P. Peter Gumpel SJ

P. Peter Gumpel SJ

Le Père Peter Gumpel SJ, soldat de l’honneur du Saint Siège (1923-2022)

Une relecture de l’histoire

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Le décès du prêtre jésuite Peter Gumpel, survenu le 12 octobre 2022 à Rome, projette une lumière sur le pontificat du pape Pie XII, dont il a été postulateur au procès de béatification. Père Michel Viot analyse de près les relectures faussées qui ont mis dans l’ombre l’action du Saint-Siège dans un chapitre tourmenté de notre histoire récente.

 

Ce grand historien, prêtre de la Compagnie de Jésus, vient de nous quitter. Son nom est indissolublement lié à la défense de Pie XII, pape le plus calomnié des temps modernes. Et je crains bien que la première attaque contre L’Église et ce pape concernant leur attitude pendant la guerre ne soit venue au préalable d’un catholique, François Mauriac, dans Le Figaro du 1er novembre 1944, avec le reproche du maintien d’une Nonciature auprès du régime de Vichy, qui l’aurait en quelque sorte légitimé.

Reproche absurde, car quoiqu’on en pense le régime était légal. Le Maréchal Pétain avait été appelé par le président de la République, Albert Lebrun, à former le gouvernement le 16 juin 1940. Le 9 juillet la chambre des députés et le Sénat, réunis séparément demandent à une forte majorité une révision constitutionnelle. Le président de la République, conformément à une décision du conseil des ministres, convoque le 10 juillet 1940 la chambre des députés et le Sénat pour les réunir en Assemblée nationale à Vichy. Les pleins pouvoirs sont alors votés au Maréchal Pétain par 569 voix contre 80, mais sans supprimer la République, et ce pour travailler à une nouvelle constitution « devant garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie ». L’État français qui fit alors son apparition ne fit pas disparaître la République pour autant. Le président Lebrun ne démissionna jamais, il fut écarté au profit du Maréchal (qualifié de chef de l’Etat français). De Gaulle invoqua cela pour refuser de proclamer la République au moment de la libération de Paris, parce que selon ses propres paroles « la République n’a jamais cessé d’être. La France libre, la France combattante, le Comité français de libération nationale l’ont tour à tour incorporée. Vichy fut toujours nul et non avenu »[1].

L’attitude de De Gaulle vis à vis de l’épiscopat français vient de là. Il avait été reçu par Pie XII le 30 juin 1944, suivant le protocole réservé aux princes héritiers, tout ayant été préparé par le cardinal Tisserand. On allait vers un apaisement voulu autant par le Saint Père que par le Général, mais il y eut des moments difficiles ; je précise que si le Nonce, Mgr Valerio Valeri quitta son poste en 1944 à la demande de De Gaulle, comme tous ceux qui avaient été ambassadeurs auprès de Vichy, il n’était pas visé personnellement. C’était toujours la même raison d’État qui était en cause, De Gaulle avait personnellement expliqué sa position à Pie XII, qui l’avait comprise. D’ailleurs le Général tint lui-même à décorer le Nonce le jour de son départ, le 23 décembre 1944, de la croix de Commandeur de la Légion d’Honneur. Le 9 janvier 1945, il le fit élever au grade de Grand Croix, la plus haute distinction de la République française.

Toujours grâce à Pie XII le nouveau Nonce arriva à Paris le 31 décembre 1944, de manière à pouvoir présenter les vœux au Général en janvier 1945. Ce Nonce était inconnu en France, il venait de Turquie, il s’appelait Giuseppe Angelo Roncalli. Et le Général envoya Jacques Maritain comme ambassadeur auprès du Saint Siège. Tout cela montre l’entente parfaite entre celui qui fut le Chef de la France libre, arrivé à la tête de la France et le Chef de l’Eglise catholique. De Gaulle était particulièrement bien renseigné sur ce qu’avait fait l’Eglise pendant la guerre, tant en France, qu’au Vatican. C’est lui-même qui avait demandé l’audience de juin 1944, ce qu’il n’aurait jamais fait si la légende noire concernant Pie XII avait eu quelque ombre de consistance.

Mauriac, au lendemain de l’assassinat de Gandhi (en 1948) rééditera ses attaques journalistiques contre Pie XII, et évoquera son silence pendant la guerre face au génocide juif. Curieusement ce thème avait été lancé par Radio-Moscou en 1945. Mauriac aura donc pris la relève, entouré très rapidement d’intellectuels communistes. Et de faire une relecture assez étrange, quant à l’exactitude historique sur la « bienveillance » du Saint Siège vis à vis des dictatures avant 1939. Pour nous en tenir à ce qui concerne le nazisme, on est allé jusqu’à reprocher à la Papauté la signature du Concordat avec l’Allemagne (le 20 juillet 1933), ce qui relève de la mauvaise foi insigne et de l’ignorance. Ce document avait déjà été préparé avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, et un refus de poursuivre les pourparlers de la part du Vatican aurait mis les catholiques allemands dans une position intenable. Ils auraient été immédiatement persécutés. La signature leur a donné le temps de s’organiser, et cela compta dans l’opposition à Hitler . Quant à l’abandon du parti catholique, le Zentrum, par le Saint Siège, c’était une nécessité diplomatique. Ce parti aurait été détruit de toutes façons, la dictature d’Hitler impliquant un parti unique. C’était à la France et au Royaume Uni d’utiliser la force à la première occasion, c’est à dire aux premières entorses faites au traité de Versailles, en particulier dès 1935 avec le réarmement allemand. Au lieu de cela on crut pouvoir négocier. On connaît la suite.

