Première publication le 30 juin par la CEF
Le développement de l’e-santé est porteur de grandes améliorations dans la prise en charge de notre santé. Néanmoins, comme toute innovation, celle-ci n’est pas exempte de risques qu’il convient de considérer. L’Observatoire Innovation et Société a produit un rapport qui décrit les technologies mises en œuvre et les enjeux éthiques que cela soulève. Ce rapport a été présenté lors d’un webinaire qui s’est tenu le 25 juin 2025.
Résumé du rapport
L’e-santé, confluence entre le numérique et le parcours de soins concerne à la fois la prévention, le diagnostic, le pronostic, la thérapie et le suivi des soins. Elle s’appuie sur la télé-consultation, les sites et forums médicaux, les appareils de suivi de l’activité physique, les logiciels d’aide au diagnostic, dont ceux utilisant de l’intelligence artificielle, les aides au pronostic et aux prescriptions, tout comme le suivi de ces prescriptions. Elle n’inclut pas l’apport du numérique à la recherche et au développement des médicaments.
- Les apports sont indéniables en terme d’accès aux soins ou d’utilisation de nouveaux outils (les analyses automatisées de radiologie en sont l’exemple typique). L’utilisation de ces technologies se développe et, globalement, la santé devrait s’en trouver améliorée. Pour le plus grand nombre en tous cas.
Ce développement pose néanmoins des questions éthiques d’une nouvelle ampleur. Parmi les principaux points soulignés dans le rapport on peut retenir, en cohérence avec la pensée sociale de l’église :
- Le risque d’exclusion : l’utilisation de ces outils pose d’abord la question de l’égal accès pour tous, en particulier pour les plus précaires qui sont souvent le plus éloignés du numérique par manque de compétences de base ou par l’impossibilité matérielle de se servir d’internet.
- La réduction de l’homme : l’approche technicienne de la santé, voire techniciste, amène à considérer l’homme comme une entité « numérisable ». Il est ainsi réduit à des datas que les algorithmes peuvent analyser pour décider d’un traitement, négligeant ainsi l’infinie dignité de la personne humaine.
- Le risque d’abus de pouvoir : la question se pose de savoir qui détiendra les données médicales et quel usage en sera fait. Les acteurs privés, très soucieux de leur rentabilité et peut-être moins de l’utilisation éthique de ces données, sont souvent plus rapides et plus agiles que les systèmes publics de protection sociale, et seront donc les détenteurs de nos données de santé, ce qui pourrait leur donner un pouvoir exorbitant.
- Le conflit éthique entre équité et utilité : il n’est pas nouveau en médecine que l’on trie ou que l’on priorise les patients à traiter pour s’adapter aux moyens limités. Mais l’amélioration des moyens diagnostics et surtout pronostics, qui vont prendre en compte la maladie, mais aussi le malade, ses comportements passés ou prévisibles et son génome, va accroître considérablement le dilemme entre un choix utilitariste (pour le plus grand nombre) et une démarche « équitable » basée sur l’égale dignité des individus et donc sur leur égal accès aux soins.
- L’appauvrissement de la relation : le parcours de soins de plus en plus numérisé, peut dégrader la communication directe ou « vraie » entre les patients et les soignants, mis à distance par les écrans et les machines. Ce phénomène n’est pas spécifique à l’e-santé, mais peut-on concevoir que l’amélioration souhaitable de la santé passe, en même temps, par une dégradation des relations humaines, qui sont pourtant l’un des trois piliers de la bonne santé (avec la santé physique et la santé psychique).
- La question de la responsabilité : l‘avènement de l‘e-santé bouleverse profondément les fondements de la responsabilité médicale traditionnelle. Les acteurs à considérer dans le cadre de l’e-santé sont nombreux : les soignants, les concepteurs d’outil, c’est-à-dire en tout premier lieu les éditeurs de logiciels et les hébergeurs de sites, les patients, les contributeurs sur les sites médicaux ou les réseaux sociaux, et enfin les acteurs de régulation. Il devrait se développer des modèles de « responsabilité graduée » où chaque acteur assume une part de responsabilité proportionnelle à son degré de contrôle et d’expertise. Un éloge du « chacun responsable ».
Face à ces défis, le rapport émet quelques propositions de comportements individuels et collectifs qui peuvent aider à répondre à ces défis. Parmi celles-ci, on peut citer :
- S’assurer que ces nouvelles techniques ne viennent pas remplacer les anciennes sans être pour autant accessibles à chacun et en particulier aux plus faibles et aux plus fragiles, et donc contribuer à leur accompagnement.
- Rappeler que l’homme n’est pas, et ne sera jamais, une machine numérique, non parce que le numérique ne pourra jamais atteindre l’immense complexité de l’homme, mais parce que pour nous chrétiens, il est créé à l’image de Dieu et ainsi porteur de divin.
- Promouvoir la relation vraie et riche du contact face à face. Nous devons privilégier cet échange direct avec les soignants, et leur accorder plus de confiance que celle que nous attribuons, un peu trop facilement, aux machines et algorithmes.