Aix la Chapelle : Les religions portent dans leur cœur le secret de la paix

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Intervention du Cardinal Danneels

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CITE DU VATICAN, Mercredi 10 septembre 2003 (ZENIT.org) – L’agence catholique belge « Cathobel » (www.cathobel.be) donne ce compte rendu de l’intervention du Cardinal Danneels lors de la XVIIème rencontre Internationale « Hommes et Religions ».

Organisée par la communauté Sant’Egidio, la rencontre de prière pour la Paix qui s’est tenue à Aix-La-Chapelle du 7 au 9 septembre était intitulée « Guerre et paix, Religions et cultures en dialogues ». Un programme construit sur un nombre impressionnant de contributions et témoignages de personnalités des mondes politique, culturel et religieux. Le cardinal Godfried Danneels, président de la conférence épiscopale belge, est intervenu au cours d’une table ronde portant sur « les religions dans une ‘grande’ Europe ».

Durant trois jours, à Aix-La-Chapelle, en Allemagne, les participants à la XVIIème rencontre Internationale « Hommes et Religions » ont discuté des nombreux conflits et défis mondiaux. Si les thèmes abordaient des sujets aussi variés que le Sida en Afrique, la peine de mort, ou encore l’environnement, la religion, ou plutôt les religions y tenaient une place importante.

Les religions, de la guerre à la paix

L’intervention du cardinal Danneels, Archevêque de Malines-Bruxelles, qui a eu lieu le mardi matin, était intitulée « La paix et les religions » et se plaçait dans le contexte de l’élargissement européen. A cette table ronde participaient également Dalil Boubakeur, Président de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris, Vsevolod Chaplin, du patriarcat de Moscou, Amos Luzzatto, Président de l’Union des communautés juives d’Italie et Antje Heider-Rottwilm, de l’Eglise évangélique d’Allemagne.

Admettant que souvent au cours de l’histoire les religions avaient conduit à une certaine violence, Mgr Danneels a insisté cependant beaucoup sur les valeurs positives, paix et réconciliation, qu’elles véhiculent. Ce qui ne l’a pas empêché de s’interroger sur les causes de cette mise en relation – trop – fréquente entre violence et religions.

Pour le Cardinal, la paix passe impérativement par le dialogue interreligieux. « Celui-ci est la prise de conscience de toutes les religions de leur propre identité, tout en acceptant d’entrer dans une connaissance de plus en plus approfondie de l’autre » explique-t-il.
Et, conclut Mgr Danneels, ce « dialogue interreligieux est sans doute à la base de la paix dans le monde », car « la paix ne pourra venir que de Dieu, même si ce n’est pas sans notre collaboration ».

Voici le texte complet de cette intervention (Les intertitres sont de CathoBel).

Imposer la foi, c’est la mutiler et la polluer à sa source

Il est de bon ton par les temps qui courent de mettre en relation étroite violence et religion, comme si cette relation allait de soi et était pour ainsi dire nécessaire. En effet certains actes récents de terrorisme revendiqués par des groupements religieux, ont mis toutes les religions dans un mauvais jour. Telle représentante belge de la laïcité n’a pas hésité à dire lors d’une récente émission télévisée, que « le fil rouge de la violence dans l’histoire humaine court à travers les religions». On pourrait lui répliquer non sans raison par la question : « Et le fil rouge de la charité où court-il alors ? ». Reste le fait que dans le chef de certains, les religions sont souvent reléguées dans le secteur de la suspicion.

Il est vrai que souvent les religions au cours de l’histoire ont conduit à une certaine violence commise en leur nom, même si elles ont était là la base aussi de beaucoup de paix et d’amour.
D’où vient alors cette mise en relation entre violence et religions ? Elle vient en premier lieu sans doute de certains faits de l’histoire humaine, qui restent gravés dans la conscience de l’humanité. Ils ressemblent à des fossiles dans les couches archéologiques de la mémoire collective. Chez certains c’est devenu presque comme un mythe ou un dogme sur lequel on ne peut ni ne veut revenir.

