Les "cristeros" aujourd'hui en France (2/2)

La foi du peuple Mexicain, sens profond d’une révolte

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La Christiade – soulèvement populaire des catholiques Mexicains pour défendre la liberté religieuse entre 1926 et 1929 – est « une révolte essentiellement religieuse » qui ne peut se comprendre sans son sens profond : « les sentiments et la foi de ce peuple », affirme Jean-Yves Riou.

Le film « Cristeros » est diffusé en France, dans 61 salles de cinéma, depuis hier, 14 mai. Dans cette deuxième partie d’entretien, Jean-Yves Riou, directeur de la rédaction d’Histoire du Christianisme Magazine, partenaire de l’événement, explique le sens de la révolte et donne des clés de lecture du film (cf. Zenit du 14 mai 2014 pour la première partie).

Zenit – Comment démêler la foi et le religieux des enjeux politiques et sociaux dans les motivations des cristeros ?

Jean-Yves Riou – Franchement, c’est assez simple la Christiade est une révolte essentiellement religieuse. Jean Meyer l’explique : au début de sa recherche, il était persuadé que la guerre avait une explication économique et sociale. Mais il butait sur son sens profond : les sentiments et la foi de ce peuple.

Ceci dit, après les années de tourmente de la Révolution mexicaine, le peuple aspire à un gouvernement juste alors qu’il a le spectacle du triomphe d’une caste de profiteurs. Dans les zones « libérées », les cristeros instaurent un gouvernement qu’ils veulent juste : ils se préoccupent d’éducation, tiennent à distance les « militaires », ceux de leur propre camp, ce qui est une nouveauté radicale. Ils pratiquent une forme de démocratie directe et villageoise. Sur le plan religieux, l’absence de clergé dans les zones de combats amènent à des liturgies blanches (sans eucharistie) conduite par des laïcs. Les cristeros sont très en avance… Les rares messes sont vécues dans un climat de ferveur extraordinaire.

Le fait que Jean-Paul II béatifie des martyrs de cette période n’a-t-il pas contribué à faire connaître la Christiade ?

Absolument. Le premier martyr est le père Augustin Pro (1988), jésuite, faussement accusé d’avoir participé à une tentative d’assassinat contre Alvaro Oberegon, le prédécesseur de Calles. Puis en en 1992 le père Magallanes incarné dans le film par Peter O’Toole, etc. Des grandes figures émergent comme Anacleto Gonzalez Flores, fondateur de l’Union populaire et admirateur de Ghandi. Il y a aussi le petit José qui est l’un des héros du film.

Je pense que le pontificat de Jean-Paul II est intéressant aussi par la réflexion menée sur l’histoire : le christianisme est la religion de l’incarnation, l’histoire est une école de vie… Une mémoire blessée reposant sur un secret de famille ne peut construire un avenir solide. En ce sens, je pense que les travaux de Jean Meyer contribuent à guérir une mémoire blessée.

Les cristeros sont-ils tous à canoniser ? 

Le martyre répond à des règles précises et le fait de tomber sur un champ de bataille n’en fait pas partie. Ceci dit, je trouve éclairante la formule de Jean Meyer qui écrit que les cristeros ont pensé et vécu leur guerre comme une « aventure mystique ». Je pense qu’au-delà des règles canoniques il y a une réalité : beaucoup de participants à la Christiade ont vécu le martyre. Et d’abord parce que la Christiade a été pour les paysans mexicains une tragédie.

Comment le film traite-t-il le sujet ?

