Marc Ouellet

Dans la continuité avec ses prédécesseurs et avec la grande tradition chrétienne, le pape François a lancé un appel à tous les professionnels de l’éducation supérieure pour « un engagement généreux et convergent vers un changement radical de paradigme, ou plutôt – permettez-moi de dire cela – vers “une courageuse révolution culturelle” » (Veritatis gaudium, 3). Bien conscient de la signification missionnaire du concile oecuménique Vatican II et de la nécessaire réforme des études universitaires pour affronter les exigences de notre monde globalisé, François a prononcé cette déclaration solennelle au début du préambule de la constitution apostolique, qui indique le sens, l’importance et l’urgence d’une réforme intellectuelle pour répondre aux défis de l’évangélisation de notre époque.

François pense ici à la « nouvelle étape de l’évangélisation » qui consiste dans le témoignage de la « joie qui jaillit de la rencontre avec Jésus » et son Évangile, voulant dépasser le divorce entre la théologie et la pastorale, entre la foi et la vie ; comme ses prédécesseurs, il entend proposer aux croyants une vision unifiée et organique du savoir, fondée sur la Sainte Écriture et capable de donner une réponse aux questions les plus actuelles : le « changement d’époque » qui signifie davantage qu’une époque de changements, la « ”crise anthropologique” et ”socio-environnementale” » ; une crise grave qui réclame le changement du « modèle de développement mondial » et un effort pour « redéfinir le progrès ». D’où l’exigence d’une authentique « herméneutique évangélique » qui, au-delà d’une simple « synthèse » cultive « une atmosphère spirituelle de recherche et de certitude basée sur les vérités de la raison et de la foi ».

Quel modèle de formation et d’études supérieures inspire au Saint-Père cet appel à une révolution culturelle ? De quelle réforme intellectuelle une Église « en sortie » a-t-elle besoin pour communiquer son message original à l’humanité dans son ensemble, dans le contexte actuel d’un monde globalisé, qui est aux prises non seulement avec le sauvetage de notre maison commune, mais aussi avec un changement d’époque, un temps de transition et de rapides transformations culturelles et sociales ?

Le préambule de la constitution apostolique Veritatis gaudium marque le parcours de cette réforme qui se concentre en premier lieu sur l’annonce renouvelée du kérygme dans sa richesse de vérité ; il signifie avant tout « la foi en Jésus », la foi dans le saint nom de Jésus, qui révèle et conduit à son sommet « dans toute la création l’empreinte trinitaire », ce qui comporte « une mystique du ‘nous’ », qui inclut une option privilégiée pour les plus pauvres, ceux et celles qui sont rejetés de la société.

Un second critère consiste à promouvoir le « dialogue tous azimuts » non comme une tactique de communication mais comme une « exigence intrinsèque de la vérité » à partager jusque dans ses implications pratiques. Le dialogue favorise la croissance de la conscience humaine universelle qui veut servir une « culture de la rencontre » ouverte à toutes les cultures, centrée sur l’échange des dons reçus du Créateur, et guidée par un esprit d’accueil de toute vérité compatible avec la Révélation.

Un troisième critère et « l’inter- et la trans-disciplinarité » exercée avec sagesse et créativité à la lumière de la Révélation. Cet exercice d’interdépendance comporte le respect du « principe vital et intellectuel de l’unité du savoir », et la prise en compte de la distinction des disciplines et de la diversité des expressions culturelles. L’unité du savoir conçue de manière dynamique et harmonieuse s’enracine « dans l’unité de sa source transcendante et de son intentionnalité historique et méta-historique, qui est déployée eschatologiquement dans le Christ Jésus » (4c).

Le quatrième et dernier critère concerne la nécessité de s’organiser en « réseau » entre les différentes institutions universitaires, afin de favoriser les « synergies » et les collaborations systématiques et interdépendantes au service du « seul monde » qui est le nôtre comme « patrie » et « projet commun » (4d). Ce service de l’unité suppose une conception ecclésiale ouverte de la catholicité, selon la pensée du Christ, dont le modèle n’est pas la sphère mais « le polyèdre, qui reflète la confluence de tous les éléments partiels qui conservent en lui leur originalité » (Evangelii gaudium, 236). La théologie s’inscrit dans ce cadre comme cela s’est produit dans la longue tradition de l’Église, ce « grand fleuve » (Benoît XVI) qui féconde les processus culturels et sociaux à la lumière de l’Écriture Sainte ; le pape invite les théologiens à prendre aussi en compte les conflits récurrents dans l’histoire et à les résoudre dans l’Esprit « à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition » (Evangelii gaudium, 228)

Le préambule se termine par un avertissement selon lequel « les études ecclésiastiques ne peuvent se limiter à transférer des connaissances, des compétences, des expériences aux hommes et aux femmes de notre temps », mais elles doivent les équiper pour « concevoir, dessiner et réaliser des systèmes de représentations de la religion chrétienne capables d’entrer en profondeur dans des systèmes culturels différents » (5). Le pape confie enfin aux universités la tâche de développer une « apologétique originale » qui aide à « créer les dispositions pour que l’Évangile soit écouté par tous » (id. 132).