Mais il y a une raison plus profonde. Elle réside dans la compréhension inexacte d’un principe qui est en soi juste et même indiscutable : que la vérité a ses droits. Il a fallu un certain temps à l’humanité et aux religions pour se rendre compte, que s’il est vrai que la vérité a ses droits, ces droits ne justifient pas que la vérité puisse jamais être imposée par la force, comme cela a sans doute été le cas dans un certain passé. Pensons à l’histoire de la christianisation de l’Amérique latine. Une vérité – même religieuse – ne doit ni ne peut jamais être imposée : elle s’impose d’elle-même et par sa propre force interne. Elle n’a pas besoin de moyens coercitifs extérieurs. Elle tire sa force de persuasion d’elle-même et non pas de quelque puissance militaire, économique, psychologique, sociale ou financière. La maturation de la conscience humaine au cours de l’histoire, a permis de se rendre compte, que si en effet la vérité a ses droits, elle est capable de les exercer par elle-même. On ne peut jamais l’imposer : on la propose.

Il en va de même et surtout de la vérité de la foi. Imposer la foi, c’est la mutiler et la polluer à sa source. Car l’acte de foi et l’acceptation d’une conviction religieuse présuppose de par sa nature même la liberté du sujet qui y adhère. Il n’y a donc pas de foi imposée.

Servir Dieu ou se servir de Dieu ?

Une autre raison est le fait que, dans la nature humaine blessée par le péché, servir Dieu peut se transformer facilement et presque inconsciemment en ‘se servir de Dieu’. C’est le phénomène de ‘l’instrumentalisation’ de la religion en la mettant au service d’autres intérêts : militaires, ethniques, économiques et culturelles. De tout temps, les convictions religieuses ont été exposées, chez les peuples et leurs chefs, à la tentation d’extrémisme et de violence.
Toute religion devra donc par une prise de conscience et dans un mouvement de conversion du cœur, revenir à cette vérité première : que Dieu ne peut jamais être asservi à la volonté des hommes. C’est là un processus continuel de metanoia (ndr. la conversion du cœur) de toute religion, qui n’est jamais achevé.

L’homme, fondamentalement marqué par l’altérité

Mais toutes ces tentations et ces embûches auxquelles la religion peut être exposée, ne peuvent faire oublier que la religion de par sa nature, est et doit être source de paix et réconciliation. Pourquoi ? D’abord parce qu’elle contient en elle-même une vérité profonde qui marque la nature même de l’être humain. Toute religion en effet – d’une façon ou d’une autre – révèle l’hétéronomie de l’homme et affirme sa dépendance d’une transcendance : l’homme est fondamentalement marqué par l’altérité : il doit son bonheur et son être même à la relation avec les autres et avec l’Autre. Il n’existe que dans cette interrelation.
Cette interrelation avec Dieu signifie à la fois : distance et proximité. L’homme ne peut s’humaniser et devenir vraiment homme, s’il s’installe dans ce respect de la distance qui induit le respect et dans cette conscience de la proximité qui conduit à l’amour de l’autre.
L’apport des religions à la cause de la paix dans le monde et dans l’histoire sera donc à chercher dans ce sens. Plus une religion prend conscience de la véritable nature de l’altérité dans laquelle l’homme a été placé, plus elle contribuera à la paix entre les nations et les peuples et entre les individus.

