Louis XI portant le collier de l'Ordre de Saint-Michel - © commons.wikimedia.org

Louis XI portant le collier de l'Ordre de Saint-Michel - © commons.wikimedia.org

La France fille aînée de l’Eglise, 14e partie

Sous l’ombre de la Pragmatique Sanction, l’attente d’un vrai Concordat.

Share this Entry

La Pragmatique Sanction est abolie le 27 novembre 1461. En attendant un concordat définitif, celui de Bologne qui entrera en vigueur le 18 août 1516, les rois de France successifs devront se mesurer, au cœur de l’époque de la Renaissance, avec les velléités pontificales qui sont mêlées à la politique internationale.

I Le début du règne de Louis XI et « l’enivrante » victoire du Saint-Siège

Né le 3 juillet 1423, il avait eu des précepteurs prestigieux comme Jean Gerson et Jean Majoris. On lui avait aussi appris l’art de la guerre, qui impliquait la maîtrise de l’équitation et le redoutable exercice du combat en armure. Il joua assez vite un rôle dans la vie publique en remportant une bataille en 1437 à Château-Landon, mais s’opposant rapidement à son père pour des raisons familiales, à cause d’Agnès Sorel, maîtresse de ce dernier, et aussi de caractère, il quittera la cour. Dans un premier temps il vivra sur ses terres en Dauphiné, puis devant la menace d’être ramené de force à la cour, il demande asile au duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Ce dernier lui donna sur ses terres du nord le château de Génappe. Cela ne l’empêcha pas de se trouver souvent à Bruxelles, où il put tout à loisir observer la cour brillante de Philippe le Bon et apprendre à connaître son fils Charles qu’on appellera le Téméraire. Dans ses terres du Dauphiné, Louis avait déjà aboli la Pragmatique Sanction. Il est roi à 38 ans, le 22 juillet 1461, à la mort de son père. Il se fait sacrer le 15 août à Reims en présence de Philippe le Bon, qui le suivra pour l’entrée dans Paris. Le 27 novembre il abolit la Pragmatique Sanction pour la plus grande joie du pape Pie Il qui s’enthousiasma pour ce nouveau roi de France dont il connaissait la grande piété, l’opposition à la politique de son père, du moins en apparence ; mais il ignorait tout de sa personnalité.

Ce pape était lui aussi exceptionnel. Élu le 19 août 1458, il avait promulgué dès le 18 janvier 1460 la bulle Execrabilis, interdisant les appels au concile et condamnant le conciliarisme qui subordonnait le pape à ce genre d’assemblées. De fait, cette doctrine, je le rappelle, était contenue dans la Pragmatique. Ce nouveau pontife était né le 18 octobre 1405 sous le nom d’Enea Silvio Piccolomini, dans la République de Sienne. À son avènement il comptait parmi les humanistes de premier plan et comme homme le plus cultivé de sa génération. Il était présent au concile de Bâle, il fut orateur et secrétaire. Il demeura à Bâle malgré l’ordre de transfert d’Eugène IV et compta parmi ceux qui élurent l’antipape Félix V qui en fit son secrétaire ; et dans le même temps, il allait devenir secrétaire de l’empereur Frederic IlI, parce que lauréat en 1442 pour son œuvre romanesque et poétique. Il deviendra même ambassadeur. Cela lui permettra, au cours d’une mission, de rallier le pape Eugène IV qui en fera son secrétaire apostolique ayant, de plus, le bonheur de ramener l’Allemagne à la vraie papauté. Ordonné prêtre en 1447 et nommé la même année évêque de Trieste puis de Sienne en 1450, il fut créé cardinal, après une ambassade en Autriche, le 17 décembre 1456 par le pape Callixte IlI. Et il devint pape l’année d’après. Auteur connu de plusieurs ouvrages importants, c’était une personnalité respectée.

 

II La politique religieuse de Louis XI et sa cohérence avec sa politique italienne

