Les 19 martyrs catholiques d'Algérie @ Conférence épiscopale d'Algérie

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Algérie: "La béatification de nos frères et sœurs, une grâce pour notre Église" (texte complet)

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Lettre pastorale de Mgr Paul Desfarges

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“Suivre nos bienheureux ne consiste pas à faire comme eux, mais à aimer comme eux dans l’invention de la liberté que donne l’Esprit Saint. Nous sommes à une autre époque du pays, de notre monde, et de notre Église. Mais le même Esprit nous presse, car la soif des hommes est grande et celle du Christ aussi”, écrit Mgr Paul Desfarges, archevêque d’Alger (Algérie), quelques semaines avant la béatification de 19 martyrs de la guerre civile algérienne des années 1990. Voici le texte intégral de cette lettre (ici, en pdf).
 

Lettre pastorale

La béatification

de nos frères et sœurs,

une grâce pour notre Église

 
L’Église offre à notre Église et à notre monde, dix-neuf de nos frères et sœurs comme modèles pour notre vie de disciple aujourd’hui et demain. Bienheureux, ils sont en avant de nous sur le chemin du témoignage que notre Église est appelée à rendre sur cette terre d’Algérie qui depuis le premier siècle a été irriguée du sang des martyrs. Nous pouvons maintenant demander leur intercession. Car, bienheureux, ils continuent leur mission, associés plus que jamais à l’œuvre du Seigneur dont l’Esprit travaille sans cesse dans les cœurs. Nous pouvons recevoir leur béatification comme une confirmation de la vocation de notre Église à être, comme nous le demandait le Saint Père (Visite Ad Limina mars 2015), « sacrement de la charité du Christ » pour tout le peuple où elle est plantée.
 
Ils sont dix-neuf. Ils s’appellent : Henri et Paul-Hélène, Esther et Caridad, Jean, Alain, Charles et Christian, Angèle-Marie et Bibiane, Odette, Christian, Luc, Christophe, Michel, Bruno, Célestin et Paul, Pierre. Leur vie ne leur a pas été prise. Comme l’a dit sœur Paul-Hélène peu de temps avant sa mort : « Père, nos vies sont déjà données ». Leur vie était donnée à Dieu et au peuple auquel l’amour les avait liés. Nous pouvons les prier tous ensemble pour demander une grâce de fidélité pour notre Église dans sa mission.
 
Ils ont scellés dans notre peuple une fraternité dans le sang versé. Leur vie a été prise en même temps que celle de milliers de leurs frères et sœurs algériens qui, eux-aussi, ont perdu la vie en choisissant de rester fidèles à leur foi en Dieu, à leur conscience et par amour de leur pays. Parmi eux il y eut 114 imams qui sont morts parce qu’ils ont refusé de justifier la violence. Nous n’oublions pas non plus les 12 frères Croates qui ont été égorgés parce qu’ils étaient chrétiens. Le groupe venu pour les prendre, après avoir pris les douze premiers, s’arrêta ensuite dans une autre pièce. Le premier interrogé déclara : « Je suis bosniaque et musulman ». On lui demanda de le prouver en prononçant la shahâdâ (profession de foi musulmane). Ce qu’il fit et il ajouta en montrant ses collègues : « Ici tous musulmans ! » Or, parmi eux, trois étaient chrétiens. Ceux-ci furent ainsi épargnés. Les frères de Tibhirine, dans une tribune (Si nous nous taisons les pierres de l’oued hurleront) du 22 janvier 1994, écrivaient : « Or les trois autres étaient chrétiens. C’est donc à leur compagnon musulman qu’ils doivent d’avoir pu retourner vivants dans leur pays. Un verset coranique dit : « …et celui qui sauve un seul homme est considéré comme s’il avait sauvé tous les hommes » (Coran 5, 23). Cela nous ne pouvions le taire ».
 
A cette foule de témoins nous pouvons joindre la mémoire du Cardinal Duval. Durant ces années noires, comme Marie, il était le long de la Croix, priant, soutenant, encourageant, offrant. Marie, pleine d’Esprit Saint a aidé son Fils à tenir jusqu’au bout dans l’Amour et le pardon. Le Cardinal Duval, comme aussi avec lui Mgr Henri Teissier, ont aidé nos frères et sœurs à demeurer fidèles car c’était et c’est la vocation de l’Église de témoigner d’un amour qui entraîne à donner sa vie pour ceux qu’on aime.
 
Appelés, en Église, à la sainteté
 
Nos dix-neuf bienheureux font à notre Église un appel communautaire. Ensemble, ils font signe à notre Église. C’est, ensemble, en Église, qu’ils ont vécu et donné leur vie. Le Pape François à propos de nos frères moines de Tibhirine nous dit « qu’ils se sont préparés ensemble au martyr » (G&E 141). Chacun, chacune de nos dix neuf bienheureux garde sa personnalité, et nous pouvons être attirés par la figure de l’un ou l’autre. Mais l’Église nous les donne ensemble, comme témoins de l’amour le plus grand préparé par l’amour dans le plus ordinaire de chaque jour.
 
