« Si l’humanité, si nous les hommes et les femmes n’apprenons pas à se rencontrer, allons vers une fin très triste », déclare le pape François à l’occasion de la préparation de la Ve Journée mondiale des pauvres, ce vendredi 12 novembre 2021 à Assise, en la basilique Sainte-Marie-Marie-Majeure. Il prône une culture de la « rencontre » et du « dialogue ».
Le pape a en effet rencontré quelque 500 personnes en précarité et ceux qui les accompagnent au quotidien. Après six témoignages d’Afghanistan, de Roumanie, d’Espagne, de Pologne, de France, et une pause, le pape a pris la parole.
« Il est temps de briser le cercle de l’indifférence pour revenir découvrir la beauté de la rencontre et du dialogue. Il est temps de se rencontrer. C’est le moment de la rencontre. Si l’humanité, si nous les hommes et les femmes n’apprenons pas à se rencontrer, allons vers une fin très triste », a averti le pape.
Le pape a dit « non » à l’indifférence: « Il est temps de rendre la parole aux pauvres, parce que leurs demandes sont restées sans être écoutées pendant trop longtemps. Il est temps d’ouvrir les yeux pour constater l’état d’inégalité dans lequel vivent tant de familles. Il est temps de se retrousser les manches pour restaurer la dignité en créant des emplois. Il est temps de recommencer à se scandaliser de la réalité des enfants affamés, réduits en esclavage, ballottés sur les eaux en proie au naufrage, victimes innocentes de toutes sortes de violences. Il est temps que la violence à l’égard des femmes cesse et qu’elles soient respectées et non traitées comme une monnaie d’échange. Il est temps de briser le cercle de l’indifférence pour revenir découvrir la beauté de la rencontre et du dialogue. »
Le pape a aussi rappelé l’enseignement de saint François: « Voici l’enseignement que nous donne saint François : savoir se contenter du peu que l’on a et le partager avec les autres. »
Un temps de prière a suivi, avec, notamment, la lecture de l’Evangile de la femme qui oint la tête de Jésus d’un précieux parfum et la prière de saint François d’Assise.
Voici notre traduction rapide, de travail, de l’allocution du pape François.
AB
Discours du pape François
Chers frères et sœurs, bonjour !
Je vous remercie d’avoir accepté mon invitation – c’est moi qui suis l’invité! – à célébrer ici à Assise, ville de saint François, la cinquième Journée mondiale des pauvres, qui a lieu après-demain. C’est une idée née de vous, qui a grandi et nous sommes arrivés déjà à la cinquième.
Assise n’est pas une ville comme les autres : Assise porte le visage de saint François. Penser qu’au milieu de ces rues il a vécu sa jeunesse inquiète, qu’il a reçu l’appel à vivre l’Évangile à la lettre, est pour nous une leçon fondamentale. Bien sûr, à certains égards, sa sainteté nous fait frémir, parce qu’il semble impossible de pouvoir l’imiter. Mais ensuite, quand on se souvient de certains moments de sa vie, de ces « fioretti » qu’on recueillait pour montrer la beauté de sa vocation, on se sent attiré par cette simplicité de cœur et cette simplicité de vie : c’est l’attrait même du Christ, de l’Evangile. Ce sont des faits de la vie qui valent plus que des prédications.
J’aime en citer un qui exprime bien la personnalité du Poverello (cf. Fioretti, chap. 13 : Fonti Francescane, 1841-1842). Lui et Fra Masseo étaient partis en voyage pour rejoindre la France, mais ils n’avaient pas emporté de provisions. À un moment donné, ils ont dû commencer à demander la charité. François est allé d’un côté et Fra Masseo d’un autre. Mais, comme le racontent les Fioretti, François était de petite taille et ceux qui ne le connaissaient pas le considéraient comme un « clochard » ; en revanche, Fra Masseo « était un grand et bel homme ». C’est ainsi que saint François put à peine recueillir quelques morceaux de pain rassis et dur, tandis que Fra Masseo recueillit de beaux morceaux de bon pain.
Quand les deux se sont trouvés, ils se sont assis par terre et sur une pierre ils mirent ce qu’ils avaient collecté. En voyant les morceaux de pain collectés par son frère, François dit : « Fra Masseo, nous ne sommes pas dignes de ce grand trésor. » Le frère, émerveillé, répondit : « Père François, comment peut-on parler d’un trésor où il y a tant de pauvreté et où manquent même les choses nécessaires ? » François répondit : « C’est précisément cela que je considère comme un grand trésor, car il n’y a rien, mais ce que nous avons est donné par la Providence qui nous a donné ce pain. » Voici l’enseignement que nous donne saint François : savoir se contenter du peu que l’on a et le partager avec les autres.