Il y a eu arrangement avec Louis XI pour la suppression de la Pragmatique. Est-ce qu’il l’a dupé comme certains l’ont écrit ? Pas sûr ! Certes, le pape soutenait la Maison d’Aragon pour Naples et la Sicile, et Louis XI prenait parti pour ses parents angevins, en principe ! Ce qui n’empêchait pas ce roi d’être attentif aux affaires d’Espagne, l’Aragon étant lié à celles d’Italie (Naples…), donc aussi à celles du pape. Quand la Catalogne, qui rêvait déjà d’autonomie, se révolta contre Jean Il d’Aragon (1462-1472) pour la plus grande joie de la Castille, Louis XI proposa au roi Jean son aide militaire moyennant une somme de cent mille écus (qu’il savait impossible au roi de débourser), ceci gagé par les possessions aragonaise de la Cerdagne et du Roussillon. Malgré les menaces du roi de Castille que les Catalans appelèrent à leur secours, le roi de France offrit alors ses bons offices pour « arbitrer ». Et Louis réussit, au prix de concessions minimes. Jean II eut les mains libres pour rétablir son autorité, Louis gagna comme prévu deux provinces, faute du remboursement impossible, et en prime l’amitié du duc de Milan, allié de l’Aragon. Avec ce dernier il avait déjà négocié une entente lorsqu’il n’était que Dauphin. On comprend donc pourquoi le roi de France n’envoya aucune armée pour venir au secours de ses parents Angevins pour Naples, même si auparavant il avait feint le contraire !

Effectivement, au début de son règne, il réclamait le concours de Florence pour avoir l’alliance de Gènes, afin d’aider les princes d’Anjou. Mais ceux-ci avaient commis l’imprudence de s’affilier à la Ligue du Bien Public, monté contre le nouveau roi de France par les grands féodaux. La très discutée bataille de Montléry le 16 juillet 1465 y mettra fin, même si la victoire de Louis XI aurait pu être acquise sans discussion, si son oncle, le comte du Maine, ne l’avait pas trahi au dernier moment. J’y reviendrai plus loin.

Il consolida l’alliance avec François Sforza, duc de Milan, en lui faisant cession de ses droits sur Gènes et ses territoires. On aima donc la France dans le duché de Milan et à Venise on la respecta, et Florence dut suivre. Il maria sa belle-sœur Bonne au fils du duc de Milan et s’arrangea pour que celui-ci donne sa fille en mariage à l’héritier de la couronne de Naples, et du coup il devint l’ami des Aragonais. En 1466, Louis XI va atteindre un sommet diplomatique.

 

III Louis XI arbitre de la paix en Italie, et le pape tenu en respect

D’abord, au printemps de cette année, il permet au duc de Calabre, Jean d’Anjou, de venir à sa cour et quelques temps plus tard, « comme par hasard », les Catalans se révoltent de nouveau contre le roi d’Aragon et font appel au roi René d’Anjou. Louis XI fit mine d’approuver et envoya son cousin avec un minimum de troupes et d’argent en Catalogne, non sans avoir obtenu de lui le sceau de son oncle, Charles, comte du Maine qui l’avait abandonné à la bataille de Montlhéry. La trahison était prouvée, Louis XI qui aurait pu prendre une plus lourde sanction, l’exila sur ses terres, lui ôtant tout pouvoir et lui ordonnant de ne plus s’occuper de politique à l’avenir, et abaissant ainsi considérablement la Maison d’Anjou. La mort inattendue du duc François Sforza causa une peine sincère au roi et il évita une guerre civile en menaçant de venir avec son armée en permettant à Galéas Marie (désormais époux de Bonne de Savoie) (1) de recueillir l’héritage de son père. Sans guerre et sans conquête, Louis XI devenait le bienfaiteur des États italiens, un garant de paix. Il fut pleuré en ces pays à sa mort. Deux papes avaient été témoins de cela, Paul Il et Sixte IV. Ils ne comprirent pas l’intérêt qu’ils avaient à être accommodant avec Louis XI. Ils le sous-estimèrent, autant par leur médiocrité politique que par leur rôle très contestable en tant que chefs religieux.

