Inde : Au Nagaland, une Eglise tribale

Entretien avec l’évêque du lieu le plus catholique de l’Inde

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ROME, Dimanche 22 mai 2010 (ZENIT.org) – Le Nagaland est l’un des « sept Etats frères » du nord-est de l’Inde, aux confins de la Birmanie à l’est, et des montagnes de l’Himalaya, au nord. Jusqu’à il y a une centaine d’années, le Nagaland abritait une culture de païens et de chasseurs de têtes. Aujourd’hui, il est le seul Etat de l’Inde dans lequel 90% de la population est chrétienne.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) en coopération avec l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), Mgr Jose Mukala de Kohima évoque l’histoire du christianisme dans la région, et ce que l’Eglise doit aux missionnaires baptistes.

Q : Quelle a été votre première impression quand vous avez débarqué pour la première fois au Nagaland ? 

Mgr Mukala : Avant de venir au Nagaland en tant que prêtre, j’étais déjà venu y faire mes études au séminaire. En effet, c’est de 1967 que date ma première visite au Nagaland. J’étais alors en seconde année de séminaire, et j’ai été surpris de trouver des églises dans chaque village que nous traversions. Nous étions remplis de joie de rencontrer des chrétiens partout, de voir les églises surplombant les villages, tous les villages. Après mon ordination, j’ai travaillé pendant deux ans au Manipur, Etat voisin du Nagaland, où j’ai été ensuite transféré pour faire partie de la direction du séminaire. 

Q : Le village est le centre de la vie tribale. Qu’est-ce qu’il a encore de tellement symbolique et significatif pour les tribus au Nagaland ?

Mgr Mukala : Le village tient encore une place importante dans leur vie, parce que c’est au village qu’ils sont nés et qu’ils apprennent les valeurs tribales. Le conseil du village, composé des aînés, leur transmettra les valeurs tribales, tout ce qui concerne la tribu et son histoire. C’est pourquoi le village reste l’endroit le plus important pour eux. Il continue à représenter l’autorité. 

Q : Plus que le gouvernement ?

Mgr Mukala : Beaucoup plus que le gouvernement, car ils accordent plus d’importance aux lois coutumières en vigueur dans les villages et les tribus. Ainsi, les litiges sont portés d’abord devant les tribunaux de village, là ils sont discutés, tirés au clair, et seulement une fois toutes les possibilités épuisées, l’affaire est déférée aux autorités. 

Q : Jusqu’à il y a 130 ans, la culture naga était une culture païenne. Cela a donc dû être très difficile pour les premiers missionnaires d’évangéliser le peuple naga ? 

Mgr Mukala : Je ne pense pas que cela ait été difficile car, aux dires des missionnaires chrétiens baptistes, ils ont été bien accueillis par les groupes. Par leurs contacts avec les gens d’Assam, les Nagas ont découvert le progrès et le développement et ont pensé que le christianisme favoriserait ce développement dans leurs vies. 

Q : Ainsi les tribus, descendues des collines, ont vu les établissements chrétiens, et ils y ont vu quelque chose de plus attrayant, en fait, plus intéressant que la culture hindoue ? 

Mgr Mukala : Oui, plus intéressant que la culture hindoue. Pour une raison particulière, ils ne voulaient pas adopter la culture hindoue. Je n’en connais pas les raisons, mais peut-être que la multiplicité des dieux et autres aspects du bouddhisme ne les attiraient pas. En revanche, les missionnaires chrétiens ont trouvé un climat et une attitude on ne peut plus accueillante de la part du peuple naga. L’autre intérêt était peut-être l’instruction. Ils parlaient souvent d’instruction, d’éducation. Cela a sans doute été l’autre raison de l’accueil qu’ils ont réservé aux chrétiens et, même maintenant, je suis toujours le bienvenu dans tous les villages, et souvent ils me réclament des écoles. Mais je ne peux pas toujours répondre que je suis d’accord, que je veux bien ouvrir une école, si nous n’avons pas les communautés [religieuses]. Nous recherchons les communautés religieuses d’abord et avant tout et, ensuite, si c’est pour le bien de tous, nous ouvrirons une école. 

Q : En réalité, les missionnaires catholiques n’ont pas été les premiers à œuvrer au Nagaland. Le Nagaland est, dit-on, le pays le plus baptiste de cette région du monde. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Mgr Mukala : Oui, oui, c’est vrai, ils le disent, mais je ne l’ai pas vu écrit ; le Conseil mondial des Eglises avait subdivisé la région, l’attribuant à différentes confessions, et les catholiques n’ont pas eu leur place. 

Q : Et ceci s’est passé après l’indépendance ? 

Mgr Mukala : Bien avant l’indépendance. C’est ainsi que certaines zones au nord-est ont été attribuées aux luthériens, d’autres aux presbytériens, tandis que le Nagaland, le Manipur et la partie haute du Mizoram étaient affectés aux baptistes. 

Q : Les catholiques n’ont eu droit à rien ? 

Mgr Mukala : Aucun lieu n’a été attribué aux catholiques : ils étaient, en effet, déjà dans le Shiolong et l’Assam, mais dans ces zones montagneuses, on ne leur donna pas un endroit à eux. 

Q : D’où venaient ces missionnaires baptistes ? 

Mgr Mukala : Ils venaient d’Amérique, mais s’étaient établis d’abord à Jorhat (nord-est de l’Etat d’Assam, en Inde). Arrivés ensuite dans notre région, ils sont entrés en contact avec le premier village. 

Q : Et, selon vous, ils ont fait du bon travail ? 