Ensemble, ils sont une grâce ecclésiale. Leur oui à rester proche de leurs amis dans la souffrance, au moment de l’épreuve était et est encore le oui de notre Église aujourd’hui. L’Église n’est pas l’Église si elle n’est pas l’Église dedans et avec tout son peuple. Comme nos bienheureux, sans faire de différence, elle se fait proche de tous. Ils sont dix-neuf de huit familles religieuses différentes. Quoi de commun entre tous ? Ils ont donné leur vie dans l’amour et le service du peuple algérien. Leur vie était liée d’un lien d’alliance avec celles et ceux dont ils partageaient le quotidien. Telle est bien la vocation de notre Église depuis le temps de Saint Augustin. Cette vocation a été réaffirmée avec force par le Cardinal Duval au lendemain de l’accès du pays à l’indépendance. Si nous voulons devenir des saints, c’est bien pour vivre en vérité cette vocation, la vocation de toujours de notre Église. Chacun de nos dix-neuf bienheureux aurait fait sienne la parole de Christian de Chergé dans son testament : « J’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays. » La vie de nos bienheureux est une fidélité quotidienne à ce don et ils en appellent à notre fidélité d’aujourd’hui.
 
Nos bienheureux martyrs d’Algérie nous signifient que nous sommes ensemble sur le même chemin de sainteté. La béatification de nos frères et sœurs est une grâce communautaire qui nous appelle tous, mais ensemble, à la sainteté. Ils prennent la main de chacune et de chacun pour entraîner toute l’Église sur le chemin d’une vie qui se donne dans l’ordinaire de chaque jour.
 
Ils nous entraînent sur le chemin de la sainteté ordinaire. Beaucoup d’entre nous les ont connus. Ils étaient simples et fraternels. Mais ils avaient comme nous tous des défauts d’impatience, de colère, de négligence, de mauvaise humeur ou autre… . Sœur Odette nous fait confidence de sa prière : « Je demande au Christ, en ce moment, la grâce de le reconnaître chaque jour dans une occasion qui m’est donnée de me renoncer, de faire taire la nature, de me laisser détruire et je vous assure que cette occasion, Il me la donne tous les jours et que j’ai parfois bien du mal à le reconnaître et à le laisser faire. En ce moment surtout, je vise la vie en communauté, j’ai énormément à faire sur ce point, non seulement supporter les autres, mais les aider et les aimer, ne pas juger, ne pas être moi-même un sujet de plainte ou de souffrance pour les autres, c’est bien difficile et j’ai tout à faire » (lettre du 25 avril 1954).
 
Où était donc leur sainteté ? Frère Michel écrivait dans une lettre : « Je n’ai rien d’un héraut, j’ai tout d’un zéro » (lettre d’août 1954). Ils avaient donné leur vie à Dieu et dans le quotidien, ils la donnaient au service des autres. C’est le secret de la grâce baptismale. Elle fait de nous des fils et des frères. C’est fait, c’est donné. La vie nous est donnée pour la vivre en se donnant au quotidien. Au début de son Exhortation Gaudete et Exultate, le Saint Père cite la Lettre aux hébreux qui nous rappelle que « nous sommes enveloppés d’une foule immense de témoins » (3). Il ajoute : « Parmi eux, il peut y avoir notre propre mère, une grand-mère ou d’autres personnes proches. Peut-être leur vie n’a-t-elle pas toujours été parfaite, mais malgré des imperfections et des chutes, ils sont allés de l’avant et ils ont plu au Seigneur ». (3)
 
Le bienheureux Charles de Foucauld désirait « vivre de telle façon, que toute personne puisse le considérer comme son frère ». Ainsi la sainteté n’est pas une perfection vertueuse ou morale. Elle est une vie dont le fil rouge, la marque de l’Esprit, est le don de soi. La sainteté n’est pas l’arrivée, mais la marche sur cette route, en vivant chaque jour la grâce de notre baptême et pour les religieux et religieuses, de leur consécration.
 
Désirons-nous devenir des saints ? En récitant le Notre-Père, nous disons : Que ton Règne vienne, que ta Volonté soit faite… Désirons-nous cela dans nos vies, par nos vies ? Notre vocation à tous est la sainteté. C’est même la vocation de tout homme. Il n’y a de vie que de se donner. Chacun y est appelé en donnant sa vie. Les formes de ce don sont différentes selon la vocation personnelle de chacun. Pour tous il s’agit de donner sa vie en aimant et servant dans le très quotidien de chaque jour.
 
Certaines vies de saints peuvent nous effrayer par les épreuves qu’ils ont endurées. Or Vatican II a renouvelé l’appel universel à la sainteté pour tous les baptisés. « Dans l’Église, tous sont appelés à la sainteté, dit le Concile, selon la parole de l’apôtre :  » Oui, ce que Dieu veut c’est votre sanctification (1 Th 4,3) » (Lumen Gentium, 39 »). Une citation faite par le Saint Père de paroles de Mgr Oscar Romero, évêque martyr du Salvador peut nous éclairer. Il parle de la vie des mères de familles que je suis heureux de mentionner ici comme des membres importants de notre Église. Sans oublier que ce qui est dit des mères vaut pour toutes les mères chrétiennes, musulmanes ou d’une autre croyance… Être mère est un chemin de sainteté, être père aussi.
 