Si Louis XI revint un temps à la Pragmatique, la dressant comme un épouvantail, ce fut certes pour avoir la paix avec ses parlements et son université, mais aussi pour faire la leçon au pape ! Paul Il fut élu en 1464 et c’est à ce moment-là que Louis rétablit la Pragmatique Sanction. La cour pontificale redevenue un gouffre financier, ce pape était avant tout soucieux de mécénat, avide de tous les plaisirs, et il parlait trop haut, ignorant que le roi de France a un système de renseignements hors pair ! Il oubliait de plus que dans les faits ses prédécesseurs avaient ménagé le roi de France pour sauver les apparences, ce qui n’interdisait pas des arrangements sur des questions moins visibles, comme les annates qui rapportaient gros au Saint-Siège. Mais sur « les expectatives », collations de bénéfices à des clercs provenant de charges non encore vacantes (ce qui là était très visible), la Pragmatique interdisait au pape toute ingérence. Et de fait, de 1438 (promulgation du texte royal) à 1461(abolition de la Pragmatique), le Saint-Siège observa scrupuleusement ce texte qu’il réprouvait pourtant. Mais parce que le 14 août 1461, une demande s’était produite, suivie par quelques autres, elles se « déverseront comme un torrent, surtout à partir de 1464, arrivée de Paul Il voir supra, jusqu’en 1473. » (2) Souvent ces présentations d’expectatives posaient problème, par exemple quand il y avait deux candidats pour un même bien. Et cela se terminait par des procès devant le Parlement ! De plus les prébendes et dignités de Notre-Dame étaient incompatibles avec le caractère épiscopal. Cinq fois le pape fit lever cette règle en faveur des ses protégés, chanoines devenus évêques, et ce dès 1444 pour Jacques Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, et cela dura jusqu’en 1483 (3). Un autre sujet de querelles existait aussi depuis longtemps, le droit royal de régale, permettant au souverain de toucher ce qui revenait à l’évêque pendant la vacance du siège. L’occupation anglaise permit au roi de jouer sur cette circonstance. Pour les simples clercs, bien souvent rien ne fut demandé. Mais pour les évêchés, il en alla autrement. Celui de Paris fut considéré comme ayant été vacant depuis la mort de Gérard de Montaigu en 1420, jusqu’à l’expulsion des Anglais en 1436. Charles VII puis Louis XI firent valoir leur droit de régale avec succès, grâce au Parlement (3). Autre chose que ni Paul II ni Sixte IV ne comprirent bien : le relatif retrait de Louis XI quant aux affaires italiennes. De 1467, année où Charles le Téméraire devient duc de Bourgogne, jusqu’à sa mort le 5 janvier 1477, Louis fut accaparé par les problèmes que lui cause cet incorrigible ambitieux qui ira jusqu’à chercher à devenir empereur. Les États italiens n’y seront pas insensibles.

 

IV Louis XI « range » la Pragmatique et laisse espérer un concordat

Louis XI n’hésitera pas à abolir de nouveau la Pragmatique Sanction en 1467 pour laisser espérer un nouveau dialogue avec Rome et, de plus, aura la sagesse de ne pas se laisser distraire et de rester concentré sur un seul ennemi (c’était sa méthode, magnifiquement montrée lors de la paix avec l’Angleterre, juste avant les hostilités bourguignonnes). Mais après sa victoire, il retrouvera ses sympathies italiennes, sauf celle de Sixte IV, lui aussi un ambitieux. Il appartenait à la famille della Rovere, il fera son neveu cardinal qui régnera plus tard comme pape sous le nom de Jules Il. On se souviendra de cette famille à la cour de France. Sixte crut pouvoir dominer Louis XI, car il avait réussi à négocier avec lui un concordat qui sera signé en 1472 et qu’on appellera Concordat d’Amboise, juste un an après son élection. En fait, Louis XI était las des difficultés électorales pour les sièges d’évêques et d’abbés et il était loin de pouvoir y affirmer à chaque fois son autorité, d’où l’idée d’un concordat. Cela pouvait permettre un appui pontifical pour sa politique italienne. Le pape retrouvait son droit de nomination, mais devait tenir compte des recommandations royales. Il était même prévu que le pape et le roi alternassent pour la collation des bénéfices. Mais ce texte ne fut jamais appliqué, car sa volonté de conciliation ne réglait rien et mécontenta toutes les parties prenantes. Il n’avait le mérite d’exister sous le nom d’un concordat, ce qui signifiait bien que contrairement à l’appellation donnée par Charles VI en 1438, il avait été négocié, et il ne pouvait qu’en être ainsi entre le pouvoir particulier du roi de France et celui du pape. Le mot concordat sauvait les apparences, mais il nécessitait tout de même de la souplesse et de la bonne volonté. De cela, Sixte IV était assez dépourvu, et il n’hésita pas à rouvrir les hostilités au début de l’année 1478. Jouant sur les rivalités entre les grandes villes italiennes, Sixte IV voulut abaisser Florence qui gênait sa politique en Romagne et créer une principauté pour l’un de ses chers neveux, Girolamo Riaro, que les Français appelaient le comte Jérôme, parce que déjà pourvu du comté d’Immola que son frère, le cardinal Pietro Riaro, autre neveu du pape, avait acheté pour lui. Ensuite le pape nomma à Pise, faute de d’avoir pu le placer à Florence, l’archevêque Salviati, d’une famille ennemie de toujours des Medicis, comme celle de Francesco Pazzi son nouveau trésorier. Alors s’organisa le complot, entre l’archevêque de Pise et le comte Jerôme pour renverser Laurent de Medicis et son frère Girolamo. Sixte IV encouragea le conflit contre les Medicis. Il précisa qu’il ne voulait pas de sang… mais dans un langage tellement « convenu » d’homme d’Église que les conjurés décidèrent de l’assassinat pur et simple du duc et de son frère à la cathédrale, le jour de Pâques (car quelques jours auparavant, l’opération n’avait pu avoir lieu), pendant la messe au moment très précis de l’élévation, et ce le 28 avril 1478. Francesco Pazzi faisait lui-même parti des assassins. Girolamo est tué, achevé par Pazzi, le duc Laurent blessé eut le temps de se réfugier à la sacristie et de s’y barricader. Mais le peuple de Florence soutint les Médicis, et une répression sanglante s’abattit sur les Pazzi. On pendit les conjurés directement des fenêtres du palais de la Seigneurie de Florence, y compris l’archevêque de Pise en habits pontificaux !

