Rencontre extraordinaire du pape François et d'Eugenio Scalfari

« Les jeunes sans travail : un des maux de notre monde » (1/2)

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« Les jeunes sans travail : un des maux de notre monde », déclare le pape François qui poursuit son dialogue avec Eugenio Scalfari dans les colonnes du quotidien italien « La Repubblica » (cf. Zenit du 12 septembre 2013, pour l’analyse, et Zenit du 13 septembre pour le texte).

L’entretien a eu lieu au Vatican, le 24 septembre, après la lettre du pape François à la « Repubblica », et après un appel téléphonique qu’Eugenio Scalfari déclare ne jamais pouvoir oublier.

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NOTE: Le texte de cet entretien que nous avons publié en deux fois ce 1er octobre et le 14 octobre, a été retiré du site du Vatican pour les raisons que nous expliquons dans notre article du 16 novembre: c’est bien un article de presse et non pas un texte écrit de la main du pape.

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Une rencontre extraordinaire

Il raconte: « Il était deux heures et demie de l’après-midi. Mon téléphone sonne et j’entends la voix assez agitée de ma secrétaire : « J’ai le pape en ligne, je vous le passe tout de suite ». Stupéfait, j’entends déjà la voix de Sa Sainteté à l’autre bout du fil : « Bonjour, je suis le pape François. – Bonjour Sainteté, je suis bouleversé, je ne m’attendais pas à ce que vous m’appeliez. – Pourquoi bouleversé ? Vous m’avez écrit une lettre demandant de me connaître en personne. J’avais le même désir et je suis donc là pour fixer le rendez-vous. Voyons mon agenda : mercredi, je ne peux pas, lundi non plus ; cela vous irait, mardi ? – Cela va très bien. – L’horaire est un peu malcommode, à 15 heures, cela vous va-t-il ? Sinon, changeons de jour. – Sainteté, l’horaire va très bien aussi. – Alors, nous sommes d’accord : mardi 24 à 15 heures. À Sainte-Marthe. Vous devez entrez par la porte du Saint-Office. » Ne sachant comment conclure cette conversation, je me laisse aller à lui dire : « Je peux vous embrasser par téléphone ? – Certainement, je vous embrasse moi aussi. Nous le ferons ensuite en personne ; au-revoir. »

Il décrit ensuite la rencontre: « Le pape entre et me tend la main, nous nous asseyons. Souriant, il me dit : « Un de mes collaborateurs qui vous connaît m’a dit que vous alliez tenter de me convertir ». (Je réponds à la plaisanterie) Mes amis aussi pensent que c’est vous qui voulez me convertir. Il sourit encore et répond : « Le prosélytisme est une bêtise grandeur nature, cela n’a pas de sens. Il faut se connaître, s’écouter et faire grandir notre connaissance du monde qui nous entoure. Il m’arrive, après une rencontre, d’avoir envie d’en avoir une seconde parce que de nouvelles idées ont émergé et qu’on découvre de nouveaux besoins. C’est important, cela : se connaître, s’écouter, élargir le champ de sa pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et qui éloignent, mais l’important est qu’elles mènent vers le bien. »

Diagnostic de l’urgence

Le pape diagnostique « les maux les plus graves qui affligent le monde actuellement sont le chômage des jeunes et la solitude dans laquelle sont laissées les personnes âgées. Les personnes âgées ont besoin de soins et de compagnie et les jeunes, de travail et d’espérance, mais ils n’ont ni l’un ni l’autre et le problème est qu’ils ne les cherchent plus. On les a chassés dans le présent. Dites-moi : peut-on vivre chassés dans le présent ? Sans mémoire du passé et sans désir de se projeter dans le futur en construisant un projet, un avenir, une famille ? Est-il possible de continuer comme cela ? Pour moi, ceci est le problème le plus urgent que l’Église ait sous les yeux ».

Pour le pape, le problème ne concerne pas seulement les États, les gouvernements, les partis, les syndicats, « il concerne aussi l’Église et même surtout l’Église parce que cette situation ne blesse pas seulement les corps mais aussi les âmes. L’Église doit se sentir responsable des âmes comme des corps. Elle en est consciente dans une large mesure, mais pas suffisamment. J’aimerais qu’elle le soit davantage. Ce n’est pas le seul problème que nous ayons devant nous mais c’est le plus urgent et le plus dramatique. »

Le pape rappelle l’importance de la conscience de chacun: « Chacun de nous a sa vision du bien et aussi du mal. Nous devons inciter chacun à avancer vers ce qu’il pense être le bien. Chacun a son idée du bien et du mal et doit choisir de suivre le bien et de combattre le mal tels qu’il les conçoit. Cela suffirait à améliorer le monde. »

