Le cardinal Filoni salue le pape François © L'Osservatore Romano

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Amérique : si l'Église n'évangélise pas, elle n'est pas elle-même, affirme le card. Filoni

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Entretien dans L’Osservatore Romano au retour de Bolivie

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« Si l’Église n’est pas missionnaire, si elle n’évangélise pas, elle n’est pas elle-même », affirme le cardinal Fernando Filoni. A son retour de Bolivie où il est intervenu au Cinquième Congrès missionnaire américain (CAM5) comme envoyé spécial du pape François, le préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, parle du continent dans les pages de L’Osservatore Romano daté du 19 juillet 2018.
Le cardinal évoque notamment le processus de croissance des communautés locales confrontées à une société relativiste, marquée par des problèmes de migration, de la pauvreté, de la dégradation de l’environnement et des violations de la dignité humaine. « Il y avait besoin – dit-il – de mieux cibler la vision du pape François sur la nature missionnaire de l’Église. Et je pense que cet aspect s’est clairement vu, non seulement dans l’enthousiasme, dans l’engagement très nombreux et très vivant, mais aussi dans le travail qui a été fait ».
Il revient aussi sur la région de l’Amazonie, rappelant « que celle-ci n’est pas un zoo » mais « une région très riche du point de vue humain, avec un potentiel que nous ignorons » et invitant à lui « prêter attention ».
Voici notre traduction de l’entretien publié par le quotidien du Vatican.
AK
Entretien avec le cardinal Filoni
La population bolivienne a répondu généreusement : de nombreuses familles ont ouvert leur maison pour accueillir des délégués de tout le continent.
C’est toujours un aspect très typique de l’Amérique du Sud où il y a une grande cordialité. Il fut donc intéressant de constater que plus de trois mille personnes ont été accueillies par des paroisses et des instituts religieux, mais aussi par environ 1200 familles qui ont offert leur hospitalité. Je trouve cela très beau car cela répond précisément à l’invitation du pape : « Ouvrez les portes et accueillez ! »
Le Magistère de François était-il le véritable phare de la discussion lors de ce CAM5 ?
Nous nous sommes fixés comme objectif de créer un congrès qui, dès le début, serait en ligne avec la vision du souverain pontife. Nous sommes donc tous partis du même point et nous avions un objectif commun. Ainsi  les travaux ont été guidée par un enseignement clair dès le début du pontificat: si l’Église n’est pas missionnaire, si elle n’évangélise pas, elle n’est pas elle-même.
Le continent américain est immense et hétérogène. Quelles préoccupations ont été soulevées en particulier ?
Tout d’abord, une prise de conscience : que l’Amérique est en mission. Sur cette base, s’est posée la question de savoir à quels aspects l’Eglise est principalement confrontée. La grande crise de la famille a tout de suite été mise en évidence,  qui est le thème central non seulement du point de vue ecclésial, mais aussi social et civil. Puis la violence et le mépris de la vie : là aussi, il est clair que la violation de la dignité humaine blesse le cœur de l’Église et de la société. Par conséquent, la question de la violation des droits de l’homme a été soulignée, à laquelle est venue se greffer l’aspect de la domination économique sur la personne. On s’est confronté à des réalités où règnent le profit et l’intérêt et où les gens et l’environnement passent en second plan. Puis il y a eu d’autres urgences : le manque de justice, le peu de solidarité, l’exploitation de la terre et des peuples autochtones, la violence sur les femmes et les enfants, la sécularisation, le relativisme, les migrations.
Cette dernière question fait particulièrement débat aujourd’hui dans les médias.
C’était l’un des grands sujets de discussion. Le problème a fait surface à plusieurs reprises, tout comme le sens de la responsabilité de l’Église de se sentir proche de personnes qui, ou pour des raisons de sécurité ou par nécessité économique, sont obligées d’émigrer. Il est bon que l’Église sente tout le phénomène non seulement comme un problème économique, social ou politique, mais aussi comme un fait ecclésial qui l’implique dans l’accompagnement de ces personnes.
Les conclusions des travaux font également référence au fléau des abus. Quelle est votre idée ?
J’ai rencontré une grande souffrance. J’ai été frappé par le texte final qui parle d’Iglesia golpeada, comme si l’Église avait subi une sorte de coup d’État de la part de personnes qui ont abusé de leur confiance et de leur mission. Les fidèles ont été profondément touchés par certains faits.
Dans le brouillon avant le document final, 11 propositions sont faites. Comment les résumer ?