 

V Les graves erreurs de Sixte IV, utilisées par Louis XI

Louis XI sut rapidement toute la vérité. Il était sincèrement ami des Médicis. Il y eut un échange de lettres terrible quant au ton entre le roi et le pape. Le roi ne cacha pas à Sixte, et ce par allusion, qu’il connaissait son implication dans l’affaire. Le pape fit l’arrogant. Du coup le roi, par ambassadeurs interposés le menaça d’un concile et l’invita à méditer sur la triste fin de son prédécesseur Paul II, mort d’excès de « chair » dans tous les domaines ! Plusieurs villes italiennes demandèrent le secours armé du roi qui sut résister. En effet, Louis avait eu soin de maintenir secrètement de bons contacts avec Ferrante, le roi aragonais de Naples. Aussi put-il faire célébrer début 1479 le mariage de Frederigo, fils de Ferrante, à Anne de Savoie (famille liée à la France). Ce fut la stupeur générale, mêlée d’inquiétude. Le roi put alors réconcilier Laurent de Medicis et Ferrante. Louis lui promit de laisser Ludovico Sforza, dit le More, revenir à Milan exercer la régence et chasser Simonetta qui l’avait expulsé. Et le 5 décembre 1479, Laurent de Medicis, fort du soutien de Louis, allait à Naples rencontrer Ferrante son ancien ennemi.

Le 6 mars 1480, Louis apprit le total succès, la paix était signée entre Laurent et Ferrante, Ludovic gouvernait à Milan, Simonetta en prison, où il sera bientôt exécuté. Le pape était isolé et contraint de souscrire à la paix, d’autant plus que les Turcs menaçaient de nouveau, toujours avec le fameux Mahomet Il. Louis en profita pour subventionner une alliance de villes italiennes contre le Sultan, sauf Venise qui avait signé un traité avec lui. Mais la Providence sourit à la chrétienté, Mahomet Il mourut en 1481 et Ferrante et ses alliés purent reprendre Otrante. Quant à Venise, après une guerre contre les autres puissances italiennes, elle dut demander l’arbitrage de Louis qui l’accorda. Il mourut le samedi 30 août 1483 à Plessis-Lès-Tours en disant « O Notre Dame d’Embrun, m’a bonne maîtresse, aidez-moi ! » puis ces derniers mots de psaume « En toi Seigneur j’ai placé mon espoir, que je ne sois pas confondu à jamais ; je chanterai les miséricordes de Dieu dans l’éternité ». (4)

 

VI Le règne de Charles VIII et le début des guerres d’Italie

On pleura en Italie, on se réjouit en France car on ne vit dans la mort de Louis XI que la fin du « despotisme », permettant à tous les privilégiés de relever la tête. En mars 1484 les états généraux de Tours furent finalement dominés par Anne (fille de Louis XI) et Pierre Il de Bourbon, sire de Beaujeu, son mari. Ils exercèrent la régence au nom de Charles VIII, en gardant intact l’héritage de son père ! Mais les États avaient soulevé la question de la Pragmatique, puisque le Concordat d’Amboise n’était pas officiellement promulgué. Ils estimèrent « que la conservation des saints décrets de Constance et de Bâle, conformes aux décrets des saints conciles anciens, et l’acceptation et modification d’iceux, qui fut en la congrégation de l’Église gallicane de Bourges… ont grand intérêt que rien ne soit fait au préjudice desdits saints décrets. » (5)