La lèpre de la papauté

Il souligne que c’est ce que veut l’Eglise: « Nos missions ont ce but : distinguer les besoins matériels et immatériels des personnes et chercher à les satisfaire comme nous le pouvons. Savez-vous ce qu’est l’ « agape » ? C’est l’amour des autres, comme nous l’a enseigné notre Seigneur. Ce n’est pas du prosélytisme, c’est l’amour. L’amour du prochain, le levain qui sert le bien commun (…). Le Fils de Dieu s’est incarné pour insuffler dans l’âme des hommes le sentiment de la fraternité. Nous sommes tous frères et tous enfants de Dieu, Abba, comme il appelait son Père. Je vous trace le chemin, disait-il. Suivez-moi et vous trouverez le Père et vous serez tous ses enfants et il trouvera sa joie en vous. L’agape, l’amour de chacun de nous envers tous les autres, des plus proches à ceux qui sont le plus loin, est justement le seul moyen que Jésus nous ait indiqué pour trouver la voie du salut et des Béatitudes. »

Le pape répond une objection sur le thème du « narcissisme »: « Le terme de « narcissisme » ne me plaît pas, il indique un amour démesuré pour soi-même et cela ne va pas, cela peut produire de graves dommages non seulement à l’âme de celui qui en est affecté, mais aussi dans son rapport avec les autres, avec la société dans laquelle il vit. Le vrai problème est que les personnes les plus marquées par ce qui, en réalité, est une forme de trouble mental, sont celles qui ont beaucoup de pouvoir. Les chefs sont souvent narcissiques (…). Vous savez ce que j’en pense ? Les chefs de l’Église ont souvent été narcissiques, flattés, et mal encouragés par leurs courtisans. La cour est la lèpre de la papauté. »

Communauté du peuple de Dieu

Le pape lève le doute: il ne parle pas de la curie romaine: « A la Curie il y a parfois des courtisans, mais la Curie, dans son ensemble, c’est autre chose. C’est ce que, dans l’armée, on appelle l’intendance, elle gère les services qui servent au Saint-Siège. Mais elle a un défaut : elle est « Vaticanocentrique ». Elle voit et elle traite les intérêts du Vatican qui sont encore, en grande partie, des intérêts temporels. Cette vision « Vaticanocentrique » néglige le monde qui nous entoure. Je ne partage pas cette vision et je ferai tout pour la changer. L’Église est ou doit redevenir la communauté du peuple de Dieu et les prêtres, les curés, les évêques avec charge d’âmes, sont au service du peuple de Dieu. C’est cela, l’Église et ce n’est pas par hasard si le terme employé est différent de celui de « Saint-Siège », qui a une fonction différente mais qui est au service de l’Église. Je n’aurais pas pu avoir pleinement foi en Dieu et dans son Fils si je ne m’étais pas formé dans l’Église et j’ai eu la chance de me trouver, en Argentine, dans une communauté sans laquelle je n’aurais pas pris conscience de moi-même et de ma foi. »

Le communisme et l’anticléricalisme< br>

Le pape François évoque aussi sa vocation personnelle: « Pour ma famille, j’aurais dû faire un autre métier, travailler, gagner un peu d’argent. Je suis allé à l’université. J’ai eu une enseignante pour laquelle j’éprouvais beaucoup de respect et d’amitié, c’était une fervente communiste. Elle me lisait souvent, ou me donnait à lire, des textes du Parti communiste. C’est ainsi que j’ai connu aussi cette conception très matérialiste. Je me souviens qu’elle m’avait même fait parvenir le communiqué des communistes américains pour la défense des Rosenberg qui avaient été condamnés à mort. Cette femme dont je parle fut ensuite arrêtée, torturée et tuée par le régime dictatorial qui gouvernait l’Argentine à cette époque. »

Il précise: « Le matérialisme du communisme n’a eu aucune prise sur moi. Mais le connaître à travers une personne courageuse et honnête m’a été très utile, j’ai compris certaines choses, un aspect du social que j’ai ensuite retrouvé dans la doctrine sociale de l’Église. »

Et à propos de la théologie de la libération: « C’est certain que leur théologie avait des développements politiques, mais beaucoup d’entre eux étaient croyants et avait une conception élevée de l’humanité. »

Eugenio Scalfari évoque à son tour sa formation: mère catholique, prix de catéchisme à 12 ans, communiant des Premiers Vendredis, qui bascule au lycée avec la découverte des philosophes, notamment de Descartes: « Descartes n’a toutefois jamais renié sa foi dans le Dieu transcendant », fait remarquer le pape, qui ajoute: « Mais, d’après ce que j’ai compris, vous êtes un non-chrétien mais pas un anticlérical. C’est très différent. »

« C’est vrai, je ne suis pas anticlérical, mais je le deviens lorsque je croise une personne cléricale », répond Scalfari qui fait sourire le pape: « Cela m’arrive aussi, lorsque je me trouve devant une personne cléricale, je deviens d’un coup anticlérical. Le cléricalisme ne devrait rien avoir en commun avec le christianisme. Saint Paul, qui fut le premier à parler aux Gentils, aux païens, aux croyants d’autres religions, fut le premier à nous enseigner cela. »

Avec Hélène Ginabat pour la traduction

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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