Buenos Aires donne son "père" à l'Eglise et au monde

«  »Nous avons perdu un père » devenu « une richesse pour tous »

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L’Osservatore Romano en italien des 18-19 mars 2013 publie cet entretien avec le recteur de la cathédrale métropolitaine de Buenos Aires, le p. Alejandro Russo et avec le porte-parole du diocèse, Federico. Nous la publions dans notre traduction, avec l’aimable autorisation du quotidien du pape.

« Nous avons perdu un père mais lui, maintenant, est une richesse pour tous »

Federico est le porte-parole du diocèse de Buenos Aires. Alejandro Russo est recteur de la cathédrale métropolitaine et secrétaire du vicariat épiscopal: il coordonne et organise toutes les activités pastorales de l’archidiocèse. C’est la personne qui, pendant des années, a été en contact permanent avec le cardinal Bergoglio. Il est spécialiste en liturgie et cérémonial. Sur les photos officielles, il est toujours à ses côtés.

Federico est très jeune, mais il a le visage de quelqu’un qui a vécu, d’un jeune des ghettos, réinséré dans la société. Un de ces jeunes que Bergoglio, lorsqu’il était cardinal, avait l’habitude de récupérer: « Paco : c’est le résidu de la cocaïne transformée, ce qu’on n’utilise pas pour faire de la cocaïne. On mélange ça avec une autre substance toxique et, pour les jeunes qui l’utilisent, c’est mortel. Ça détruit les neurones du cerveau et les personnes deviennent comme des zombies. Bergoglio a travaillé aussi pour ça comme pasteur de Buenos Aires. Il a travaillé pour combattre le paco. Le cardinal allait souvent dans ces quartiers de banlieue, seul, avec sa mallette. Et même si ce sont des gens humbles et travailleurs qui vivent dans ces zones, ces quartiers ont une très mauvaise réputation. Le cardinal a aussi fait un travail très important contre la traite des petites filles et la prostitution. Ces filles sont enlevées au Pérou ou en Bolivie, on leur supprime leur identité et elles sont soit vendues sur le marché de la prostitution soit carrément adoptées par des familles riches ; c’est ce qu’on appelle les adoptions « au noir ». Nous avons récupéré certaines d’entre elles. Grâce, entre autres, à l’immense investissement de Bergoglio, en temps et en moyens, pour cette cause ».

En même temps, nous nous dirigeons vers la sacristie en passant par l’intérieur de la cathédrale: « D’après moi, la réforme dont l’Église a besoin, aujourd’hui, c’est l’austérité. Il faut une Église pèlerine, une Église qui regarde vers l’extérieur, qui part en mission et qui va à l’essentiel du message de Jésus. Toutes les caractéristiques de Bergoglio. Ici, à Buenos Aires, il est connu pour ça, pour son travail pastoral permanent, inspiré de l’Evangile de Jésus. Bergoglio est quelqu’un qui va parler avec les cartoneros en ville. Ce sont ces personnes que tu vois traîner et qui ressemblent à des clochards, parce qu’elles sont en guenilles ; ce sont des gens pauvres qui ramassent les papiers dans la ville pour les recycler et en obtenir quelques pesos. Bergoglio leur apportait du maté, une boisson locale, ou bien il s’approchait simplement d’eux pour les réconforter, il leur demandait de quoi ils avaient besoin. Il est toujours allé au bout de la ville pour rencontrer les pauvres dans les ghettos, ces quartiers dont le nom seul fait trembler n’importe quelle personne normale. Et voici un printemps romain, au Vatican, avec Bergoglio. Avant le conclave, quand nous nous demandions quel pape nous voulions, nous disions ceci : un cardinal qui ressemble le plus possible à Jésus. Mais moi, je n’y croyais pas, pour être honnête, je ne croyais pas qu’il serait élu. Je pensais que la papauté revenait à Milan ou à Sao Paulo [….] On disait que le pape aurait moins de 70 ans. Mais malgré ses 76 ans, Bergoglio a une force extraordinaire ; c’est le fruit d’un exercice et d’un travail constants sur le terrain. Ici, nous avions déjà préparé tous les rendez-vous pour la Semaine sainte parce que, justement, nous attendions tous son retour à Buenos Aires. Un ami m’a téléphoné et m’a dit : « Je viens d’entendre CNN, ils disent que le pape est Bergoglio, c’est Bergoglio, Federico ! ». Il hurlait dans mes oreilles. Je n’arrivais pas à y croire. J’ai eu la même réaction que pendant la finale de la Coupe du monde en 1986. Quand j’ai vu élever la coupe, j’étais petit mais je me souviens que j’avais eu la même réaction ; je me suis dit : c’est nous les champions ! C’est une émotion, une sensation indescriptibles. Au fond, j’ai passé les six dernières années de ma vie à travailler avec lui. »