Charles VIII exercera le pouvoir en 1491 à l’âge de 20 ans. Charles avait été plusieurs fois fiancé au gré des calculs diplomatiques de son père. La même année, il put épouser la duchesse Anne de Bretagne, ce qui renforçait sa position. Celui-ci, non sans avoir pris des précautions diplomatiques (il a pris l’accord des principaux souverains), prépara une armée très importante avec l’imposante artillerie de ses prédécesseurs. Il traversa l’Italie sans grande résistance, il voulait voir le pape Alexandre VI Borgia, non pour lui demander d’approuver la Pragmatique (qui demeurait en vigueur en France, faute d’approbation du Concordat par le Parlement et les États), mais de lui accorder l’investiture comme roi de Naples, chose que le Souverain Pontife avait toujours refusé. À Florence où il arrive sans rencontrer de résistance, Charles VIII publie un manifeste solennel expliquant que ses projets pour Naples n’ont pour but que de lancer une croisade contre les Turcs ! Et dans les jours qui suivent, coup de théâtre ! Un messager du pape est capturé alors qu’il revient d’Istanbul, porteur de lettres du Sultan Bajazet Il, assurant Rome de son soutien contre les Français. Pire, le frère du futur pape Jules Il, Jean Della Rovere, saisit les 40000 florins de la pension du frère du Sultan que transportait l’ambassadeur turc en faveur du prince, pour les remettre au pape qui le « gardait » à sa cour pour l’empêcher de venir concurrencer son frère en Turquie, avec, et là c’était beaucoup plus ennuyeux pour le pape, une proposition de 300000 ducats si le pape le faisait mourir. Et comme si cela ne suffisait pas, on apprend qu’un ambassadeur turc se rend à Naples pour proposer au roi Alphonse de l’aider contre les Français.

 

VII Le face-à-face Charles VIII – Alexandre VI

Ces nouvelles bouleversent tout le monde. Les Orsini se tournent du côté des Français. L’un d’eux, condottiere du roi de Naples, ouvre les places fortes aux Français. Enfin de nobles dames romaines, dont Julie, la maîtresse du pape, sont arrêtées par les Français. Et le pape est obligé de s’adresser au roi de France qui fait libérer ces dames et veille à ce qu’elles soient raccompagnées à Rome. Rien ne s’opposait plus en fait à l’entrée de Charles VIII dans Rome et à un plus que nécessaire entretien avec le pape Alexandre VI. Mais compte tenu de la rouerie du Pontife, mieux connue de ses cardinaux d’opposition que par le roi Charles, une préparation sérieuse s’imposait, d’autant plus que Charles avait plusieurs réclamations à présenter, la plus importante étant l’investiture pour Naples en vue de la croisade, ce que Borgia ne voulait accepter à aucun prix. Mais le roi avait la supériorité des forces militaires ! Cela dit, le pape avait prévu une attaque française. À défaut de supériorité en soldats, il avait payé ce qu’il fallait et on savait qu’il était très solvable, donc il n’était pas complètement perdu. Il laissa espérer, gagna du temps, fit quelques gestes qui lui coûtaient peu, réussit à faire reconnaître la validité de son élection par le roi de France, mais ne lui accorda pas l’investiture, son fils le cardinal César Borgia devait l’accompagner à Naples comme légat et pourrait agir à ce moment là, concession papale ; et Alexandre en fit une autre pour le frère du sultan auquel les Français semblaient tant s’intéresser depuis qu’on avait appris que le pape s’était vu promettre une grosse somme d’argent pour l’assassiner. Il leur fut remis et alla loger immédiatement au château où résidait Charles. Le 28 janvier 1495, les Français quittaient Rome avec le prince turc et le cardinal César Borgia.

