L'encyclique Evangelium Vitae, 20 ans mais toujours actuelle

Analyse de Jean-Marie Le Méné sous l’angle bio-juridique

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Vingt ans après sa publication, le « sens profond et la grande portée de l’encyclique » Evangelium Vitae ne sont pas encore saisis, déclare Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune.

Consulteur du Conseil pontifical pour la pastorale de la santé et membre de l’Académie pontificale pour la vie, Jean-Marie Le Méné est intervenu lors du congrès organisé pour les 30 ans du dicastère pour la santé, le 25 mars 2015, sur le thème « L’actualité d’Evangelium Vitae sous l’aspect bio-juridique ».

« Une culture de mort »

Il examine le document sous l’aspect bio-juridique dans le contexte actuel. En rappelant brièvement le plan de l’encyclique, le professeur s’attarde sur sa première partie qui « montre que les menaces contre la vie humaine présentent des nouveautés de trois ordres. Ces actes hostiles à la vie perdent leur caractère de crime pour prendre celui de droit avec l’implication de l’État. Ils frappent la vie dans son extrême faiblesse lorsqu’elle est privée de toute capacité de défense. Ils sont, paradoxalement, réalisés à l’intérieur et par l’action de la famille ».

À la base de cette situation  « d’éclipse de la valeur de la vie », il y a, d’une part, une crise profonde de la culture qui fait apparaître « le scepticisme sur les fondements mêmes du savoir et de l’éthique ». Et d’autre part, la société est fragilisée par « des difficultés existentielles et relationnelles diverses ».

Comme conséquence de cette situation, l’encyclique voit l’installation « d’une culture contraire à la solidarité », d’une « réelle culture de mort ». Un concept de subjectivité « qui ne reconnaît comme seul sujet de droits que l’être autonome » et « une conception de la liberté qui exalte l’individu de manière absolue, sans aucun lien ni avec la charité, ni avec la liberté » aboutissent à une « confusion entre le bien et le mal ».

« La fin de l’humanisme »

Jean-Marie Le Méné signale deux dates à retenir : 1997 et 2006. En 1997, deux ans après la publication de l’encyclique, la possibilité du clonage de mammifères est découverte. Ainsi, « la question du clonage humain (…) était posée ». En 2006, « les résultats sur la reprogrammation de cellules somatiques en cellules souches » sont publiés.

La « disponibilité de l’embryon humain et les techniques dérivées du clonage » permettent aux chercheurs de « s’aventurer dans la fabrication d’humains à partir de plusieurs génomes ». « Alors que l’encyclique décrit la contradiction entre la culture des droits de l’homme et sa remise en cause, l’évolution actuelle tend maintenant à se dispenser de la référence à l’homme, à ses droits et finalement à l’humanisme. Cette fin de l’humanisme entraîne deux conséquences : la création de sous-hommes et celle de sur-hommes », constate le professeur.

« Nous sommes les premiers dans l’histoire du monde à vivre la fin de l’homme », souligne-t-il. « Dorénavant, on ne se pose plus la question de savoir ‘comment protéger l’humain’… mais ‘pourquoi protéger l’humain ? À quoi bon un humanisme ?’ »

La morale ne s’appuie plus sur un fondement extérieur à l’homme, tel que Dieu, mais elle s’appuie sur « l’homme lui-même », sur sa « capacité de se donner à soi-même ses propres lois », poursuit M. Le Mené. « Nous avons rejeté notre titre de noblesse, tellement solide, d’enfants de Dieu. Mais cet humanisme autonome, encore teinté des valeurs du christianisme, a fait illusion… comme la lune fait illusion quand elle est encore éclairée par le soleil. Maintenant, c’est terminé, nous découvrons que l’humanisme déraciné est un astre froid. »

Les sous-hommes et les sur-hommes

Rien ne sépare l’homme réduit à ses cellules, à son génome, à ses molécules, des autres espèces vivantes, fait-il observer. « L’homme ne se différencie plus de l’animal par nature, mais seulement par degré («on apprend à parler aux chimpanzés, on met en parallèle le fonctionnement des sociétés humaines et les comportements des bonobos et 95 % de notre ADN est commun avec les singes », relève Rémi Brague). C’est ce qu’on appelle l’antispécisme ».

À une autre extrémité apparaît l’idée de l’évolution constante de l’homme qui « est passé de l’animal à l’humain » et qui « va maintenant passer de l’humain à la machine. Cette évolution est possible grâce aux nanotechnologies, à la biologie, à l’informatique et aux sciences cognitives, quatre techniques qui convergent et deviennent très puissantes pour conjurer l’humiliation (face à la machine) de la maladie, de la vieillesse et de la mort. »

Il s’agit de la philosophie du « transhumanisme » qui, avec son désir du dépassement de l’humain, prétend créer un homme immortel pour qui « la mort est juste une erreur à corriger ». Mais le transhumanisme, « en se repliant sur un homme vidé de son être », ne reconnaît plus « ce qui fait le propre de l’homme ». Il oublie que l’homme « ne s’est pas fabriqué », « qu’il procède d’une origine, d’un don, d’un corps, d’un sexe, d’une relation, d’une naissance qui est la seule véritable nouveauté imprévisible ; et qu’il passe par une mort qui lui donne accès à la seule véritable immortalité irrésistible. »

Une loi juste

Le professeur rappelle que « la vie est toujours au centre d’un grand combat ». L’homme moderne ne s’appuie plus sur Dieu comme source de distinction du bien et du mal. Il veut établir ses propres lois. Mais, comme souligne l’encyclique, « la loi établie par l’homme, par les parlements et par toute autre instance législative humaine, ne peut être en contradiction avec la loi naturelle, c’est-à-dire, en définitive, avec la loi éternelle de Dieu. »

Lorsque la loi s’écarte de la vérité de Dieu, « s’écarte de la raison, elle est déclarée inique et, dès lors, n’a plus raison de loi, elle est plutôt une violence ». Et encore : « une loi injuste n’est pas une loi ».

Cette définition complète, selon Jean-Marie Le Mené, une définition traditionnelle de la loi « qui consiste en ceci : rendre à chacun ce qui lui revient ».

« Que faut-il rendre à l’homme, sinon l’Évangile de la vie, la bonne nouvelle de sa vie qui est d’avoir été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, d’avoir été racheté par le sacrifice de son fils Jésus Christ et d’être appelé à vivre une relation éternelle d’amour en eux ? » conclut-il.

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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