Voici le père Russo qui arrive, un homme imposant, avec une voix de baryton. Toute la pièce dans laquelle il m’emmène vibre à sa voix: « Je n’ai pas encore parlé avec le pape. Il n’a pas encore eu le temps. Le choix du nom a été très important. Quand il parle de pauvreté, le cardinal parle d’une pauvreté intégrale, sans exclure aucun aspect : pauvreté matérielle et spirituelle. Il a vécu avec les pauvres de la rue mais aussi avec ces pauvres qui sont seuls, la solitude est une pauvreté existentielle, au fond. »

Je demande au p. Russo ce que cela signifie pour l’Église d’avoir un pape latino-américain: « C’est l’Église des pauvres pour les pauvres. La grande richesse que le monde latino-américain peut apporter à l’Église dans le monde, c’est la religion populaire, cette fraîcheur, cette effervescence liée à la culture du continent. Une vie religieuse spontanée. Par exemple, lors des pèlerinages, il y a un million de personnes qui marchent dans les rues ici, un phénomène comme celui-ci ne se voit nulle part ailleurs. C’est exactement le contraire d’une pratique religieuse ankylosée, purement formelle. Il y a certainement une continuité entre Ratzinger et Bergoglio, deux papes extrêmement aimables et simples, surtout dans leurs gestes et leur apparence. Ratzinger a une profondeur extraordinaire dans sa lecture de l’Evangile, Bergoglio est plus spontané, mais l’un et l’autre s’approprient leurs homélies, ils ne se contentent pas de les lire, ils ne sont pas attachés au texte de manière littérale, mais ils en font une lecture personnelle, ils improvisent. Ils se ressemblent sur la forme, dans leur amour de la vérité. L’un, Bergoglio, a une grande expérience pastorale, l’autre, Ratzinger, avait une grande expérience du gouvernement de l’Église. Mais, comme on dit : Ecclesia semper reformanda est. Chacun apporte quelque chose de nouveau, mais dans la continuité. »

Il me fait alors entrer dans la sacristie où Bergoglio se préparait avant de célébrer la messe. Il y a quelques photos du pape émérite Benoît XVI sur la commode et sur la table, une Bible et quelques objets: « La première réforme dont l’Église a besoin, c’est d’un engagement à montrer la vérité authentique du message du Christ, continue Russo, une Église qui ne se donne pas une apparence pompeuse, mais une Église pauvre, qui se présente comme Jésus-Christ, une Église qui n’a pas besoin de montrer autre chose que la justice du Christ, la vérité du Christ, la charité du Christ. Être pauvre d’apparence, c’est être riche en substance, dans le message. »