Mais le 30 janvier, celui-ci leur faussa compagnie et le 25 février le prince turc mourut à la suite d’une mystérieuse maladie qui l’avait fait souffrir plusieurs semaines, peu de temps après sa sortie de Rome. Il avait trente cinq ans. Les bruits d’empoisonnement coururent inévitablement ! Vraie ou fausse, l’idée d’un poison des Borgia à effet lent, vint de cette triste affaire. En revanche, une chose était sûre, Charles VIII avait été roulé ! Des cardinaux d’expérience conseillèrent alors la menace d’un concile avec possibilité de destitution, car la famille Borgia commençait depuis un moment à agacer les Romains. Le roi n’écouta pas, il n’osait certainement pas entamer une lutte frontale avec le Saint-Siège (6). Mais Alexandre VI osa. Charles VIII réussira certes à occuper Naples, en février 1495, mais le pape emploiera tous les arguments possibles pour ne pas lui donner l’investiture. La population se montrera vite hostile. Des Français seront assassinés, la syphilis va faire son apparition, mal napolitain pour les uns, mal français pour les autres. De plus, le pape avait fait organiser à Venise une ligue contre la France, dont il faisait partie avec quelques villes italiennes, dont certaines « retournées », avec la participation de l’Espagne et de l’empereur. Le roi Charles comprit alors sur place, après tout son « tourisme » italien, ce qu’il en était de la fiabilité des alliances dans ces régions, ce que son père Louis XI avait pressenti, sans pourtant il n’y avoir jamais mis les pieds ! Ce fut alors la retraite, la seule sage décision qu’il fallait prendre, car l’armée bien qu’affaiblie était encore opérationnelle et elle allait le prouver. Au moment où les Français traversaient l’Apennin aux frontières de la Toscane, ils durent le 6 juillet livrer une bataille à Fornoue de laquelle ils sortiront victorieux, ce qui n’empêchera pas leurs adversaires de répandre le bruit qu’ils ont été vaincus. Venise ira jusqu’à faire allumer des feux de joie. Le roi de France sera proclamé antéchrist par d’autres que le pape, qui fera plus que laisser dire mais qui n’osera pas aller jusqu’à l’excommunication, comme on le lui suggérait parmi ses alliés. Et il attend prudemment que les Français aient franchi les Alpes pour envoyer une aide militaire à Naples ! Il lui suffit qu’on accuse partout les Français d’avoir répandu la syphilis contractée à Naples. Cependant, avant d’arriver en France, Charles pourra tout de même réussir a délivrer son cousin d’Orléans, le futur Louis XII, assiégé à Novare.

 

VIII Le règne de Louis XII et la continuité de la politique italienne de son prédécesseur

Le roi de France a compris la leçon, il ne reviendra plus jamais en Italie, il meurt à Amboise le 7 avril 1498, sans héritier mâle en ligne directe, suite à un violent choc sur la tête au passage d’une porte trop basse. Son cousin Louis d’Orléans devient Louis XII.

Il inaugure par son règne l’accession d’une branche cadette de la Maison de Valois avec un handicap. Son oncle Louis XI dans le but très clair d’éteindre naturellement la branche des Valois-Orléans l’avait marié très tôt à sa deuxième fille Jeanne très contrefaite, dont on pouvait penser qu’elle serait stérile ou donnerait une progéniture peu apte à régner. C’est la raison pour laquelle le jeune duc d’Orléans fit partie de la « guerre folle » de quelques nobles à la mort de Louis XI, qui fut arrêtée mais valut au duc trois années de détention. Charles VIII le fit libérer, lui donna des responsabilités et l’emmena en Italie et connaissait sa bravoure. Il se révéla aussi magnanime, car dès qu’il fut devenu roi, il répondit à ceux qui lui proposaient de se venger de ses anciens ennemis : « le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d’Orléans », ce qui ne l’empêchera pas d’être dur quand il le faudra. D’où ces deux symboles caractéristiques de son règne, sa devise liée à l’animal qui le représentait, le porc-épic – « qui s’y frotte s’y pique » – et le surnom que lui donnèrent ses sujets, « père du peuple ». Cela dit, les deux grands soucis de Louis XII consistent à faire reconnaître la nullité de son premier mariage (car comme roi de France, il se devait d’exécuter la clause secrète du mariage de son prédécesseur avec Anne de Bretagne, si elle n’avait pas eu d’enfants mâles à la mort de son mari : l’épouser), il voulait aussi, tout comme Charles VIII, faire reconnaître ses droits en Italie, particulièrement sur le duché de Milan, sa grand-mère étant une Visconti.

 

IX Les Borgia, mode d’emploi : la méthode Louis XII

Dans les deux cas il fallait s’arranger avec le pape. Louis avait 38 ans au début de son règne, une certaine expérience en politique générale et surtout « italienne ». C’est pourquoi il fit tout de suite savoir au pape ses intentions, s’engageant à respecter les États pontificaux, à s’occuper de l’avenir de César Borgia. Le pape Alexandre accepta rapidement et un traité se prépara entre le pape et le « roi Très chrétien », une ambassade est envoyée en France le 4 juin 1498 (7). Le pape nomma rapidement un tribunal ecclésiastique qui siégera successivement à Tours et Amboise. Le roi plaidera la non-consommation du mariage, Jeanne de France s’en remettra à la parole de son mari ; c’était effectivement la façon la moins mauvaise de sortir de ce problème difficile de plusieurs points de vue ! Le lundi 17 décembre 1498, le mariage est déclaré nul, Jeanne reçoit le duché de Berry et fonde un ordre religieux féminin qui existe toujours, l’ordre de l’Annonciade.