Ainsi Mgr Oscar Romero disait que les mamans vivent un martyre maternel. Lors de l’homélie des funérailles d’un prêtre assassiné, il disait, s’appuyant sur le Concile Vatican II : « Nous devons tous être disposés à mourir pour notre foi, même si le Seigneur ne nous concède pas cet honneur… Donner sa vie ne signifie pas seulement être tué. Donner la vie, avoir un esprit de martyr, c’est donner dans le devoir, le silence, la prière, l’accomplissement honnête du devoir. Dans ce silence de la vie quotidienne. Donner sa vie petit à petit ? Oui, comme la donne une mère, qui, sans crainte, avec la simplicité du martyre maternel conçoit un fils dans son sein, le met au monde et l’allaite, le fait grandir et s’en occupe avec affection. C’est donner la vie. C’est le martyre ».
 
Ce goutte-à-goutte de la charité au quotidien est chemin de sainteté. Il prépare les moments où le don est plus exigeant, parfois crucifiant. ϳ Le seul document connu concernant Sr Angèle-Marie est sa réponse au questionnaire du Conseil général de sa Congrégation fait en 1994. Le voici :
 

  1. « Depuis quand et pourquoi es-tu en Algérie ? Depuis septembre 1959 pour m’occuper des orphelines à la Bouzaréah, maintenant je suis avec les pauvres de Belcourt.

 

  1. Écris, comment tu te sens face à tous ces événements qui bouleversent le pays et affectent l’Église d’Algérie ? Je suis peinée, je me sens impuissante, je prie Notre-Dame des Apôtres.

 

  1. Qu’est-ce qui est le plus difficile pour toi en ce moment ? (pas de réponse)

 

  1. Où trouves-tu soutien et réconfort pour vivre cette situation ? Dans la messe de tous les jours, la prière, le chapelet, l’amitié des gens.

 

  1. Examine très librement ces deux possibilités : rester ou partir, en notant bien les raisons qui te viennent à l’esprit sans les censurer ou les rejeter. Je choisis de rester en Algérie (aspects positifs – motivations personnelles) : pour témoigner de Jésus et je n’ai pas peur parce que je suis avec lui et la Sainte Vierge».

 
Ce témoignage résume je crois ce qui a été le cœur de la vie de nos bienheureux : s’occuper des autres, surtout les plus fragiles, puiser sa force dans la prière et dans l’amitié. Une grâce qui est faite, je crois à notre Église : nous faire sentir, chacun personnellement et ensemble, la profondeur spirituelle et mystique de nos vies par ailleurs toutes simples et ordinaires. Ce fut la grâce de l’Année Interdiocésaine d’il y a 5 années déjà. Nous avions rassemblé un certain nombre de récits de vies, de nos vies, qui se sont révélés comme un beau chapitre des Actes des Apôtres en train de s’écrire en Algérie. L’Evangile continue de s’écrire avec nos vies d’aujourd’hui. Elles seules peuvent rendre crédible l’Evangile. Continuons ensemble d’écrire de nouvelles pages. La vie de nos dix-neuf bienheureux a été une de ces belles pages. Pierre Claverie à propos de Fr Henri et de Sr Paul-Hélène écrivait : « Ils ont vécu et ils sont morts comme leur maître. Ils ont mené jusqu’au bout le don de leur vie par amour pour Dieu et pour l’humanité. Ils ont demandé à être ensevelis dans cette terre où ils avaient semé, dans la discrétion et l’humilité, des semences d’espérance pour les jeunes d’Algérie. Ils sont l’honneur de notre Église et nous reconnaissons en eux ce que nous voulons encore vivre avec les Algériens aussi longtemps qu’on nous le permettra .» (Extrait de l’éditorial « Pourquoi ? », dans Le Lien 1994).
 
« La sainteté de la porte d’à côté »
 
L’Exhortation du Saint Père « Gaudete et exultate, (Soyez dans la joie et l’allégresse) » peut nous servir de guide durant cette année pastorale pour prendre résolument le chemin de la sainteté. Cette exhortation donne le sentiment d’avoir été écrite pour nous, pour notre Église. Elle éclaire la sainteté de nos bienheureux.
 
Sur l’icône pour la Béatification de nos martyrs, il est écrit : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ». Cette parole dit le chemin de sainteté de nos frères et sœurs. Elle appelle notre sainteté. Pour être saint, nous rappelle le Saint Père, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuses ou religieux, ni de mourir de mort violente. « Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour nos occupations quotidiennes ». Le Saint Père ajoute : « J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église… C’est cela souvent, la sainteté de la porte d’à côté, de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, la classe moyenne de la sainteté». (7). Le saint c’est celui qui voit la sainteté de son frère et qui s’en nourrit.
 
La sainteté de la porte d’à côté, est bien ce qui a été le chemin de sainteté de nos frères et sœurs. Nos bienheureux appellent notre Église à être l’Église de la porte d’à côté, une Église qui laisse sa porte ouverte et qui va frapper à la porte de l’autre. Notre vie se nourrit de la vie de celles et ceux dont nous partageons la vie, de celles et ceux qui franchissent nos portes et dont nous franchissons la porte. Nous pouvons en être surpris, mais combien c’est vrai. Nos dix-neuf frères et sœurs savaient voir la sainteté de leurs voisins, de leurs voisines, de ceux et celles avec qui ils partageaient activités, services, détentes. Leurs prières étaient pleines de leur ϭϬ regard porté sur la vie des autres. A chaque Eucharistie ils portaient et offraient leurs voisins, collègues et amis et tout notre peuple. Oui ! Il y avait beaucoup de monde à chacune de leur messe.
 