Après ce rapide examen, je me permets d’expliciter un élément du diagnostic et des perspectives théologiques qui pourraient contribuer à cette « révolution culturelle » que la nouvelle étape d’évangélisation  voudrait offrir aux problèmes cruciaux de notre époque. Il manque, dans le préambule, une mention de la problématique sociale, culturelle et religieuse de la femme, et de la reconnaissance progressive de son droit à l’éducation supérieure mais celle-ci est certainement implicite dans la recherche créatrice de nouveaux modèles susceptibles d’arriver « là où se forment les nouveaux récits et paradigmes » (ibid. 74). Il est important que non seulement le droit de la femme et son besoin d’éducation supérieure soient pris en considération, mais surtout que l’apport possible de la féminité, de ses qualités et charismes soient intégrés de droit et de fait dans le domaine des études universitaires et des sciences ecclésiastiques. C’est encore loin d’être le cas et cela appauvrit l’éducation.

Il est possible d’affronter cette grave lacune avec l’aide de l’interdisciplinarité dont parle le Saint-Père, en particulier sur le plan théologique, où il est possible de dépasser certains préjugés et habitudes du passé. La conception et l’organisation des études supérieures portent encore exclusivement la marque masculine reconnaissable dans la planification, dans les prestations, dans les contenus objectifs, dans la technique et dans la discipline, qui tireraient un avantage certain de l’apport des valeurs vitales, affectives et relationnelles dont la femme est porteuse par nature, y compris dans les domaines de l’éducation supérieure. Et pourquoi pas dans les facultés ecclésiastiques ?

Pour remédier à cette lacune, on pourrait penser qu’une affirmation énergique de la femme à tous les niveaux pourrait corriger l’injustice séculaire dont elle souffre et procurer une amélioration importante à l’organisation des études et au service que celles-ci rendent à la société. L’influence idéologique du féminisme dans de nombreux domaines montre toutefois la limite de ce type d’intégration et la nécessité d’une approche différente qui soit résolument féminine et lui permette de contribuer avec ce qu’elle a de plus spécifique et personnel.  Imaginons la « révolution culturelle » qui pourrait se produire si les femmes avaient seulement voix au chapitre à tous les niveaux de l’éducation, et si elles pouvaient librement mettre en oeuvre leur attention aux personnes, leur qualité d’écoute, d’accompagnement, de discernement et de médiation, leur résilience et leur créativité relationnelle ! Sans oublier leurs indéniables capacités intellectuelles qu’il convient de promouvoir avec la même intensité que celles des hommes, puisqu’aujourd’hui plus que jamais, l’éducation ne peut être dissociée d’une authentique culture de l’intelligence et de la contemplation désintéressée de la vérité, qui s’approprie la foi, sache « rendre compte de l’espérance qui est en nous » et mette toute ses ressources au service de la charité et de la communion.

Leur intégration dans un processus de transformation éducative devrait tirer un autre profit de la théologie et de l’enracinement de l’unité du savoir dans la source transcendante qui se répand dans l’incarnation du Verbe et qui culmine dans le mystère pascal et eschatologique de Jésus-Christ. L’horizon théologique mondial, qui devrait inspirer et soutenir toute l’architecture du savoir et son unité pluridisciplinaire, est la révélation du « mystère de l’Alliance » dont témoigne l’Écriture Sainte et que l’Église incarne de génération en génération, animée par l’Esprit Saint qui préside à toutes les phases et à toutes les formes d’inculturation. L’alliance éducative mondiale à laquelle le pape nous pousse et nous convoque repose en effet sur l’alliance verticale de Dieu avec l’homme en Jésus-Christ, qui donne à l’Église une grâce capitale et créative pour promouvoir l’éducation à tous les niveaux. Cette grâce oeuvre non seulement à travers la transmission de contenus mais avant tout par le biais des rapports humains quasi sacramentels lorsqu’ils sont sanctifiés par une charité débordante d’Esprit Saint. C’est précisément la clé cachée de l’attraction de l’éducation catholique et de son ouverture à la fraternité universelle.