En attendant, il était bon que la centralité du Christ et de son message dans l’activité missionnaire soit à nouveau proposée. Si, en effet, celle-ci se limitait à une œuvre philanthropique, elle resterait incomplète. Le mystère central est celui de Jésus, de l’Évangile, c’est un salut spirituel et moral qui intègre le salut humain et social. La deuxième chose est un concept cher au pape François : la sortie vers les périphéries. Et l’Amérique est pleine de périphéries, réelles, sociales comme celles des villes, mais aussi humaines, de populations forcées à une marginalisation productive et sociale. Le troisième élément est la responsabilité que les Églises ont d’elles-mêmes. Cette question a déjà été abordée à Maracaibo et elle est maintenant mieux comprise. Aujourd’hui, certaines Églises du continent américain, face à la pénurie de prêtres, de religieux et des ressources, ne demandent plus d’aide à l’Occident européen, mais la prennent en charge en tant que diocèse. Certains épiscopats ont pris la responsabilité de vicariats qui étaient auparavant confiés à des ordres religieux. Et ils envoient des prêtres, des consacrés, des sœurs, mais aussi des laïcs pour compenser des situations plus difficiles. Pensons à l’Amazonie. C’est une conscience missionnaire importante. Cela signifie que, dans les Amériques aussi, la coresponsabilité mutuelle des Églises progresse. Cette nouveauté vient de Maracaibo et commence maintenant à trouver son application.
Vous reconnaissez donc que les choses murissent ?
Ce sont des signes forts d’une prise de conscience par l’Église en Amérique de sa force missionnaire pour évangéliser.
De quoi la région amazonienne a-t-elle besoin ?
Tout d’abord, que l’on prenne conscience que celle-ci n’est pas un zoo où il y a des arbres, des animaux et des indigènes. C’est une région très riche du point de vue humain, avec un potentiel que nous ignorons et que nous observions jadis de manière apeuré dans notre difficulté à émettre des hypothèses d’approche. Mais nous devons tous prêter attention à l’Amazonie. A cet égard, le congrès ne pouvait manquer de se situer dans la ligne du Synode des évêques de l’année prochaine, qui coïncidera avec le mois missionnaire extraordinaire voulu par le pape. Ces deux aspects poussent à l’esprit missionnaire. Aujourd’hui, la plupart des circonscriptions ecclésiastiques en Amazonie et dans les régions voisines sont des vicariats apostoliques, c’est-à-dire des Églises en croissance, en formation. Ce dont nous avons besoin à ce stade, c’est d’une participation collective qui aide la région à prendre ses propres connotations et à contribuer en utilisant ses propres capacités. De ce point de vue, le Synode sera précieux.
Les travaux du CAM5 ont donc déjà une perspective d’avenir ?
Le congrès de Santa Cruz de la Sierra, le synode sur l’Amazonie et le mois d’octobre missionnaire sont étroitement liés. Et j’ajouterais aussi la canonisation de Sœur Nazaria Ignacia March Mesa, grande missionnaire religieuse, très aimée en Bolivie. Le pape la proclamera sainte lors du prochain Synode, ce qui est perçu en Amérique comme un signe de grande attention. C’est le passé qui porte ses fruits dans le présent grâce au travail de nombreuses personnes comme Mère Ignacia.
Dans ce dialogue entre le passé, le présent et l’avenir, l’importance de la religiosité populaire a-t-elle été soulignée pendant le CAM5 ?
Personnellement, j’ai eu une expérience significative en visitant des réductions jésuites à Chiquitania. J’ai été très impressionné par la façon dont les missionnaires de l’époque se rapportaient aux Indios, comment ils les organisaient dans une société qui ne se caractérisait plus par des contrastes tribaux. J’ai été frappé par la façon dont l’activité missionnaire s’est incarnée pendant un siècle et demi à travers les Jésuites, puis après leur expulsion, à travers les laïcs qui l’ont poursuivie. Aujourd’hui encore, nous pouvons avoir, dans la vie de l’Église, des réponses importantes au niveau du laïcat.
En ouvrant le congrès, vous avez souligné l’importance de ne pas confondre l’engagement missionnaire avec l’efficacité, avec la « logique de l’algorithme ». Qu’entendiez-vous par là ?
Aujourd’hui, les algorithmes semblent être la base de tout. Mais gare à entrer avec la froideur de cette logique, où c’est le calcul qui résout les problèmes. Nous avons besoin d’une logique qui ait la personne du Christ en son centre. Les problèmes à affronter ne doivent pas être confiés à des séquences numériques, mais à une âme, à un esprit, une grâce. Si nous, en tant qu’Église, nous manquons de cela, nous risquons de perdre le sens de l’évangélisation.
Traduction de Zenit, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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