Le Saint Père ajoute : « La sainteté c’est la rencontre de ta faiblesse avec la force de la grâce .» Nos frères et sœurs, dans le quotidien de leur vie ont laissé l’amour agir en eux. « Chacun sa route », dit encore le Saint Père dans son Exhortation et cette route consiste à laisser la grâce nous permettre de déployer le meilleur que Dieu a mis en chacun de nous. « Ce qui importe c’est que chacun discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui ». Il nous a crée à son image. Quels traits du visage du Christ ma vie est-elle appelée à refléter ? Je vous cite cette petite perle de Frère Michel, l’humble frère Michel, l’un des sept moines de Tibhirine, qui écrivait à son cousin pour lui parler du sens de la présence des frères à Tibhirine : « Puissions-nous être tous et toutes des chrysanthèmes… des fleurs discrètes qui se cachent…à réputation paisible. Je pense à l’Enfant de Noël… Les chrysanthèmes c’est un peu comme les petites choses qui n’ont l’air de rien, mais qui donne la paix. Comme les fleurs des champs : on les croit sans parfum et toutes ensembles, elles embaument… » Lors de notre pèlerinage diocésain à Tibhirine nous avons encore senti le parfum du Monastère dont la vocation continuera d’aider chacune, chacun, à donner son propre parfum.
 
Deux attitudes : l’accueil et l’écoute
 
Accueillis par leurs frères et sœurs algériens, nos bienheureux en ont été les hôtes de leur cœur. L’accueil fait partie de la tradition biblique. L’accueil ouvre à l’hospitalité. Rappelons-nous l’accueil d’Abraham à Mambré. « Trois hommes étaient debout près de lui. Il courut au-devant d’eux et se prosterna » (Gn 18, 2-5). Tous les prophètes insistent sur l’importance de l’hospitalité : « Partage ton pain avec celui qui a faim, fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile ; si tu vois un homme nu, couvre-le, ne te détourne pas de ton semblable » (Is 58, 7).
 
Contemplons Jésus qui accueille et son accueil nous révèle celui du Père. Jésus accueille les petits (« Laissez venir à moi les enfants » en Mc 10, 14), les pécheurs (« Cet homme fait bon accueil aux gens de mauvaise vie et mange avec eux » en Lc 15, 2) et les personnes en difficulté (« Venez à moi, vous tous qui ployez sous le poids du fardeau, et je vous donnerai du repos » en Mt 11, 28). Dans son enseignement, il affirme qu’accueillir l’autre c’est l’accueillir lui-même : « car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli (…). Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Mt 25, 35s).
 
Saint Paul invite souvent à l’hospitalité comme le Christ le ferait : « Accueillez-vous donc les uns les autres, comme Christ vous a accueillis » (Rm 15, 7) ou « N’oubliez pas l’hospitalité ; car, en l’exerçant, quelques-uns ont hébergé des anges, sans le savoir » (He 13, 2).
 
Sr Caridad notait : « Je me réjouis beaucoup quand les personnes viennent. Je prépare tout avec mon cœur et avec mon âme. Pour moi, la mission : disponibilité, joie, accueil… » (interview pour le bulletin provincial des Augustines, 1989).
 
Mais il n’y a d’hospitalité que réciproque. Le même mot « hôte » désigne la personne qui accueille et celle qui est accueillie. Cela signifie que celui qui accueille est, en quelque sorte, accueilli par celui qu’il accueille. L’hospitalité est un acte de confiance qui engage car je ne connais pas à l’avance celui que j’accueille et l’accueil ne se limite pas à une appartenance tribale, ϭϮ sociale ou nationale. « Et si, comme l’exprimait Christian Chessel : la compassion peut être aussi l’un des premiers mots d’un langage islamo-chrétien, car elle se révèle comme l’expression d’une expérience commune de Dieu et de l’homme qui est au-delà des mots et des schémas de pensée. Elle est donc fondamentalement une expérience de grâce, le fruit d’un travail de l’Esprit Saint à l’œuvre dans le cœur de tout homme et donc de l’homme croyant. Ne serait-elle le premier mot d’une prise de parole et le premier geste d’un engagement avec l’autre et pour l’autre, quelle que soit sa foi ? » (méditation donnée lors de la journée missionnaire d’Alger le 21 octobre 1994).
 
L’essentiel de notre mission est d’être accueilli en accueillant l’autre dans notre cœur et notre vie. L’accueil n’appartient pas à une tradition particulière. Nous sommes sensibles en Algérie à la chaleur de l’accueil. Cependant il me semble que l’Evangile à la suite de Jésus, nous invite, encouragés par nos bienheureux, à vivre l’accueil jusqu’au dessaisissement de soi. Accueillir l’autre c’est se rendre totalement présent à sa présence. J’accepte qu’il soit chez lui chez moi, heureux de me sentir chez moi chez lui. C’est ainsi que Jésus nous accueille. Plus encore quand nous accueillons l’autre, tout particulièrement le plus petit, le plus fragile, le plus lointain, le plus rejeté, c’est Jésus lui-même que j’accueille et qui dans le même temps m’accueille lui-même.
 