Le changement historique que nous vivons consiste en particulier dans la rupture culturelle par laquelle, dans la vie quotidienne, l’homme ne se réfère plus à Dieu, son Créateur, ce qui comporte une crise anthropologique qui touche entre autre directement le sens et le respect de la dignité humaine, l’importance et la signification de la différence sexuelle, l’estime et la stabilité des institutions naturelles du mariage et de la famille. La femme est victime de cette crise sous de multiples aspects, elle en souffre dans ses conditions de vie, à cause des abus répétés qui l’atteignent, du manque de soutien social et culturel pour pouvoir donner sa pleine contribution à l’Église et à la société. Il ne suffit pas de la défendre de manière isolée, mais il faut la re-situer dans le projet de Dieu, selon sa création avec l’homme, à l’image de Dieu, « homme et femme », en communion d’amour unitif et procréatif qui reflète la fécondité de Dieu. La crise contemporaine de l’homme sécularisé attend la réponse de l’anthropologie trinitaire chrétienne, qui fonde en Dieu même la dignité de la personne, la valeur de l’amour conjugal et familial, l’origine de la différence sexuelle et les qualités propres et irréductibles de la femme.

D’où l’exigence d’une théologie nuptiale tous azimuts, qui comprenne la logique de l’incarnation et son sommet dans le mystère du Christ et de l’Église à partir du modèle intra-trinitaire de l’Amour absolu. Celui-ci consiste dans l’hypostase du don qu’est l’Amour paternel, l’hypostase de l’altérité qu’est l’Amour filial et l’hypostase de l’unité qu’est l’Amour nuptial. Je me rends compte de la surprise que peut susciter l’appellation d’Amour nuptial attribuée à l’Esprit Saint, mais je vous mets au défi de trouver mieux si vous pensez la propriété de son Amour à partir de son rôle dans l’économie du salut, en particulier en lien avec la Vierge Marie, qui porte à son glorieux accomplissement le dessein d’alliance de Dieu avec sa créature.

À part l’incontournable exception de la Mère de Dieu, la culture ecclésiale concède en général peu de place à la femme dans la vie publique, en raison du fait de longue date d’un déficit pneumatologique encore très évident, malgré l’ouverture novatrice du concile Vatican II et la reconnaissance progressive post-conciliaire de la dimension charismatique de l’Église. Il n’est pas possible ici d’entrer en détail dans une réponse adéquate inspirée par saint Jean-Paul II, qui montre le lien très intime entre l’Esprit et la vocation de la femme, dans la continuité du rapport de l’Esprit à l’Église jusqu’à l’accomplissement eschatologique des noces de l’agneau. « L’Esprit et l’Épouse disent : Viens, Seigneur Jésus ! ».

La révolution culturelle voulue par le pape François dans cette nouvelle phase d’évangélisation sous le signe de la joie et de la vérité, de la solidarité et de la fraternité, doit également passer par la « joie de l’amour nuptial » sous toutes ses formes et déclinaisons, de l’archétype trinitaire jusqu’à l’amour conjugal et familial, en passant à travers l’amour nuptial des ministre du sacerdoce et des personnes consacrées, sous l’égide englobante du Christ-Époux et de l’Église-Épouse, selon une logique pneumatologique qui considère la personne de l’Esprit Saint dans son mystère d’Amour ; sa personne-communion lui vaut bien le nom d’ « Esprit de vérité », puisqu’il confirme l’Amour consubstantiel du Père et du Fil en leur apportant un « plus » d’unité, de liberté et de fécondité qui mérite bien l’appellation d’Amour nuptial.

En bref, une réforme des études ecclésiastiques vise, en ultime analyse, au développement de la sacramentalité de l’Église comme mystère de communion, afin que la nouvelle phase d’évangélisation intègre les phases précédentes plus caractérisées par la dimension du Logos : il s’agit d’autre part de se ré-approprier pleinement, dans la ligne développée par saint John Henry Newman, saint Jean-Paul II ou Benoît XVI, dans une vision de sagesse intégrale, contre le séparatisme et la dispersion qui ont caractérisé la modernité, où la priorité soit la recherche du Dieu de la Révélation et son annonce (1). L’accent pneumatologique suggéré ici voudrait encourager une « évangélisation par attraction » qui mise sur la beauté des relations éducatives comme sur l’orthodoxie des idées. Nous avons devant nous la tâche d’une authentique révolution culturelle !

NOTE

(1) Cf. Benoît XVI, Discours au monde de la culture, Collège des Bernardins (Paris, France), 12 septembre 2008 : « Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. On dit que leur être était tendu vers l’« eschatologie ». Mais cela ne doit pas être compris au sens chronologique du terme – comme s’ils vivaient les yeux tournés vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif. Quaerere Deum : comme ils étaient chrétiens, il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. La recherche de Dieu requiert donc, intrinsèquement, une culture de la parole, ou, comme le disait Dom Jean Leclercq : eschatologie et grammaire sont dans le monachisme occidental indissociables l’une de l’autre (cf. L’amour des lettres et le désir de Dieu, p.14). Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la parole. »

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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