Après, il faut s’occuper de César Borgia qui va arriver en France et y dépense des sommes considérables, données par son père qui a « rançonné » Juifs et quelques riches personnages, sans compter les héritages des cardinaux morts à Rome, qui étaient de droit à sa disposition. Il est accueilli royalement à Marseille et reçu avec tous les honneurs en Avignon par le cardinal légat Julien della Rovere, réconcilié (pour un temps) avec le pape. Il rencontrera finalement Louis XII à Chinon, juste après le jugement, le 17 décembre, pour lui remettre les dernières dispenses papales permettant son mariage avec Anne de Bretagne (8) ainsi que le chapeau de cardinal pour Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, son principal ministre. Louis XII de son côté tint parole et fit épouser à César, fait duc de Valentinois, Charlotte d’Albret, sœur du roi de Navarre, un très bon parti qui plut au pape. Ainsi, le roi pensa qu’il pouvait reprendre sans dommage la politique italienne de son prédécesseur, sur Naples, en y ajoutant Milan, d’autant plus que le pape était de son côté et que l’activité ambitieuse de César était faite aux dépens de puissances italiennes qui auraient pu s’opposer à Louis. Mais César et son père, le pape Alexandre VI, agirent avec une telle violence, dénuée de tout scrupule, qu’ils accumulèrent contre eux et leur famille des haines terribles ; elles allaient considérablement enfler leurs fautes voire leurs crimes qui étaient réels (surtout en ce qui concerne César), que l’opprobre jeté sur le nom des Borgia traversera les siècles. On oubliera même qu’il y eut un saint Borgia ! Bien que plusieurs fois Louis XII ait essayé en vain d’intervenir pour mettre fin aux exactions de César, les nécessités de la guerre et du maintien des alliances primèrent. Et le roi savait parfaitement combien tout cela avait de l’importance en Italie, car en ce pays la valeur du mot alliance était loin d’être solide. Alors certes le roi s’emparera de Milan et de Naples. Mais la puissance des Borgia l’aidera autant qu’elle le salira. Le moment venu, les ennemis de la France s’en serviront ainsi que toutes les puissances italiennes spoliées par la famille papale ou encore en ayant tout de même profité, mais désireuses de se « blanchir ». L’heure de la vengeance sonna à la mort d’Alexandre VI le 18 août 1503, d’autant plus que les circonstances firent penser à un empoisonnement. Immédiatement les ennemis des Borgia se réunirent, à leur tête on trouvait maintenant le Cardinal Julien della Rovere, qui pensait l’emporter, mais il faisait peur à certains, à juste titre… De plus, les cardinaux espagnols et d’autres craignaient des représailles. Le premier tour montra en effet un éparpillement de voix sur quelques noms importants, incapables pourtant en cet instant de réunir une majorité. Le cardinal d’Amboise, constatant qu’il n’avait aucune chance d’être élu, eut alors l’habileté de s’entendre avec quelques Espagnols et même des Italiens sur un nom connu et surtout neutre porté par un prélat âgé, Francesco Piccolomini-Todeschini. Il est élu le lendemain 22 septembre 1503, à l’unanimité moins une voix (la sienne) ; il est octogénaire et infirme (9). Il va permettre le retour à Rome de César, qui va croire sa carrière repartie, mais bien conscient tout de même de la situation. Le pape meurt en effet la 18 octobre 1503. Le règne aura duré 27 jours, temps ayant permis au cardinal della Rovere de signer un traité avec César et les cardinaux espagnols, leur garantissant qu’ils conserveront tous leurs privilèges. Machiavel, avec raison, reprochera toujours à César d’avoir cru un tel personnage ! (10)

 