L’inévitable passage par la Croix
 
Le Pape ne cache pas cependant que la sainteté engage dans une logique du don et de la Croix, une compréhension paradoxale du bonheur qui n’exclut pas les épreuves, appelle des renoncements et invite à supporter des humiliations… On ne choisit pas notre Croix. L’humilité est d’accueillir celle qui vient pour continuer d’aimer, ce que nos frères et sœurs béatifiés ont fait jusqu’au bout. Ouvrir sa porte, frapper à la porte d’à côté, voilà le chemin de notre sainteté avec ses joies et ses croix. C’est ainsi que notait Sr Esther : « Pour moi, le modèle parfait, c’est Jésus. Il a souffert, il a connu des difficultés, il a terminé par l’échec de la croix d’où a jailli la source de vie .» (extrait du discernement communautaire 6-7 octobre 1994).
 
L’accueil de Jésus est non seulement inconditionnel, mais il va jusqu’à l’accueil de l’ennemi, l’accueil de celui qui me rejette. Il ne s’agit pas ici d’affectivité. Accueillir ici veut dire laisser à l’autre une place dans mon cœur, même s’il m’a rejeté du sien. Ainsi l’accueil est œuvre de salut, de participation au salut opéré par le Christ, révéler à chacun qu’il est aimé du Père, même s’il ne m’aime pas. Contemplons Jésus à la Cène. Judas qui va le trahir, Pierre qui va le renier sont accueillis jusqu’à l’inouïe du lavement des pieds. Jésus se fait hospitalier pour devenir notre hôte. « Si je ne te lave pas les pieds, tu n’auras pas de part avec moi » (Jn 13,8).
 
Le Pape François rappelait récemment, le jour de la fête de la Croix glorieuse, que la croix de Jésus nous enseigne que dans la vie il y a l’échec et la victoire, et qu’il ne faut pas craindre «les mauvais moments», qui peuvent être illuminés justement par la croix, signe de la victoire de Dieu sur le mal. La Croix signe apparent de défaite se révèle signe de victoire.
 
Contempler la croix, signe du chrétien, a expliqué le Pape, cela revient pour nous à contempler un signe de défaite mais aussi un signe de victoire. «N’ayons pas peur, disait-il, de contempler la croix comme un moment de défaite, d’échec. Paul, quand il fait sa réflexion sur le mystère de Jésus-Christ, nous dit des choses fortes, il nous dit que Jésus s’est vidé, s’est annihilé, s’est fait péché jusqu’à la fin, qu’il a assumé tout notre péché, ϭϰ tout le péché du monde : c’était une “serpillère”, un condamné. Paul n’avait pas peur de faire voir cette défaite et ceci peut illuminer un peu nos mauvais moments, nos moments de défaite, car la croix est aussi un signe de victoire pour nous les chrétiens ».
 
Je pense à certains d’entre vous, frères et sœurs enfants du pays qui êtes rejetés par ceux de vos proches que vous aimez. La violence la plus dure à vivre provient souvent du plus proche. La croix se dresse quand, au moment où l’on aime le plus, on est rejeté. Accueillir Jésus dans sa vie peut conduire jusque là. L’annonce de l’Evangile dans la forme du lavement des pieds ne nous sera jamais interdite. Elle est chemin de croix, le plus souvent en silence.
 
Je pense aussi à vous étudiants subsahariens, migrants, frères et sœurs en prison. Il vous arrive d’être l’objet d’attitudes et de propos racistes. N’hésitez pas à demander l’intercession de nos dix-neuf frères et sœurs martyrs du plus grand amour. Ils vous soutiendront dans le combat pour ne pas répondre à l’agressivité par l’agressivité, pour ne pas laisser entrer dans vos cœurs le rejet, l’amertume. Ne nous endormons pas sur notre colère. Frères et sœurs pour qui c’est plus dur, sachez que vous êtes au cœur du témoignage de notre Église, celui du combat de la bonté. Ce témoignage ne fait pas de bruit. Il commence et persévère dans la prière. Répétons souvent cette prière : « Seigneur fais de nos vies, un visage de ta Bonté » (d’après Maurice Zundel). Le Christ nous appelle à vivre en lui et par lui le mouvement de la charité qui sauve le monde en nous délivrant du mal. Saint Paul l’a dit avec force : « En sa chair, Il a détruit la haine » (cf. Eph 2,4).
 
Sachons aussi rendre grâce pour toutes les petites et grandes victoires. La reconnaissance de nos frères et sœurs algériens chrétiens fait peu à peu son chemin. Certains se sentent d’avantage reconnus, vivent plus dans la liberté. Des étudiantes, des étudiants subsahariens arrivent à se faire des amis, faisant ainsi tomber les murs de séparation. Je suis ému parfois du témoignage que portent dans les prisons certains de nos paroissiens de la périphérie. Par la bonté, ils gagnent la sympathie de leurs compagnons de prison et aussi de leurs gardiens.
 