Mais les idéologues ne peuvent être de bons historiens, et c’est de plus en plus la question politique qui va peser dans le débat sur Pie XII. On retrouve Mauriac et le catholicisme de gauche pour condamner l’arrêt de l’expérience des prêtres-ouvriers. La plupart de ces ecclésiastiques concernés étaient des gens sincères, conscients, comme Pie XI l’avait déclaré quelques années plus tôt, que l’Eglise avait perdu le monde ouvrier au 19e siècle. Ils pensaient réparer ;  mais en devenant secrétaires de cellules du Parti communiste ou de groupes de la CGT, ils se mettaient aux ordres de Staline. Quand le pape mourut en 1958, Mauriac reprit ses attaques d’une manière d’autant plus odieuse que la presse de cette époque profita de la mort de Pie XII pour redoubler de bassesses sur le pape et son propre entourage. J’en ai un souvenir exact. L’épiscopat français, tétanisé par ce que j’ai souvent appelé le syndrome de Vichy, ne réagit pas comme il l’aurait dû. C’était l’avis de mon père et d’autres personnes, de la gauche socialiste, je le précise où l’on ne comprenait pas très bien à quel jeu jouaient les catholiques avec le Parti communiste français, le plus stalinien des partis hors des pays de l’Est.

On y vit plus clair quelques années plus tard. L’élection du cardinal Roncalli au Siège de Pierre, très populaire en France par son action comme Nonce Apostolique, redora le blason de l’Eglise. Ce prélat qui fut en France un Nonce apprécié par tous et aimé, apparaissait comme une sorte de pape français dont on était très fier. Et on le fut encore plus quand celui qu’on appelait le Bon Pape Jean ouvrit le Concile Vatican II en 1962.

Les ennemis de l’Eglise catholique ne pouvaient laisser passer cela. Le résultat fut Le Vicaire, une pièce de théâtre de Rolf Hochhuth donnée à Berlin le 20 février 1963, mise en scène par Piscator, et adaptée ensuite pour le cinéma par Costa Gavras en 2002 sous le titre Amen. Ainsi prenait forme la légende noire de Pie XII. Hochhuth écrivit d’autres pièces à scandales, contre Winston Churchill, accusé d’avoir provoqué la mort du premier ministre polonais en exil Sikorski, n’hésitant pas à remettre en cause les bombardements anglais sur l’Allemagne nazie, et donnant même plus tard dans le négationnisme à propos des chambres à gaz, mais dans cette affaire il ne persévéra pas !

Homme curieux, attirant forcément la curiosité. D’abord celle de Paul VI qui fit ouvrir les archives du Vatican à cinq jésuites dès 1964 concernant le règne de Pie XII. Pierre Blet que j’ai eu l’honneur de connaître un an avant sa mort en 2009, en faisait partie. Douze volumes d’actes et documents du Saint Siège furent publiés jusqu’en 1981. En 1997, Pierre Blet fera éditer « Pie XII et la Seconde guerre mondiale » . Je ne saurais trop conseiller la lecture de ce livre. La véracité des travaux de ce grand jésuite a été reconnue. Notre académie des sciences morales et politiques le nommera correspondant. Cet autre grand jésuite Peter Gumpel (en réalité von Hohenzollern) qui vient de nous quitter (12 octobre 2022) travailla dans le même sens que Pierre Blet, et c’est grâce à ceux-ci qu’en 1974 il fut en mesure de s’occuper de la béatification de Pie XII, qui amena Benoît XVI à déclarer Pie XII vénérable le 19 décembre 2009 par la reconnaissance de ses vertus héroïques (en même temps que Jean Paul II) . Une manche était gagnée… mais pas la partie ! Je me souviens très bien des protestations de l’époque, qui m’ont amenées, en tant que président de l’association « Écouter avec l’Eglise » à organiser à Paris, le 7 novembre 2009, un colloque Pie XII et les juifs, avec la participation de Serge Klarsfeld, de Gary Krupp, Fondateur à New York de «  Pave the Way Foundation » et du professeur Philippe Chenaux, auteur du livre « Pie XII, Diplomate et Pasteur ». Gérard Leclerc, de France catholique, animait les débats (ils existent en fascicule aux éditions Téqui).

Pour un certain nombre de raisons, je savais depuis 1989 que Hochhuth était en fait payé par la Stasi et qu’il avait été plus qu’aidé pour rendre sa pièce présentable. Réentendre en 2009 les mensonges de la guerre froide me semblait d’autant plus odieux qu’il n’avaient qu’un seul but : démolir le grand pontificat de Benoît XVI ! Aussi reviendrai-je dans un prochain article sur ce qu’a réellement fait Pie XII en faveur des juifs et pourquoi il a agi comme il l’a fait…

 

Père Michel Viot

À Lire : la deuxième partie de cet article

 

[1] Son refus de reconnaître dans le gouvernement du Maréchal Pétain la légitimité française tenait à la raison d’État, afin de permettre à la France d’être comptée parmi les pays vainqueurs. Tous les chefs d’État français adopteront cette position jusqu’à François Mitterrand inclus.

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Rédaction

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