Nous sommes ici à la Portioncule, l’une des petites églises que saint François a pensé à restaurer, après que Jésus lui a demandé de « réparer sa maison ». Il n’aurait jamais pensé alors que le Seigneur lui demanderait de donner sa vie pour renouveler non pas l’Église faite de pierres, mais celle de personnes, d’hommes et de femmes qui sont les pierres vivantes de l’Église. Et si nous sommes ici aujourd’hui, c’est précisément pour apprendre de ce qu’a fait saint François. Il aimait rester longtemps dans cette petite église pour prier. Il se recueillait ici en silence et il se mettait à l’écoute du Seigneur, de ce que Dieu voulait de lui. Nous aussi, nous sommes venus ici pour cela : nous voulons demander au Seigneur d’écouter notre cri, d’écouter notre cri et de venir à notre aide.
N’oublions pas que la première marginalisation dont souffrent les pauvres est spirituelle. Par exemple, de nombreuses personnes et de nombreux jeunes trouvent un peu de temps pour aider les pauvres et ils leur apportent de la nourriture et des boissons chaudes. C’est très bien et je remercie Dieu pour leur générosité. Mais surtout je suis heureux quand j’entends que ces bénévoles s’arrêtent un moment pour parler aux gens, et parfois pour prier avec eux… Ainsi, le fait de nous trouver ici à la Portioncule nous rappelle la compagnie du Seigneur, qui ne nous laisse jamais seuls, qui nous accompagne toujours à chaque instant de notre vie. Le Seigneur est aujourd’hui avec nous. Il nous accompagne, dans l’écoute, dans la prière, dans les témoignages données: lui, il est avec nous.
Il y a un autre fait important : ici à la Portioncule saint François a accueilli sainte Claire, les premiers frères et beaucoup de pauvres qui venaient à lui. Avec simplicité, il les recevait comme des frères et des sœurs, en partageant tout avec eux. Voici l’expression la plus évangélique que nous sommes appelés à faire nôtre : l’accueil. Accueillir, signifie ouvrir la porte, la porte de la maison et la porte du cœur, et permettre d’entrer à celui qui frappe. Et qu’il puisse se sentir à l’aise, pas impressionné. Là où il y a un vrai sens de la fraternité, il y a aussi l’expérience sincère de l’accueil.
Là où au contraire il y a la peur de l’autre, le mépris de sa vie, alors le rejet surgit, ou, pire, l’indifférence: ce fait de regarder de l’autre côté. L’accueil génère un sentiment de communauté ; au contraire, le refus enferme sur son propre égoïsme. Mère Teresa, qui avait fait de sa vie un service d’accueil, aimait à dire : « Quel est le meilleur accueil ? Le sourire. » Le sourire. Partager un sourire avec qui est dans le besoin fait du bien à tous les deux, à moi et à l’autre. Le sourire comme expression de sympathie, de tendresse. Et puis le sourire t’implique, et tu ne pourras pas t’éloigner de la personne à laquelle tu as fait un sourire.
Je vous remercie, car vous êtes venus ici de beaucoup de pays différents pour vivre cette expérience de rencontre et de foi.
Nous rencontrer c’est la première chose, c’est-à-dire aller l’un vers l’autre le cœur ouvert et la main tendue. Nous savons que chacun de nous a besoin de l’autre, et même la faiblesse, si elle est vécue ensemble, peut devenir une force qui améliore le monde. Je voudrais remercier Dieu qui a donné cette idée de la Journée des Pauvres. Une idée née de façon un peu étrange, dans une sacristie. J’allais célébrer la messe, et l’un de vous – il s’appelle Etienne [Villemain] – vous le connaissez? C’est un enfant terrible – Etienne m’a suggéré: « Faisons la Journée mondiale des pauvres. » Je suis sorti et je sentais que l’Esprit Saint, à l’intérieur me disait de la faire. C’est ainsi que cela a commencé: du courage de l’un de vous qui a le courage de faire avancer les choses. Je le remercie de son travail ces dernières années et le travail des nombreuses personnes qui l’accompagnent. Et je voudrais remercier de sa présence, pardonnez-moi, Eminence, le cardinal [Philippe Barbarin]: il est parmi les pauvres, lui aussi a vécu avec dignité l’expérience de la pauvreté, de l’abandon, de la méfiance. Et lui s’est défendu par le silence et par la prière. Merci cardinal Barbarin de son témoignage qui édifie l’Eglise.