La joie des Béatitudes
 
Notre petite Église vit un moment de plus grande fragilité. Mais le don de la Béatification de nos frères et sœurs nous rappelle que nous vivons un temps de grâce. Ils nous ont été pris alors que nous aurions tellement aimé les avoir aujourd’hui avec nous. Mais ils sont avec nous. Et la fécondité de leur sacrifice, nous en aurons un signe lors de la célébration. Nos frères et sœurs musulmans vont à leur manière honorer les 114 imams qui ont refusé de cautionner la violence, sachant eux aussi qu’ils mettaient leur vie en danger. Ce sera l’occasion de penser à tous les autres si nombreux, journalistes, artistes, écrivains, intellectuels, modestes pères et mères de famille qui sont resté fidèles à leur conscience et à leur foi. Dans cette foi, il y a l’invocation si souvent répétée au Dieu Clément et Miséricordieux. Pour nous c’est Jésus qui nous a révélés le cœur Miséricordieux du Père.
 
« Bienheureux les miséricordieux, il leur sera fait miséricorde » (Mt 5, 7). La vie donnée de nos bienheureux incluait le pardon à ceux qui commettaient le mal. Ce pardon exprimé par le Père Christian, prieur des moines de Tibhirine, dans son testament, continue de porter des fruits de guérison et de paix pour tous. Il nous arrive d’en avoir la confidence.
 
« La Parole éveille notre cœur et notre attention, confiait le frère Henri Vergès. On vit en espérance. Les tout petits gestes nous préparent à la rencontre, y compris ce qui est perdu. Le réveil nous donne un élan pour essayer de vivre davantage les Béatitudes, la réalité du Royaume » (Bulletin du Ribât n°19).
 
Chaque jour ainsi nous sommes appelés à renouveler le oui de la confiance. « Sois sans crainte, petit troupeau, il a plu à votre Père de vous donner le Royaume » (Lc 12,32). La joie de notre Église est celle des béatitudes. Sur la route de la sainteté, le Saint Père dans son Exhortation nous donne un guide : les béatitudes. « Être pauvre de cœur, c’est cela la sainteté ! » ; « Réagir avec une humble douceur, c’est cela la sainteté ! » ; « Savoir pleurer avec les autres, c’est cela la sainteté ! » Cependant nous avertit le pape, « nous ne pouvons vivre cela que si l’Esprit Saint nous envahit avec toute sa puissance et nous libère de la faiblesse de l’égoïsme, du confort, de l’orgueil. » Mais quel chemin de joie ! Cette joie, signe du Royaume, nous la contemplons aussi chez nos frères et sœurs de la porte d’à-côté.
 
Le dialogue spirituel
 
Le temps d’aujourd’hui est toujours le temps du témoignage. Certains peuvent ressentir des limites dans l’expression de leur foi. Mais il n’y a pas de limite au témoignage de la vie. Rappelons-nous les trente années de la vie de Jésus à Nazareth, la vie du fils de l’humble charpentier de Nazareth. Notre vie est le seul témoignage crédible rendu à l’Evangile. Nos visages sont appelés à laisser transparaître la Présence intérieure qui les éclaire.
 
Nos bienheureux nous laissent aussi le témoignage du dialogue spirituel. Tous les dix-neuf n’ont pas fait partie du Ribât Es-Sâlam, le lien de la Paix, ce groupe de rencontre, de partage, de prière entre des chrétiens et des musulmans. Mais tous en vivaient l’esprit dans le cœur et la prière. Il s’agit d’un chemin d’humanité vécu dans toute sa profondeur spirituelle. La rencontre d’Assise fut pour toute l’Église une halte importante sur ce chemin.
 
Sr Odette en 1981 écrivait : « Je pense aussi que notre recherche contemplative du Visage de Dieu en Lui-même est un chemin privilégié pour vivre cette rencontre avec l’Islam о dans un dialogue religieux, le plus souvent silencieux, respectueux, attentif. Immergés par Dieu dans un peuple différent, assumer en nous, dans notre pauvre vie quotidienne, toute la recherche de l’Église, et la concrétiser en petits actes banals, cachés, gratuits, qui se voudraient toujours porteurs d’amour et de communion. Tension silencieuse vers Dieu dans l’attente… dans l’espérance, avec un cœur toujours ouvert à l’autre, attentif à son chemin à lui… à travers la longueur du temps, les lenteurs de l’amitié et ses trésors » (Lettre du 1er octobre 1981).
 
Ce que l’on appelle dans l’Église le dialogue interreligieux est parfois mal compris. Il ne s’agit pas de syncrétisme, ni de voir en toute religion une voie de salut. Il n’y a qu’un seul médiateur, le Christ. L’évènement du Calvaire, de la mort et de la résurrection de Jésus est le centre de l’Histoire du Salut du monde. Mais l’Esprit est à l’œuvre dans le cœur de tous. « Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais pas d’où il vient et où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit » (Cf. Jn 3, 8). L’essentiel est ce qui se passe dans le cœur de chacun, dans sa manière unique de se tourner vers Dieu. Le cœur de chacun est un mystère devant lequel je ϭϴ m’agenouille. Chacun peut relire le texte de Vatican II au sujet du dialogue avec les musulmans (non pas du dialogue avec l’Islam). « L’Église regarde avec estime les musulmans qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre » (Nostra Aetate n°3).
 