Comme un film d’action. Cristeros est un western et le spectateur ne s’ennuie pas. C’est un film qui s’inscrit dans un cadre historique totalement méconnu du spectateur, on l’a compris mais c’est important. Ce n’est évidemment pas un documentaire historique. Il est normal qu’il sacrifie aux lois du genre cinématographique. Par exemple, si les héros du film ont existé, dans la réalité, ils ont vécu des itinéraires différents de ceux choisis par le scénariste. J’ai pu lire dans un quotidien du soir que Cristeros « ignore les ambiguïtés de l’histoire et quand il ne peut le faire les aplanit ». C’est une charge ridicule. Un historien peut-il reconnaître son sujet malaxé par un film ? Je ne le crois pas. Personnellement, j’ai travaillé avec un spécialiste sur l’histoire racontée par le film Au nom du Père avec Daniel Day Lewis et Emma Thompson. Le film traite des attentats de l’IRA sur le sol britannique dans les années 1970. Conclusion ? Un film hollywoodien, un cadre général juste mais 95% de faits historiques faux ! Cela signifie-t-il que le film est sans intérêt ? Non. Il offre à un public qui ne connaît pas le sujet une première approche. Après, il n’est pas interdit d’aller plus loin, évidemment. C’est même recommandé.

D’accord, mais Cristeros…

D’abord, je trouve que le film est très documenté sur le plan historique et iconographique. Il a puisé aux meilleures sources. La preuve par l’absurde : le film rabâche le portrait du général Gorostieta que l’on peut lire partout, un général athée à la retraite qui repart au combat et se convertit au contact de ses soldats. Ce n’est pas la faute du film, il est tributaire de l’état de la recherche historique au moment où il s’empare du sujet. Mais depuis, et justement grâce à la sortie du film aux États-Unis, on a découvert que Gorostieta était en réalité un catholique convaincu dès le départ.

Ensuite, une personne qui a lu les sources discerne dans le film une charge historique très forte jusque dans les moindres détails. Par exemple, le film ne peut pas expliquer que les États-Unis, pour des raisons économiques, soutiennent le gouvernement et appliquent un embargo sur les munitions et les armes, sauf pour le gouvernement. L’épisode où El Catorce est fauché par les balles d’une mitrailleuse américaine, une Gatling, montre cela. Selon moi, un film ne peut pas faire beaucoup plus.

Enfin, paradoxalement, je trouve le scénario parfois un peu encombré par l’histoire générale. Il ne réussit pas à s’en détacher suffisamment. Cela s’explique sûrement par le fait que l’histoire de la Christiade étant méconnue, le scénariste se sent aussi obligé de suivre un cadre chronologique.

Pourquoi le diffuser en France ?

Parce qu’il était attendu par un tout un public. C’est une petite société, Saje Prod, qui a pris le risque d’acquérir les droits de distribution. Hubert de Torcy, son directeur, est particulièrement courageux. C’est un vrai pari financier et médiatique. Il faut le remercier et le soutenir absolument.

Quelles clés donneriez-vous pour le visionner ?

Très simple. Voir le film en toute décontraction et prendre du plaisir. Avec deux antidépresseurs : que ceux qui trouvent le film violent se rassurent, la réalité l’était autrement plus. Enfin, que ceux qui redoutent le manichéisme n’oublient pas qu’ils assistent à un spectacle et que le cinéma se moque des nuances, il y a les bons et les méchants. Honnêtement, la version cinéma n’exagère pas, bien au contraire, les exactions des soldats fédéraux et elle donne aussi une place aux bavures, très rares, des cristeros comme le montre l’épisode du train brûlé avec des civils. L’idéal serait que le spectateur devienne à son tour acteur et cherche à mieux comprendre cette période de l’histoire mexicaine. Pour cela, il peut lire notre hors-série d’Histoire du christianisme magazine : 92 pages pour mettre le film en perspective. Ensuite, pour une première approche de la Christiade, je conseille La Cristiada, de Jean Meyer,
un album historique et photographique inédit. Et puis pour aller au fond du sujet, je recommande trois livres, toujours de Jean Meyer, La rébellion des Cristeros, l’Eglise, l’Etat et le peuple dans la révolution mexicaine (CLD, mai 2014), réédition enrichie de la version grand public de sa thèse, et puis deux livres plus anciens mais fondamentaux, Apocalypse et révolution au Mexique (Gallimard), la guerre sous l’angle des témoignages, La Révolution mexicaine (Tallandier), indispensable pour comprendre la contexte. Des livres passionnants et très accessibles.

Propos recueillis par Anne Kurian

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Jean-Yves Riou

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