Le Vatican cherche à définir les « abus spirituels » dans le Droit canon.
Le Dicastère du Vatican pour la doctrine de la foi s’efforce de combler une lacune regrettable du Droit canon : l’absence de dispositions explicites contre la « manipulation spirituelle et l’abus de pouvoir » utilisés dans les cas de coercition sexuelle.
Dans une interview accordée au journal catholique espagnol Alfa y Omega, le cardinal Victor Manuel Fernandez, préfet du dicastère, a reconnu le besoin urgent d’une définition juridique plus claire de l’abus spirituel, un phénomène qui, a-t-il admis, n’est pas rare au sein de l’Église.
« Nous avons souvent reçu des rapports sur des situations où des éléments spirituels sont détournés pour servir de prétexte à des relations sexuelles », a déclaré le cardinal Fernandez. « Il s’agit d’une manipulation des personnes qui se confient à un guide spirituel et de la beauté de notre foi elle-même, déformée à des fins personnelles.
Un problème qui nécessite une réforme juridique
À l’heure actuelle, la seule disposition applicable en Droit Canon est le canon 1399, une clause générale qui permet de punir des délits non explicitement définis dans le droit ecclésiastique lorsque la gravité de la violation l’exige. Toutefois, le cardinal Fernandez estime qu’il ne suffit pas de s’appuyer sur une loi aussi large lorsqu’un délit se généralise.
« Lorsqu’un crime grave est commis fréquemment, il n’est pas conseillé de s’appuyer sur un canon aussi général, en particulier lorsque des peines sévères sont imposées », a-t-il déclaré.
Pour y remédier, le Vatican a annoncé en novembre 2024 que le pape François avait autorisé la formation d’un groupe de travail en collaboration avec le Dicastère pour les Textes Législatifs. Ce groupe, dirigé par l’archevêque Filippo Iannone, étudiera les moyens de définir les abus spirituels dans le cadre du droit canonique et d’établir des lignes directrices claires en matière de poursuites et de sanctions.
Le défi de la définition de l’abus spirituel
L’une des difficultés rencontrées lors de l’élaboration d’une nouvelle législation est l’établissement de définitions précises permettant de distinguer les crimes graves des formes moins graves d’inconduite. Le cardinal Fernandez a prévenu qu’une définition vague pourrait conduire à des excès et favoriser une atmosphère de suspicion excessive ou une « culture de l’annulation » au sein de l’Église.
« Si tout est traité avec le même degré de sévérité, nous risquons de ne pas punir de manière adéquate les cas les plus graves et, dans le même temps, de créer une peur inutile », a-t-il expliqué.
Parmi les cas les plus flagrants, a-t-il souligné, figurent ceux où les clercs justifient des actes sexuels sous le prétexte d’approfondir la relation d’une personne avec Dieu, parfois même dans des espaces sacrés. Il a affirmé que de tels actes devraient justifier les peines les plus lourdes possibles en vertu du Droit Canon.
Le scandale Rupnik et la volonté de réforme
Le regain d’attention du Vatican pour les abus spirituels fait suite à l’affaire très médiatisée de l’ancien prêtre jésuite et artiste Marko Rupnik, accusé d’abus spirituels et sexuels durant des décennies. Marko Rupnik aurait manipulé des victimes féminines pour les amener à se livrer à des actes sexuels sous couvert de dévotion religieuse. Son cas, qui fait actuellement l’objet d’une enquête du Vatican, a mis en lumière l’inadéquation des outils juridiques de l’Église pour traiter de tels crimes.
Toutefois, le cardinal Fernandez a précisé que les propositions du groupe de travail n’étaient pas seulement une réaction à l’affaire Rupnik, mais qu’elles s’inscrivaient dans le cadre d’un effort plus large visant à garantir la justice et à prévenir de futurs abus. « Si nous adaptons les lois à un seul cas, nous compromettons l’objectivité du travail », a-t-il déclaré.
Un pas vers l’obligation de rendre des comptes
L’une des principales tâches du groupe consistera à déterminer s’il convient d’introduire une toute nouvelle catégorie d’infraction dans le Droit Canonique ou si les lois existantes doivent être modifiées pour inclure explicitement les abus spirituels. Actuellement, les cas sont souvent classés dans la catégorie « faux mysticisme », un terme qui peut également s’appliquer à des erreurs théologiques plutôt qu’à des infractions pénales.
Mgr Fernandez a souligné que la précision de la terminologie juridique est essentielle pour garantir la justice.
« Les canonistes ont besoin d’une définition juridique claire – par exemple “abus spirituel” – afin que nous ne soyons pas toujours obligés d’utiliser le canon 1399, qui est trop large, ou de nous appuyer sur des termes ambigus tels que “faux mysticisme”, qui peuvent prêter à confusion.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Les juristes du Vatican travaillent actuellement sur des propositions législatives concrètes, qui pourraient déboucher sur de nouvelles dispositions du Droit Canon dans les années à venir. Si elles sont approuvées, ces réformes marqueront un tournant historique dans la manière dont l’Église traite les abus spirituels et renforceront son engagement à protéger les fidèles contre la manipulation et la coercition des clercs.