Certes ce Dieu unique n’est pas présenté de la même manière dans chaque religion. L’islam refuse le mystère de ce Dieu et Père que Jésus nous donne de connaître, ce Dieu qui n’est qu’Amour, qui s’est fait chair, devenant ainsi l’intime de notre intime. Mais le chrétien n’est pas propriétaire de l’attirance de ce Dieu dans les cœurs. « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 32).
 
Chacun peut et doit se former pour mieux connaître l’islam tel que les musulmans l’enseignent. Mais certains peuvent aussi s’intéresser aux recherches actuelles sur l’histoire de la constitution de la communauté musulmane, l’histoire de l’islam, l’histoire du Prophète de l’islam, l’histoire de l’interprétation du Coran, l’histoire des hadiths. Des chercheurs musulmans et non musulmans écrivent à ce sujet. Mais ce serait un piège que ces nouvelles présentations de l’islam nous détournent de ce que Jean-Mohamed Abdeljalil (de famille marocaine, converti à la foi au Christ) a appelé « les aspects intérieurs de l’islam ».
 
La pièce de théâtre Pierre et Mohamed qui met en scène l’amitié et le dialogue entre Pierre, notre frère évêque, et son jeune ami Mohamed est une belle illustration de ce dialogue spirituel. Mohamed apparaît sur l’icône préparée pour la Béatification. Nous pouvons, je crois, le prendre dans notre louange.
 
Mgr Pierre Claverie a bien su mettre en garde, dans le dialogue interreligieux, contre des ressemblances qui sont des ressemblances apparentes. Même si nous nous y référons, chrétiens et musulmans, Abraham n’est pas le même dans nos deux religions. Que dire de ‘Issa, de Jésus ? Les références bibliques citées dans le Coran ne sont pas organisées de la même manière, ce qui en change parfois profondément le sens. De même l’unicité de Dieu sur lequel insiste tant le Coran ne réfère pas à la même expérience de Dieu que le Dieu trinitaire.
 
Et cependant l’islam s’insère dans une tradition, la tradition biblique, qu’une foi en un Dieu transcendant anime. Les mystiques musulmans en sont les grands témoins. Les frères rencontrés au Ribât Es-Sâlam sont de ce courant là.
 
Ajoutons enfin que, chrétiens, nous n’avons pas le monopole de la charité. Il m’arrive souvent de recevoir des leçons de charité de la part de nos collaborateurs ou du personnel de nos maisons. J’ai bonheur à citer tout le personnel Caritas, celui de nos bibliothèques ou autres services. « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1 Jn, 4, 7), nous dit l’apôtre Jean. Nous sommes ici témoins de ces vies données pour aider les autres sur le chemin de la vie et du bonheur. Le Frère Christian de Chergé doit sa vocation, mais d’abord sa vie, à un Algérien, musulman, qui a risqué et perdu la sienne pour lui. A travers la porte d’à côté nous contemplons Dieu à l’œuvre dans les cœurs. Nos bienheureux aimaient parler de ce qui les faisait vivre dans la vie de tous ceux qu’ils aimaient autour d’eux.
 
C’est dans la docilité au même Esprit que nous contemplons l’œuvre de Dieu dans le cœur de nos amis musulmans et que nous accueillons ceux et celles que ce même Esprit appelle à rejoindre notre Église pour y porter le nom de Jésus. Le dialogue en vérité nous appelle à « toujours être prêt à rendre compte de l’Espérance qui est en nous » (1 P 3,15). Notre témoignage n’est pas un témoignage contre la religion de l’autre. Il est toujours le témoignage de ce que l’amour du Christ répandu dans nos cœurs nous appelle à vivre, un amour de tous, sans différence, même des ennemis.
 
Avec Marie et l’Esprit
 
Nos dix-neuf bienheureux auraient pu faire leur cette parole du Frère Henri : « Je vis cela au jour le jour, dans l’humilité du quotidien, comme la Vierge Marie » (Texte sur son expérience spirituelle en terre d’islam, Noël 1989).
 
Pour vivre dans la patiente et persévérante docilité à l’Esprit, nous avons à nos côtés la Vierge Marie. Marie a tenu une grande place dans la vie de nos bienheureux. Marie est aussi précieuse pour la rencontre des enfants de celle qui ne fait pas de différence. Marie peut nous aider à nous approcher de l’islam intérieur. Elle est en effet une belle icône de l’âme musulmane, faite d’abandon confiant (cf. « Marie au regard de l’Islam »). J’aime contempler cette foi musulmane dans la prière de ces mamans qui viennent demander l’intercession de Marie à la Basilique Notre-Dame d’Afrique, comme elles le font à Lourdes ou à Notre-Dame de la Garde à Marseille.
 
Marie est mère. Elle accorde ses grâces sans distinction d’appartenance à tous ceux et toutes celles qui montent la visiter à Notre-Dame d’Afrique. Pour nous, elle est bien la mère de notre Église d’Algérie et de notre diocèse d’Alger. Je crois que nous ne pouvons pas la laisser de côté si nous voulons prendre résolument le chemin de la sainteté. Pour devenir des saints et si nous le voulons vraiment, confions à Marie les rênes de notre vie. Pensons à la devise de Saint Jean-Paul II : Totus tuus (Tout à toi), Marie. La première, en avant de nous, elle nous guide et nous accompagne sur le chemin de l’abandon confiant à la volonté de son Fils, pas seulement dans quelques grands moments de la vie, mais tout le temps. Elle nous apprend à le laisser faire en nous.
 
