Pour la première fois, la famille franciscaine organise une Université d’été</a> (11-14 juillet, à Brive), dont Zenit est partenaire. Le thème retenu est « La crise, les crises… un nouveau monde en train de naître ? ». Nous l’avons annoncé le 1er mars.
« Cessons de penser que la rationalité technique et économique peut à elle seule porter l’avenir de l’humanité dans une régulation interne », explique à ce sujet l’un des intervenants, Pierre Giorgini, Ancien Directeur Délégué de France Télécom Recherche et Développement en charge des ressources humaines, du management et de la gestion et actuel Président Recteur de l’Institut Catholique de Lille. Il interviendra le 10 juillet.
Zenit – De quelle crise allez-vous parler ? D’une crise économique et financière, d’une crise de société, d’une crise politique ou d’une crise des valeurs ?
Pierre Giorgini – Plus qu’une crise, nous vivons une transition fulgurante d’un ancien monde vers un monde nouveau. Les bouleversements sont économiques, financiers, sociaux, environnementaux et géopolitiques. Personne ne peut dire si l’après transition sera une nouvelle période de stabilité relative, partiellement instituée par des codes nouveaux, ou un monde en ébullition permanente, devant définitivement devenir instituant, c’est-à-dire réinventant en permanence et en marchant ses normes de fonctionnement.
Alors même que vous militez pour « Rester confiant, avancer en conscience et continuer de s’émerveiller de l’homme », la crise est le plus souvent synonyme d’inquiétude, de peur de l’avenir. Comment redonner de la confiance dans un monde dont les indicateurs tendent plutôt à donner des signes d’affaiblissement, de tension extrême ?
Peut-être en relisant le mythe le plus célèbre de Platon, celui de la caverne. Les indicateurs dont vous parlez ne sont que l’ombre projetée d’une réalité qui n’est elle-même que l’ombre projetée par nos cadres d’interprétation actuels. Il est certain que leur projection pure et simple dans un avenir changeant de paradigme global, ne peut donner que l’idée d’un avenir perturbé. Dis autrement, la question est celle du regard. Les historiens savent qu’il est impossible d’analyser le passé avec l’esprit du passé, on ne peut que tenter d’approcher l’esprit du passé avec celui du présent pour tenter d’interpréter l’histoire. C’est encore pire pour le futur, car lui n’a même pas laissé de traces, de preuves, de faits, que l’on peut soumettre à l’analyse. Alors, c’est là que l’espérance, la capacité d’émerveillement, et le regard « suffisamment bon » jouent un rôle fondamental, car c’est en rêvant le monde tel qu’on l’espère, qu’on aura une chance de le re-construire meilleur qu’il n’est imaginé aujourd’hui.
En parlant de tremblement de terre, de basculement, se dirige-t-on pour autant vers un monde « meilleur » inspiré par la créativité et l’innovation ? Qu’est-ce qui permet de l’affirmer ?
Rien ne permet de l’affirmer. On ne peut que constater que l’économie semble passer, comme le dit Patrick Cohendet, de l’efficacité productive à l’intensité créative. Et pas simplement dans le domaine économique. Ce qui signifie que toute la société, tout le vivre ensemble, devra vivre ce basculement, devra gagner en intensité créative.
Par ailleurs, jamais la puissance d’autodestruction n’a été aussi globale et forte, mais jamais notre capacité de re-construction globale et collective n’a été dotée d’outils de partage, de co-construction, de travail en réseau, de domination de la matière et des éléments, aussi puissants. Regardons les espoirs que suscitent l’économie de la fonctionnalité, les perspectives en matière d’économie d’énergie, les potentialités de prise de conscience planétaire par chaque Terrien qu’il est porteur d’une part d’universel. La question clé est celle posée par Thierry Magnin. « Comment créer les conditions d’une éthique par la foule qui soit porteuse de bien ? »
Vous qualifiez cette transformation d’un monde ancien vers un nouveau monde par le « basculement des modes de conception et de fonctionnement des systèmes de coopération (objets/objets, hommes/objets, hommes/hommes). Quelles seraient ces nouvelles connexions ? En quoi changeraient-elles le monde ?
Ce basculement dans un nouveau paradigme des modes de coopération concerne les modes de conception et de fonctionnement des divers systèmes de coopération au sens large. Il s’agit là de la coopération entre les hommes (systèmes organisés, communautés, institutions, groupes informels, etc.), entre les hommes et les objets (relations hommes-machines au sein d’un environnement « intelligent » d’objets) et entre les objets eux-mêmes. Est-ce une nouvelle façon d’appréhender et de gérer la complexité qui est en marche ? Est-ce une nouvelle façon d’exercer sa rationalité qui émerge ? En effet, le mode « hiérarchique arborescent » et en « flux linéaire » a structuré la pensée mécaniste de toute l’ère industrielle. Cette pensée consistait à modéliser les systèmes complexes (techniques et organisationnels) sous forme arborescente (organigramme, découpage en éléments simples, etc.) ou de flux linéaires (processus, chaînes de productions, etc.). Ce mode de pensée cède le pas, de façon rapide et générale, au mode coopératif maillé et réparti. Chaque élément du système est à la fois client et serveur, source et destination. L’intelligence globale n’est plus concentrée dans un serveur central qui collecte et distribue les données une fois traitées. Une capacité globale de traitement et de stockage de l’information est répartie en réseau. Elle produit une intelligence dite de réseau. C’est la convergence globale vers le mode internet.
Cette convergence internet s’applique à tous les étages de notre activité humaine. Cette transition fulgurante modifiera alors brutalement la place de l’homme dans les systèmes organisés, l’appelant à être davantage porteur d’une part d’universel dans chacun de ses actes au sein de communautés interconnectées. Porteur d’une part d’universel, car il prend conscience comme jamais qu’il porte par ses actes les plus banaux et quotidiens des enjeux globaux parfois planétaires. Il est co-responsable globalement (eau, nucléaire, pollution, pauvreté, travail des enfants, etc.). Il découvre qu’il ne peut espérer changer le monde qu’en acceptant de se changer lui-même (Ervin László). La notion même de société organisée est déplacée. L’exercice de la subjectivité et de l’imaginaire pourrait être bouleversé et poser également la question du devenir du sujet. Quelles sont les nouvelles attitudes permettant d’assumer cette transition ? Quelles nouvelles vigilances vont être indispensables ? Comment les exercer ?
Mais une chose me semble certaine, cette vigilance doit s’exercer au niveau de la rationalité dans sa double dimension : technique et économique mais aussi morale. Elle doit rechercher l’épanouissement de l’homme, de tout l’homme. Cessons de penser que la rationalité technique et économique peut à elle seule porter l’avenir de l’humanité dans une régulation interne à ces champs. Plus que jamais, faisons intervenir de façon explicite au cœur de cette rationalité, la recherche incessante du bien à tous les niveaux : individuel, micro communautaire et macro communautaire.
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