Loppiano 10/05/2018 © Vatican Media

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A Loppiano, le pape encourage les Focolari à promouvoir la «spiritualité du nous» (traduction 1/4)

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Une « mystique évangélique »

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« Le charisme de l’unité est un stimulant providentiel et une aide puissante pour vivre cette mystique évangélique du « nous » », affirme le pape François à Loppiano.
Loppiano est une « Cité nouvelle » fondée par Chiara Lubich (1920-2008) et le Mouvement des Focolari (« L’Oeuvre de Marie »), en s’inspirant des valeurs de l’Evangile, dans les années soixante : plusieurs autres villes ont vu ainsi le jour ensuite dans le monde entier.
Ce jeudi 10 mai, le pape François a en effet effectué un double voyage en Italie, à Nomadelfia – autre forme d’utopie évangélique réalisée concrètement, sous l’impulsion du p. Zeno Saltini (1900-1981), dans le diocèse de Grosseto -, et à Loppiano, dans le diocèse de Fiesole.
A Loppiano, le pape a été accueilli par l’évêque de Fiesole, Mgr Mario Meini et par Maria Voce, présidente du mouvement des Focolari. Il s’est d’abord recueilli dans le sanctuaire de la Vierge Marie « Mère de Dieu », Maria Theotokos (cf. Concile d’Ephèse, 431), et il a ensuite répondu à des questions.
Il a ensuite salué différents membres de la communauté et des délégations de différentes cultures et religions, dont des moines bouddhistes de Thaïlande et un rabbin italien présenté par l’archevêque de Florence, le cardinal Giuseppe Betori. Il a ensuite béni les malades avant de repartir en hélicoptère pour Rome vers 11h35.
Dans sa première réponse, le pape a insisté sur la spiritualité du « nous », à partir du charisme de l’unité caractéristique du mouvement des Focolari.
Pour le pape, il s’agit de « marcher ensemble dans l’histoire des hommes et des femmes de notre temps comme «un seul cœur et une seule âme», en se découvrant et en s’aimant concrètement comme les « membres les uns des autres » ».
Il a proposé un « test » qu’un prêtre lui a fait : « Un prêtre qui est ici – plus ou moins caché – m’a fait ce test. Il m’a dit: « Dites-moi, père, quel est le contraire du « moi », l’opposé du « moi »? Et je suis tombé dans le piège, et immédiatement j’ai dit: « toi ». Et il m’a dit: « Non, le contraire de tout individualisme, du moi et du toi, c’est le « nous ». Le contraire c’est le « nous ». C’est cette spiritualité du nous, celle que vous devez promouvoir, qui nous sauve de tout égoïsme et de tout intérêt égoïste. La spiritualité du « nous ». »
Voici notre traduction, rapide, de travail, de la première réponse du pape François, faite en italien et par moments d’abondance du cœur.
Nous publions aussi sa réponse à la deuxième question, sur la culture de l’unité, sa troisième réponse sur la « fidélité créative« , ainsi que sa conclusion sur la Vierge Marie et la fête de Marie, Mère de l’Eglise, le lundi de Pentecôte.
AB
Allocution du pape François (1)
Chers frères évêques,
Autorités,
et vous tous,
Merci de votre accueil! Je vous salue tous et je remercie Maria Voce pour son introduction … claire, très claire! Nous voyons qu’elle a des idées claires!
Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui parmi vous ici à Loppiano, cette petite « ville » connue dans le monde parce qu’elle est née de l’Evangile et veut se nourrir de l’Evangile. Et pour cette raison, elle est reconnue comme sa propre ville d’élection et d’inspiration par beaucoup de disciples de Jésus, même par des frères et soeurs d’autres religions et d’autres convictions. À Loppiano, tout le monde se sent chez lui!