Je disais que nous sommes venus pour nous rencontrer: c’est la première chose, c’est-à-dire d’aller l’un vers l’autre le coeur ouvert et la main tendue. Nous savons que chacun de nous a besoin de l’autre, et que la faiblesse aussi, si elle est vécue ensemble peut devenir une force qui rend le monde meilleur. Souvent, la présence des pauvres est considérée avec agacement et elle est subie ; on entend parfois dire que les responsables de la pauvreté ce sont les pauvres: une insulte de plus! Pour ne pas procéder à un examen de conscience sérieux sur ses propres actes, sur l’injustice de certaines lois et de certaines mesures économiques, sur l’hypocrisie de ceux qui veulent s’enrichir sans mesure, on rejette la faute sur les épaules des plus faibles.
Il est temps en revanche de rendre la parole aux pauvres, parce que leurs demandes sont restées sans être écoutées pendant trop longtemps. Il est temps d’ouvrir les yeux pour constater l’état d’inégalité dans lequel vivent tant de familles. Il est temps de se retrousser les manches pour restaurer la dignité en créant des emplois. Il est temps de recommencer à se scandaliser de la réalité des enfants affamés, réduits en esclavage, ballottés sur les eaux en proie au naufrage, victimes innocentes de toutes sortes de violences. Il est temps que la violence à l’égard des femmes cesse et qu’elles soient respectées et non traitées comme une monnaie d’échange. Il est temps de briser le cercle de l’indifférence pour revenir découvrir la beauté de la rencontre et du dialogue. Il est temps de se rencontrer. C’est le moment de la rencontre. Si l’humanité, si nous les hommes et les femmes n’apprenons pas à se rencontrer, allons vers une fin très triste.
J’ai écouté attentivement vos témoignages, et je vous dis merci pour tout ce que vous avez manifesté avec courage et sincérité. Courage, parce que vous avez voulu les partager avec nous tous, bien qu’elles fassent partie de votre vie personnelle ; sincérité, parce que vous vous montrez tel que vous êtes et vous ouvrez votre cœur au désir d’être compris. Il y a des choses que j’ai particulièrement aimées et que j’aimerais reprendre d’une certaine manière, pour les faire miennes encore plus et pour les laisser se déposer dans mon cœur. Tout d’abord, j’ai saisi un grand sens de l’espérance. La vie n’a pas toujours été indulgente avec vous, au contraire, elle vous a souvent montré un visage cruel. La marginalisation, la souffrance de la maladie et de la solitude, le manque de tant de moyens nécessaires ne vous ont pas empêché de regarder avec des yeux pleins de gratitude pour les petites choses qui vous ont permis de résister.
Résister. C’est la deuxième impression que j’ai reçue et elle vient justement de l’espérance. Que signifie résister ? Avoir la force de continuer malgré tout. Résister ce n’est pas une action passive, au contraire, cela demande le courage de s’engager sur un nouveau chemin en sachant que cela portera du fruit. Résister veut dire trouver des raisons de ne pas baisser les bras face aux difficultés, en sachant que l’on ne les vit pas seul mais ensemble, et que seulement ensemble on peut les surmonter. Résistez à toute tentation de lâcher prise et de tomber dans la solitude ou la tristesse. Résister en s’agrippant à la petite ou au peu de richesse que nous pouvons avoir. Je pense à la jeune femme de l’Afghanistan et à sa phrase lapidaire: « Mon corps est ici, mon âme est là-bas. » Résister par la mémoire, aujourd’hui. Je pense à la maman roumaine qui a parlé en dernier: douleurs, espérance, et l’on ne voit pas la sortie, maie l’espérance est forte dans ses fils qui l’accompagnent et lui redonnent la tendresse qu’ils ont reçue d’elle.
Demandons au Seigneur de toujours nous aider à trouver sérénité et joie. Ici à la Portioncule, saint François nous enseigne la joie de regarder ceux qui nous entourent comme un compagnon de voyage qui nous comprend et nous soutient, tout comme nous le sommes pour lui ou pour elle. Que cette rencontre nous ouvre le cœur à tous pour nous rendre disponibles les uns aux autres, ouvrir notre coeur pour faire de notre faiblesse une force qui nous aide à continuer le chemin de la vie, pour transformer notre pauvreté en une richesse à partager, et ainsi améliorer le monde.
La Journée des pauvres. Merci aux pauvres qui ouvrent leur coeur pour nous donner leur richesse et guérir notre coeur blessé. Merci pour ce courage. Merci Etienne, d’avoir été docile à cette inspiration du Saint-Esprit. Merci de ces années de travail et aussi pour « l’obstination » pour amener le pape à Assise! Merci. Merci Eminence pour votre soutien à ce mouvement d’Eglise – nous disons « mouvement » parce qu’ils bougent! – et pour votre témoignage. Et merci à tous. Je vous porte dans mon coeur.
Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. parce que j’ai mes pauvretés, et nombreuses! Merci.
© Traduction de Zenit, Anita Bourdin