Notre frère Henri Vergès apprenait, à l’école de Marie, ce que souhaitait le fondateur des frères maristes pour tous ses frères : l’humilité, la simplicité, la modestie. A la question : pourquoi rester à Sour-ElGhozlane ? Le frère Henri Vergès répond : « Parce que ma vocation mariste est particulièrement adaptée à cette présence enfouie, d’humble service, ancrage des fondations sur quoi va reposer l’avenir, dans ce pays jeune, avec Marie, elle aussi présente au cœur Ϯϭ de l’Islam ». Il ajoute dans un autre texte : « Avec Jean-Baptiste, Marie nous semble très proche de notre manière d’être présents, comme Église, en Afrique du Nord, un peu comme si nous vivions avec elle l’Avent de Dieu ».
 
Être avec Marie, c’est être avec l’Esprit Saint à cause du lien intime qu’il y a entre Marie et le Saint Esprit, elle, « la pleine de grâce ». Notre Église doit sans cesse reprendre le fiat de Marie : « qu’il me soit fait selon ta parole ». L’Église est servante. Sa mystérieuse fécondité vient d’En-Haut.
 
Conclusion
 
Voulons-nous devenir des saints, à la suite de nos bienheureux ? Icône de notre Église, la vie de nos bienheureux constitue pour nous un appel fort à renouveler notre oui à notre vocation ecclésiale en Algérie. La vocation de l’Église est toujours de donner sa vie pour le peuple où elle est plantée depuis les martyrs des premiers siècles. Selon une belle formule de Christian de Chergé, « Dieu a tant aimé ce peuple qu’il lui a donné son Fils ; Dieu a tant aimé ce peuple qu’il lui a donné son Église ». L’Église donne sa vie par et dans le don de nos vies. Il faut bien que notre peuple sache que nous aimons le Père et que le Père l’aime dans l’amour de tous ses habitants.
 
Il me semble que nos bienheureux, par leur vie, et par leur mort, mettent en lumière le sens de nos eucharisties et leur mystérieuse fécondité. Les paroles de l’Eucharistie disent la vocation de l’Église. Notre Église d’Algérie y reçoit sa vocation bien mise en lumière par nos bienheureux. Sœur Odette l’exprimait ainsi : « Jésus nous a laissé un signe de sa volonté de livrer sa Vie. « Ceci est mon corps, livré pour vous. Ceci est mon sang, versé pour la multitude ». Ce signe est aussi un appel pour l’Église, et pour chacun de nous : « faites ceci en mémoire de moi » (Texte rédigé par Odette le 16 novembre 1994).
 
Lors de chacune de nos eucharisties, tout un peuple est déjà là mystiquement présent. Le monde entier était présent dans l’offrande de Jésus à son Père sur la Croix. Il n’y a eu qu’une messe toujours en train de se dire. Nos eucharisties sont le sacrement de cette unique messe. Je ne suis pas à la messe si mon cœur n’est pas ouvert, au moins de désir à tous mes frères. C’est pourquoi, nous aimons nommer ces frères et sœurs dans nos prières universelles. Nos voisins, nos proches, nos collègues sont avec nous à la messe. Ils y sont avec tous ces gestes de don de soi dont la vie nous a fait témoin et dont nous aimons rendre grâce. En nous offrant, en les offrant, nous offrons l’amour du Christ ; en intercédant, nous nous unissons à la prière de Jésus : « Père je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi » (cf. Jn 17, 24).
 
Sr Odette confiait encore : « S’il arrivait que ce chemin de fidélité à la suite de Jésus et en lien avec tous les Algériens qui désirent notre présence au milieu d’eux et avec eux comme prémices de vie renouvelée et de paix fraternelle, que ce chemin de fidélité croise, pour n’importe laquelle de nous trois, la violence, nous ne serions pas des martyrs, mais, comme tous les Algériens qui sont tués, des pions dans l’histoire des hommes, victimes comme tant d’autres de forces obscures qui s’affrontent et pour qui une vie humaine n’est pas une valeur en soi. Rien n’est définitif, et d’autres éléments peuvent venir interférer et nous faire partir de ce quartier, et même de ce pays. Mais, aujourd’hui, c’est cela qui nous habite et donne Sens, Paix et Joie à demeurer ici, « par LUI, avec LUI et en LUI » » (Texte d’Odette et des 2 petites sœurs de Kouba, 17 novembre 1994).
 
Suivre nos bienheureux ne consiste pas à faire comme eux, mais à aimer comme eux dans l’invention de la liberté que donne l’Esprit Saint. Nous sommes à une autre époque du pays, de notre monde, et de notre Église. Mais le même Esprit nous presse, car la soif des hommes est grande et celle du Christ aussi.
 
Bienheureux martyrs d’Algérie, obtenez pour notre Église, à travers chacun de ses membres, d’être, chaque jour davantage, un authentique témoin de la Charité du Christ.
 

+ Père Paul

 

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