J’ai voulu venir la voir parce que, comme l’a souligné celle qui en était l’inspiratrice, la Servante de Dieu Chiara Lubich, veut être une illustration de la mission de l’Eglise aujourd’hui, comme il a dessinée le Concile Vatican II. Et je suis heureux de dialoguer avec vous pour mettre de plus en plus au point, en écoutant le plan de Dieu, le projet de Loppiano au service de la nouvelle étape du témoignage et de la proclamation de l’Evangile de Jésus à laquelle le Saint-Esprit nous appelle.
Je connaissais les questions, bien sûr! Et maintenant je réponds aux questions. (Je les ai toutes inclues ici.)
(Dernière partie de la) Première question
Après la période de la fondation a vécu avec Chiara, nous vivons maintenant une nouvelle phase. Le temps de l’enthousiasme a peut-être passé pour certains; il est certainement plus difficile d’identifier les moyens d’incarner la prophétie des débuts. Comment vivre, Saint-Père, ce moment?
Pape François
C’est la première question que vous me posez, vous, les «pionniers» de Loppiano, qui, il y a plus de 50 ans, puis progressivement au cours des décennies suivantes, vous êtes lancés dans cette aventure en laissant vos régions, vos maisons et vos emplois pour venir ici pour passer votre vie et réaliser ce rêve. Tout d’abord merci, merci pour ce que vous avez fait, merci de votre foi en Jésus! C’est Lui qui a fait ce miracle, et vous [vous avez] mis la foi. Et la foi permet à Jésus de travailler. C’est pourquoi la foi opère des miracles, car elle laisse la place à Jésus, et il fait des miracles les uns après les autres. La vie est comme ça!
À vous, les «pionniers», et à tous les habitants de Loppiano, je répète spontanément les paroles que la Lettre aux Hébreux adresse à une communauté chrétienne qui vivait une étape de son itinéraire semblable à la vôtre. La Lettre aux Hébreux dit: « Remémorez-vous ces premiers jours: après avoir reçu la lumière du Christ, vous avez dû endurer une lutte grande et douloureuse […]. En effet […] vous avez accepté volontiers d’être privé de vos biens, sachant que vous possédiez des biens meilleurs et durables. N’abandonnez pas votre franchise, votre parrhesia, dit-il, à laquelle une grande récompense est réservée. Tout ce dont vous avez besoin c’est la persévérance – de hypomone est le mot qu’il utilise, c’est-à-dire porter sur ses épaules le poids de tous les jours – pour que, une fois accomplie la volonté de Dieu, vous obteniez ce qui vous a été promis » (10, 32- 36).
Ce sont deux mots clés, mais dans le cadre de la mémoire. Cette dimension «deutéronomique» de la vie: la mémoire. Quand, je ne dis pas un chrétien, mais un homme ou une femme, ferme la clé de la mémoire, il commence à mourir. S’il vous plaît, la mémoire. Comme le dit l’auteur de la Lettre aux Hébreux: « Remémorez-vous ces premiers jours … ». Avec ce cadre de la mémoire, on peut vivre, on peut respirer, on peut continuer, et porter du fruit. Mais si vous n’avez pas de mémoire … Les fruits de l’arbre sont possibles car l’arbre a des racines: il n’est pas déraciné. Mais si vous n’avez pas de mémoire, vous êtes un déraciné, une déracinée, il n’y aura pas de fruits. Mémoire: voilà le cadre de la vie.
Voici deux mots clés du chemin de la communauté chrétienne dans ce texte: parrhesia et hypomoné. Courage, franchise et supporter, persévérez, portez le poids de tous les jours sur les épaules.
La parrhesia, dans le Nouveau Testament, dit le style de vie des disciples de Jésus: le courage et la sincérité dans le témoignage rendu à la vérité et en même temps que la confiance en Dieu et dans sa miséricorde. La prière aussi doit être avec parrhesia. Dire les choses à Dieu « en face », avec courage. Pensez à la façon de prier de notre père Abraham, quand il a eu le courage demander à Dieu de « négocier » sur le nombre des justes dans Sodome: « Et s’ils étaient trente … Et s’ils étaient vingt-cinq … Et si ils étaient quinze? …  » Ce courage de lutter avec Dieu! Et le courage de Moïse, le grand ami de Dieu, qui lui dit en face: « Si tu détruis ce peuple, détruis-moi aussi ». Courage. Lutter avec Dieu dans la prière. Il faut de la parrhesia, parrhesia dans la vie, dans l’action, et aussi dans la prière.