Je l’interroge sur les dizaines d’affiches que l’on peut voir en ville, avec la photo de Bergoglio et, en dessous, l’inscription argentino y peronista (argentin et péroniste): « Ce sont des affiches politiques, de ceux qui veulent profiter maintenant d’un peu de la “gloire” qui touche le cardinal. Les péronistes le réclament comme l’un des leurs. Mais ils ne sont pas les seuls, chacun en veut un “morceau”. En ce moment, tout le monde est papiste : les radicaux disent que le pape est radical, ceux de Flores (le quartier où est né Bergoglio) parlent du “pape de Flores”. Tout le monde le réclame. Tout le monde dit : “Vous voyez, le pape était
de notre bord”. Et il poursuit : « Sur la toile, il y a une photo de Bergoglio qui circule, élevant le calice, et au-dessous, il est écrit : “C’est le seul fan du San Lorenzo qui se vante d’avoir une coupe”. » Il rit. Il est connu que Bergoglio était un supporter du San Lorenzo, l’équipe de football, actuellement en bas dans le classement, qui n’a jamais rien gagné d’important ces dernières années.

« Aujourd’hui, nous nous sentons orphelins de notre père, dit le p. Russo en s’asseyant dans la sacristie, mais nous sommes heureux d’avoir donné un évêque à Rome. Un homme qui met en valeur la personne, et qui respecte le travail humble, est une richesse pour tout le monde. »

A propos de la toile, Mgr Eduardo Horacio Garcia, l’évêque auxiliaire qui a suivi Bergoglio à Rome, vient d’envoyer un message au p. Russo qui me le montre : « Je viens de finir de déjeuner avec Francesco et je lui ai dit que tu es encore en train de pleurer de joie. » Le p. Russo est ému mais il ne le montre pas. Il se lève et m’indique deux grandes armoires. Il en sort l’aube de Bergoglio et les ornements liturgiques dont il se servait comme cardinal. « Désormais, ce sont presque des reliques », dit-il, en souriant.

« J’ai été le dernier à le voir, continue-t-il, avant son départ pour Rome, je lui ai dit deux choses. Tout d’abord : “Éminence, quand vous serez en conclave, souvenez-vous de moi, parce que, quand vous entendrez : “Son Éminence Bergoglio, 75”, “Son Éminence Bergoglio, 76”, “Son Éminence Bergoglio, 77” et qu’éclateront les applaudissements, et bien, à ce moment-là, pensez à moi !” »

Je lui demande si c’est une intuition: « Quand j’ai vu que la fumée était blanche, j’ai dit à mon collaborateur que c’était le moment le plus important, parce qu’on avait “fait” un pape mais nous ne savions ni qui il était ni d’où il venait. Ces quelques minutes qui séparent la fumée de l’Habemus papam peuvent être justement le moment pour renouveler notre foi en la personne du souverain pontife. Ces minutes sont chargées d’une émotion extraordinaire et quand j’ai entendu que le nouveau pape était allé se changer pour revêtir les ornements pontificaux, j’ai immédiatement appelé le gardien, en bas, et je lui ai dit de fermer la porte d’entrée, au numéro 415. Je lui ai dit : “Fais-le tout de suite, sinon, nous allons être envahis par la foule ! Il m’a dit – Pourquoi ? – Parce que le cardinal, il a été élu pape, ai-je répondu. Et lui – Mais comment le sais-tu ?  Ils ne sont pas encore à la fenêtre. Je lui ai répondu – Je le sens, c’est une intuition que je ne peux pas contenir”. Et ça, c’est aussi grâce à vous ! », poursuit Russo en pointant le doigt sur moi. « Oui, grâce aux médias. Parce que Bergoglio a été exclu de tous les pronostics, de tous les discours qui anticipaient la proclamation du pape. Personne n’en parlait. Pour moi, c’était un signe, je me disais que la Providence nous surprend toujours. »

Je lui demande alors quelle est la seconde chose qu’il a dite au cardinal avant son départ de Buenos Aires. « Je lui ai dit : “Éminence, rappelez-vous le texte de la Constitution apostolique, là où il dit : je prie Dieu pour que le frère qui a été élu accepte la charge, parce que quand Dieu te charge d’un poids, il t’accorde immédiatement aussi sa grâce”. »

Et lui, que vous a-t-il répondu ? « Allons, Alejandro, ne m’embête pas ! » 

Traduction Hélène Ginabat


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Cristian Martini Grimaldi

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