ROME, Lundi 12 février 2007 (ZENIT.org) – Comme beaucoup d’autres pays du monde, le Canada est confronté à l’action efficace de groupes de pression favorables à l’euthanasie et au suicide assisté. Mais « prétendre soulager la souffrance en éliminant le malade est une aberration » affirme Michèle Boulva, directrice de l’Organisme catholique pour la Vie et la Famille (OCVF) dans cet entretien à Zenit, dont nous publions la première partie ci-dessous.
Zenit : Depuis quelque temps, un mouvement s’est manifesté dans votre pays en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Ce mouvement prend-il de l’ampleur et a-t-il beaucoup d’impact sur l’opinion publique ?
M. Boulva : Ces questions extrêmement préoccupantes reviennent à l’avant-plan de l’actualité canadienne depuis une quinzaine d’années chaque fois que des cas dramatiques sont largement médiatisés ou qu’un projet de loi est mis en avant. Il faut dire que le vieillissement de la population associé à la hausse du coût des soins de santé constitue une recette parfaite pour la promotion de l’euthanasie et du suicide assisté.
Les promoteurs de ces pratiques indignes d’une société civilisée soutiennent que nous devrions tous posséder le droit de choisir notre façon de mourir et le moment de notre mort. Ils font valoir que la société n’a pas le droit de nous imposer des souffrances supplémentaires en nous forçant à vivre contre notre volonté.
Les sondages les plus sérieux démontrent par ailleurs que la population canadienne est divisée à parts égales à ce sujet. S’il arrive que le pourcentage soit plus élevé en faveur de ces pratiques, il faut faire preuve de prudence dans l’interprétation du sondage parce qu’il existe beaucoup de confusion parmi la population ; certains, par exemple, se disent favorables au suicide assisté, mais veulent en fait signifier simplement leur refus de l’acharnement thérapeutique.
Zenit : Les évêques du Canada ont pris position avec force contre ce projet et ne cessent d’inviter les fidèles de l’Église à faire de même. Votre organisme pour la vie et la famille a donc décidé de livrer bataille contre cette éventualité. Pouvez-vous nous faire un bref historique des moments clefs de cette lutte menée par l’Eglise ?
M. Boulva : Au-delà de leur action éducative et pastorale relative au respect inconditionnel de la vie et de la dignité humaines, les évêques interviennent publiquement chaque fois que l’exigent les événements de l’actualité. Au Canada, plusieurs cas ont retenu l’attention du public au fil des années ; entre autres, celui de Sue Rodriguez, une femme de 41 ans atteinte de sclérose latérale amyotropique (SLA), aussi appelée maladie de Lou Gehrig, qui s’est battue de 1991 à 1994 pour le droit de mourir. En Cour suprême, les juges ont rejeté la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté par une mince majorité (5-4) et madame Rodriguez s’est suicidée en 1994 avec l’aide d’un médecin inconnu.
En 1993, un fermier de Saskatchewan a été condamné à la prison pour avoir tué sa fille de 12 ans, atteinte de paralysie cérébrale. Robert Latimer a affirmé avoir agi par amour, incapable de tolérer plus longtemps la souffrance de sa fille.
En 2006, deux cas ont fait la une au Québec. Celui de Marielle Houle, accusée d’avoir aidé son fils, Charles Fariala, âgé de 36 ans et souffrant de sclérose en plaques, à se suicider ; madame Houle a aussi affirmé avoir agi par amour. Vu son âge et son état de santé, elle a été condamnée à trois ans de probation plutôt qu’à la prison.
Par ailleurs, en juin 1995, le Comité spécial du Sénat sur l’euthanasie et l’aide au suicide a publié un rapport intitulé De la vie et de la mort. Ce Comité n’est pas parvenu à un consensus sur l’euthanasie ou l’aide au suicide, mais il a fait des recommandations unanimes sur les soins palliatifs. Cinq ans plus tard, un sous-comité sénatorial a constaté que la mise en œuvre de ces recommandations était incomplète et a fait 14 nouvelles recommandations relatives aux soins palliatifs. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, bien que les hôpitaux et les centres qui se consacrent à cette mission accomplissent déjà un travail formidable et très apprécié des familles.
Zenit : Le motif que l’on invoque le plus souvent chez les personnes qui cherchent à ouvrir la porte à la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté est le désir d’alléger les souffrances de la personne. Il n’est pas rare d’entendre parler de ces gestes en termes de compassion pour la personne souffrante. Que répondez-vous à cela ?
M. Boulva : Il s’agit là d’une conception erronée de la compassion qui menace tôt ou tard tous les citoyens, et particulièrement les personnes malades et handicapées les plus vulnérables. Prétendre soulager la souffrance en éliminant le malade est une aberration. Ceux, par ailleurs, qui réclament la mort ne le font pas toujours à cause de leur souffrance ; pour beaucoup, il s’agit d’un appel au secours face à la solitude et au sentiment d’être un poids pour les autres. La réponse à leur cri est une présence attentive, remplie de chaleur humaine et d’amour. Ils ont besoin de l’attention, de l’écoute et de l’affection de leurs proches et du personnel soignant pour supporter leur souffrance avec dignité. Pour ce qui les concerne, les familles ont besoin du soutien de l’État et de la société pour assumer leurs responsabilités à l’égard de leurs proches malades, vieillissants et mourants.
Selon les promoteurs de l’euthanasie et du suicide assisté, une vie de souffrance ne vaut pas la peine d’être vécue et la dignité de la personne diminue au fur et à mesure où la maladie et la douleur brisent le corps. Considérons un peu l’autre côté de la médaille… Se pourrait-il qu’une vie accablée par la souffrance vaille encore le peine d’être vécue ? Et si c’était une invitation à la croissance morale et spirituelle… Se pourrait-il que la dignité humaine persiste malgré la maladie qui mine le corps ? Et si c’était le simple fait d’être humain et d’être créé à l’image de Dieu qui assure notre dignité, et non pas notre autonomie, notre santé ou notre utilité sociale… Se pourrait-il que les personnes souffrantes nous appellent à la solidarité humaine ? Ce qu’il nous faut donner aux malades, aux mourants et aux personnes handicapées ce n’est pas une mort prématurée, mais plus de soins et plus d’amour. Une compassion véritable.
Zenit : Des personnes réclament le droit de mourir au nom de leur liberté ? Que penser de cela ?
[Fin de la première partie]