La parrhesia exprime les qualités fondamentales de la vie chrétienne: avoir le cœur tourné vers Dieu, croire en son amour (cf. 1 Jn 4,16), parce que son amour bannit toute fausse crainte, toute tentation de se cacher dans la vie tranquille, ou même dans la respectabilité ou même dans une hypocrisie subtile. Tous les vers de bois qui abîment l’âme. Il faut demander à l’Esprit Saint la franchise, le courage, la parrhesia – toujours liée au respect et à la tendresse – dans le témoignage des œuvres de Dieu grandes et belles, qu’Il fait en nous et au milieu de nous. Et même dans les relations au sein de la communauté, il faut toujours être sincères, ouverts, francs, ni craintif ni paresseux ni hypocrites. Non, ouverts. Ne restez pas de votre côté, pour semer la discorde et murmurer, mais efforcez-vous de vivre comme des disciples sincères et courageux dans l’amour et la vérité. Semer la discorde, vous le savez, détruit l’Église, détruit la communauté, détruit la vie, parce qu’elle t’empoisonne toi aussi. Et ceux qui vivent de bavardages, qui vont toujours murmurer l’un de l’autre, j’aime dire – je le vois comme cela – qu’ils sont des «terroristes», parce qu’ils parlent mal des autres; mais parlent mal de quelqu’un pour le détruire, c’est faire comme le terroriste: il va avec la bombe, la jette, détruit, puis il s’en va tranquille. Non. Ouverts, constructifs, courageux dans la charité.
Et puis l’autre mot: hypomoné, que l’on peut traduire comme être en-dessous, supporter. Le fait de rester et apprendre à habiter les situations exigeantes que la vie nous présente. Avec ce terme, l’apôtre Paul exprime la constance et la fermeté dans la poursuite du choix de Dieu et de la nouvelle vie dans le Christ. Il s’agit de maintenir ce choix ferme, même au prix de difficultés et d’oppositions, sachant que cette constance, cette fermeté et cette patience produisent de l’espérance. C’est ce que dit Paul. Et l’espérance ne déçoit pas, dit Paul (cf. Rm 5, 3-5). Mettez-vous ceci dans la tête: l’espérance ne déçoit jamais! Ne déçoit jamais! Pour l’apôtre, le fondement de la persévérance, c’est l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs par le don de l’Esprit, un amour qui nous précède et nous rend capables de vivre avec ténacité, sérénité, positivité, imagination … et même avec un peu d’humour, même dans les moments les plus difficiles. Demandez la grâce de l’humour. C’est l’attitude humaine qui se rapproche le plus de la grâce de Dieu. J’ai rencontré un saint prêtre occupé jusqu’au cou à faire les choses – il allait, allait… – mais il ne cessait jamais de sourire. Et comme il avait le sens de l’humour, ceux qui le connaissaient disaient de lui: « Mais celui-là ilest capable de rire des autres, de rire de lui-même et même de rire de sa propre ombre! » L’humour c’est comme cela!
La Lettre aux Hébreux nous invite aussi à « se remémorer ces premiers jours », c’est-à-dire à raviver dans nos cœurs et dans nos esprits le feu de l’expérience dont tout est né.
Chiara Lubich a senti que Dieu la poussait à faire naître Loppiano – puis les autres villes qui ont surgi dans diverses régions du monde – en contemplant, un jour, l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln, avec son église et le cloître des moines, mais aussi avec la bibliothèque, le travail du bois, des champs … Là, dans l’abbaye, Dieu est au centre de la vie, dans la prière et dans la célébration de l’Eucharistie, d’où jaillit et se nourrissent la fraternité, le travail, la culture, le rayonnement au milieu des gens de la lumière et de l’énergie sociale de l’Evangile. Ainsi, en contemplant l’abbaye, Chiara a été poussée à donner vie à quelque chose de semblable, sous une forme nouvelle et moderne, en harmonie avec Vatican II, à partir du charisme de l’unité: esquisse d’une ville nouvelle dans l’esprit de l’Evangile.