Mgr Mukala : Ils ont fait du bon travail. Ils sont allés dans tous les villages et ont traduit la Bible dans les différentes langues tribales. Que cette traduction soit parfaite, cela reste à prouver, mais c’est celle que nous utilisons toujours. 

Q : J’en viens à la question de la scolarisation, qui a été vraiment la base. Comment se présente-t-elle et pourquoi est-elle aussi importante pour l’accueil de l’Eglise catholique dans ces villages ? 

Mgr Mukala : Nous estimons que, sans écoles, nous ne sommes pas en mesure d’éduquer nos jeunes et je suis particulièrement reconnaissant à notre premier évêque du Nagaland, Mgr Abraham, un salésien qui, dès qu’il a pris ses fonctions, a déclaré : « Il nous faut une école. »

Q : Je crois qu’il est important de rappeler que l’instruction, ou plutôt l’absence d’instruction, représente un énorme problème dans ces zones. 

Mgr Mukala : C’est un problème et permettez-moi vous dire ceci : il y a des écoles laïques dans chaque village, mais rares sont celles qui fonctionnent normalement. Les enseignants, ou ne sont pas présents, ou veulent juste se montrer sans prendre leur travail au sérieux, et il n’y a aucun contrôle. Il en était ainsi avant, mais maintenant les choses ont changé, les communautés prennent désormais les choses en mains et assument la responsabilité de leurs propres écoles ; mais, même dans ce cas, la qualité de nos écoles et notre système scolaire sont jugés bien supérieurs, et beaucoup l’ont préféré parce que nous sommes sérieux, et nous ne plaisantons pas. La gestion et le personnel sont très sérieux et sincères dans leur travail, ce qui contribue à la qualité de notre système scolaire, et cela ils le voient bien. Aussi ils veulent à tout prix s’inscrire dans nos écoles, de préférence. On observe, cependant, une augmentation des frais de scolarité, car les parents doivent payer pour l’inscription de leurs enfants dans nos écoles. Ainsi, leurs frais de scolarité sont multipliés par deux ; ils doivent payer pour leurs écoles et nos écoles. 

Q : Les écoles catholiques sont beaucoup plus ouvertes aux moins fortunés, ce qui veut dire que les frais de scolarité sont bien inférieurs à ceux des autres écoles privées.

Mgr Mukala : Oui, c’est exact, ils sont moins chers ; nous faisons d’énormes concessions aux pauvres, notamment à nos enfants catholiques, car nous voulons être sûrs qu’ils sont tous bien instruits.

Q : La pauvreté est encore un problème au Nagaland, plus que la malnutrition – ou la faim est-elle toujours un problème ? 

Mgr Mukala : Je ne dirais pas que la faim représente un problème majeur au Nagaland, parce que les gens travaillent très dur. Ils travaillent dans les champs. Ils ont de quoi manger. La forêt est riche en nourriture et en animaux. Ainsi, autour de la forêt, ils pratiquent le « jhum » , ce que nous appelons la « culture itinérante, jachère », et ils ont ainsi toujours quelque chose à manger. Personne ne meurt de faim ; peut-être que lorsque les champs sont détruits par la pluie ou les glissements de terrain, ces villages n’ont pas assez à manger ; mais, dans ce cas, les autres villages leur viennent en aide et, nous-mêmes, les aidons, mais c’est rare. Même si personne ne meurt de faim, ils ont du mal à gagner de l’argent, même lorsqu’il ont un excédent de production, parce qu’ils n’ont pas la possibilité de transporter la marchandise jusqu’à un marché. Le transport a un coût. L’Eglise a pris des initiatives pour les aider à commercialiser leur excédent de production à travers notre centre d’aide sociale à Dimapur ; nous avons des bureaux dans toutes les paroisses et avons pris certaines mesures, mais beaucoup reste à faire sur ce point. 

Q : Ils tirent donc toujours le diable par la queue

Mgr Mukala : Oui, leur existence reste précaire, et c’est un autre problème majeur pour eux quand ils doivent envoyer leurs enfants à l’école, par exemple. Ils ont besoin d’argent pour payer les frais de scolarité, l’uniforme et les livres, ce qui leur est très difficile. Un autre problème est le coût des infrastructures ; mais ils travaillent très dur, se montrent très coopératifs et nous donnent ce qu’ils peuvent. Si l’on compare les quêtes et offrandes dans nos autres églises du reste de l’Inde, je trouve que nos gens sont beaucoup plus généreux : le peu qu’ils ont, ils le partagent. 

Q : Votre Excellence, quel est le plus grand défi, la plus grande menace auxquels votre mission doit faire face au Nagaland parmi les gens des tribus ? 

Mgr Mukala : Ma préoccupation constante est de les éduquer dans notre foi. Ils viennent d’un passé baptiste, et n’ont donc aucune idée des sacrements et de notre catéchisme, ou de notre doctrine ; aussi nous portons nos efforts surtout sur les catéchèses, que nous faisons de diverses façons, avec nos enfants, nos jeunes, et même nos adultes. C’est l’un de nos principaux défis et préoccupations. 

Q : Votre Excellence, quel serait votre appel à l’Eglise universelle ?

Mgr Mukala : Je voudrais demander aux membres de l’Eglise du monde entier de se souvenir de nous dans leurs prières, pour que notre Eglise devienne une Eglise missionnaire active et que nous soyons en mesure d’envoyer nos propres missionnaires. En effet, nous avons déjà quelques Nagas dans les missions  : par exemple en Allemagne, nous avons un vicaire dans le diocèse de Hambourg. Nous espérons que beaucoup d’autres Nagas originaires du Nagaland, et du diocèse du Nagaland, pourront aller dans les autres parties du monde. En second lieu, je demanderais de nous aider à éduquer nos enfants et nos adultes dans la foi. 

Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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