Respect de l’autre et amour mutuel au cœur de la religion chrétienne

Cette distance et cette proximité, ce respect de l’autre et cet amour mutuel sont aussi au cœur de la religion chrétienne. Déjà à la première page de la Bible se trouvent inscrites ces deux vérités complémentaires et indissociables : Dieu appelle l’homme
à observer sa loi (c’est l’aspect distance) ; Il les appelle aussi à la communion de vie avec Lui-même et entre eux (c’est l’aspect amour et proximité). C’est à la fidélité à ces deux dimensions dans la relation entre Dieu et l’homme qu’est liée la convivialité humaine et la paix. Dès que cette relation est blessée, toutes les relations horizontales sont de ce fait perturbées. La conséquence directe de la rupture avec Dieu fut le crime fratricide de Caïn. L’homme ne retrouvera alors sa véritable relation horizontale avec le prochain, que s’il est rétabli dans sa vraie relation avec Dieu. Seul Dieu est le garant de la paix entre les hommes. Seul le vertical garantira l’horizontal.
C’est d’ailleurs la vision chrétienne de la fin de l’histoire humaine suggérée dans les images inoubliables du Livre de l’Apocalypse : « Après cela je vis : C’était une foule immense que nul ne pouvait dénombrer de toutes les nations, tribus et peuples et langues… Ils se tiennent devant le trône de Dieu et lui rendent un culte jour et nuit dans son temple… Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, le soleil et ses feux ne les frapperont plus … Dieu essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 7,1.16-17).

Ce sont les religions qui portent dans leur cœur le secret de la paix dans le monde. Non pas parce qu’elles posséderaient une force humaine pour instaurer la paix ou qu’elles aient couru un parcours sans faute, mais parce qu’elles ont été dotées par Dieu de la juste conception de l’être humain et de la conscience de sa véritable nature : que l’homme est fils de Dieu et qu’ils sont tous frères et sœurs et que c’est dans cette relation avec Dieu, qu’est à chercher le secret de l’altérité : celui de la distance et du respect dune part, de la proximité et l’amour d’autre part. Cet amour a du prendre hélas la couleur de la réconciliation, parce qu’il a dû passer par toutes les chutes morales innombrables, individuelles et collectives de l’histoire des hommes.

Dieu, dernier recours pour la paix ?

Cette œuvre de paix entre les hommes ne pourra se passer du dialogue interreligieux. Celui-ci est la prise de conscience de toutes les religions de leur propre identité, tout en acceptant d’entrer dans une connaissance de plus en plus approfondie de l’autre. Cette connaissance mutuelle, loin d’être une menace pour la conviction propre, sera une source de purification et un pas en avant dans la prise de conscience de la vérité propre de ses propres convictions. La connaissance empathique de l’autre est toujours un pas en avant dans la découverte de la vraie nature de l’altérité.

Pour les chrétiens en particulier, ce dialogue est d’une grande importance puisque Dieu s’étant révélé comme un Dieu de dialogue. En effet le dogme fondamental de la foi chrétienne n’est-il pas précisément celui de la Trinité ? Entre le Père, le Fils et l’Esprit il y a un va-et-vient et un dialogue continuel. Les trois anges de l’icône de Roublev semblent courber la tête l’un devant l’autre, dans un geste de proximité intime en même temps que respectueuse et distante. C’est l’icône par excellence l’altérité : se tendre l’un vers l’autre en se courbant l’un devant l’autre. Ce vent de charité dans la fournaise ardente de la vie intérieure de Dieu, cette circulation d’amour respectueux entre les trois, n’est-elle pas aussi le secret de tout dialogue interreligieux ? Celui-ci en effet n’appartient pas en premier lieu au domaine de la connaissance et du savoir. Il se situe à l’intérieur du circuit de l’Amour.

Le dialogue interreligieux est sans doute à la base de la paix dans le monde. Car à un moment où les moyens humains pour construire la paix semblent de moins en moins sûrs de leur réussite, le moment n’est-il pas venu de dire au monde – humblement mais fermement – qu’il y a plus que des moyens humains requis et disponibles pour cette œuvre gigantesque. La paix ne pourra venir que de Dieu, même si ce n’est pas sans notre collaboration.
L’œuvre de paix ressemble au jeu de piano : on joue des deux mains. Mais notre contribution humaine c’est la partie de la main gauche : elle n’est que l’accompagnement. C’est à Dieu de jouer la partie de la main droite : c’est à Lui qu’il appartient de jouer la mélodie.

© Cathobel

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ZENIT Staff

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