Une ville dans laquelle la beauté du Peuple de Dieu se distingue avant tout par la richesse et par la variété de ses membres, des différentes vocations, des expressions sociales et culturelles, chacun en dialogue et au service de tous. Une ville qui a comme cœur l’Eucharistie, source d’unité et de vie toujours nouvelle, et qui se présente aux yeux de ceux qui la visitent même sous son aspect laïc et quotidien, inclusive et ouverte: avec le travail de la terre, les activités de l’entreprise et de l’industrie, les écoles de formation, les maisons d’accueil et les personnes âgées, les ateliers artistiques, les complexes musicaux, les moyens de communication modernes …
Une famille dans laquelle chacun reconnaît les fils et les filles de l’unique Père, qui s’engagent à vivre le commandement de l’amour mutuel entre eux et envers tous. Non pas pour être tranquilles en dehors du monde, mais pour sortir, rencontrer, prendre soin, jeter à pleines mains le levain de l’Evangile dans la pâte de la société, surtout là où c’est le plus nécessaire, où la joie de l’Évangile est attendue et invoquée: dans la pauvreté, dans la souffrance, dans l’épreuve, dans la recherche, dans le doute.
Le charisme de l’unité est un stimulant providentiel et une aide puissante pour vivre cette mystique évangélique du « nous », c’est-à-dire pour marcher ensemble dans l’histoire des hommes et des femmes de notre temps comme «un seul cœur et une seule âme» (cf. Ac 4,32), en se découvrant et en s’aimant concrètement comme les « membres les uns des autres » (Rm 12, 5). Jésus a prié le Père pour cela: « Que tous soient un comme toi et moi nous sommes un » (Jn 17, 21), et il en a montré en lui-même le chemin jusqu’au don total de tout dans le vide abyssal de la croix (cf. Mc 15,34, Phil 2, 6-8). Voilà la spiritualité du « nous ». Vous pouvez vous faire à vous-mêmes, et d’autres aussi, pour rire, ce test. Un prêtre qui est ici – plus ou moins caché – m’a fait ce test. Il m’a dit: « Dites-moi, père, quel est le contraire du  » moi « , l’opposé du  » moi « ? Et je suis tombé dans le piège, et immédiatement j’ai dit: « toi ». Et il m’a dit: « Non, le contraire de tout individualisme, du moi et du toi, c’est le  » nous « . Le contraire est  » nous « . C’est cette spiritualité du nous, celle que vous devez promouvoir, qui nous sauve de tout égoïsme et de tout intérêt égoïste. La spiritualité du nous.
Ce n’est pas seulement un fait spirituel, mais une réalité concrète avec des conséquences formidables – si nous le vivons et que nous déclinons ses différentes dimensions avec authenticité et courage – au niveau social, culturel, politique, économique … Jésus a racheté non seulement l’individu, mais aussi la relation sociale (cf. Evangelii gaudium, 178). Prendre au sérieux ce fait signifie façonner un nouveau visage de la cité des hommes selon le plan d’amour de Dieu.
Loppiano est appelé à être cela. Et Loppiano peut essayer, avec confiance et réalisme, de le devenir de mieux en mieux. Voilà l’essentiel. Et c’est à partir de cela, qu’il faut toujours repartir.
C’est la réponse à la première question: toujours repartir, mais à partir de cette réalité qui est vivante. Pas des théories, non, de la réalité, de la façon dont nous vivons. Et quand la réalité est vécue authentiquement, c’est un lien dans cette chaîne qui nous aide à aller de l’avant.
Traduction de ZENIT, Anita Bourdin
(A suivre pour les deux autres questions et la conclusion)
 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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