X Un Tyran rusé sur le Trône de Pierre : Jules Il

Le conclave s’ouvrit le 31 octobre avec 38 cardinaux, un record ! Il est vrai que la vente de nombreux chapeaux avait rapporté gros à Alexandre VI. Chacun dut s’engager par serment à soumettre, s’il était élu, ses décisions au Sacré-collège qui déciderait à la moitié des voix. Della Rovere dira à l’ambassadeur de Vienne que c’était un engagement forcé et sans valeur doctrinale, et c’était parfaitement juste, cependant il jura ! (11)  Dans le début de la nuit du 1er novembre 1503, della Rovere fut élu par 37 voix sur 38, le cardinal d’Amboise s’étant désisté en sa faveur. Il prit le nom de Jules Il. Son premier acte fut de reprendre tous les États de l’Église (César dut alors rendre beaucoup de territoires et eut la sagesse de se réfugier en France). On découvrit aussi à cette occasion que le grand maître des cérémonies d’Alexandre VI, Burckart, l’homme qui écrivait tout ce que nous connaissons aujourd’hui d’Alexandre VI, détestait les Borgia et était depuis toujours un espion du futur Jules Il, parce qu’il reçut la promesse de l’évêché d’Orta (12) . Il commence par s’attaquer à Venise qui refusa de lui rendre des territoires, il jette l’interdit sur la ville et, suscitant la ligue de Cambrai à laquelle adhéra la France, demanda l’intervention armée de l’empereur Maximilien, qui n’était pas encore couronné, et qui répondit positivement en 1508. Mais les Vénitiens le battirent. La France intervient alors et infligea aux Vénitiens la défaite d’Agnadei. Alors Jules Il put jeter le masque ! Il fit savoir sa volonté de chasser les Français d’Italie et se réconcilia même avec Venise, moyennant restitution de territoires en février 1510. Il s’allia ensuite au cardinal Matthieu Schiner qui lui apporta l’aide de tous les cantons suisses.

Furieux, Louis XII, tout en déclenchant une campagne de pamphlets contre le pape (et l’on pouvait pratiquement reprendre ce qui avait été dit des Borgia, sans trop calomnier), convoqua un concile à Pise en vue de destituer le pape ! S’ajoutera toute une littérature « anti-Jules », soutenue par la France, avec des poètes comme Pierre Gringoire et même Erasme !

Mais par la bulle Sacrosanctae, le pape convoqua le Ve Concile de Latran, excommunia tous les participants du concile de Pise et constitua une Sainte Ligue contre la France. Louis XII agit alors avec clairvoyance et majesté. Il livra bataille avec succès contre ses adversaires à Ravenne le 11 avril 1512, et évacua l’Italie dès le mois de juin. Cela dit, si Jules Il fut vraiment le roi des fourbes en politique, il fut très habile et utile pour la puissance temporelle de l’Église. La papauté lui doit la Garde Suisse et une réelle armée. Ce fut aussi le plus grand des mécènes. On lui doit entre autre Saint-Pierre de Rome et de grande transformations de la même ville. L’architecte Bramante put déployer tout son génie, tout comme Michel Ange, Raphaël et bien d’autres. Il mourra le 21 février 1513. Le conclave élira le 11 mars Jean de Médicis, second fils de Laurent le Magnifique, qui prendra le nom de Léon X. Ayant reçu une très bonne éducation d’humaniste, il est créé cardinal à 14 ans, mais ne portera la tenue qu’à 17 ans. Au conclave qui avait élu Borgia, il avait été parmi les opposants et prudemment il était allé vivre à Florence, qu’il saura quitter quand ce sera nécessaire. Il mènera une vie beaucoup plus rangée que ses confrères cardinaux. Il sera deux fois légat avant la mort de son prédécesseur et, prisonnier à la bataille de Ravenne, il réussira à s’enfuir pour regagner Florence où sa famille retrouvait le pouvoir. Jules Il étant malade, il avait eu le temps suffisant pour se préparer à sa succession.

 

XI La négociation de Bologne et la rédaction d’un concordat

Elle fut le fruit d’un travail collectif de trois personnes qui par ordre d’importance, quant à l’œuvre entreprise, furent Antoine Duprat, chancelier de France, le roi François 1er et le pape Léon X. Le premier est déjà à cette époque un homme expérimenté.

François, comte d’Angoulême, est le plus proche parent du roi défunt Louis XII, aîné de la branche de la famille Valois-Angoulême, et devient roi à la mort de son prédécesseur, qui n’avait pas de fils, le 1er janvier 1515. Il est sacré à Reims le 25 janvier. Louis XII avait noblement préparé les choses, ce qui poussa sans doute le jeune roi à conserver plusieurs de ses conseillers. Mais il sut en faire entrer de nouveaux, dont Antoine Duprat, président du Parlement de Paris qu’il fit chancelier et chevalier le 7 janvier 1515. La question de la suzeraineté sur le duché de Milan n’était pas réglée, donc les guerres en Italie non plus. Le 13 septembre 1515, la victoire de Marignan est acquise, l’artillerie ayant encore fait ses preuves ! François 1er laissa les Suisses battre en retraite sans chercher à les exterminer ; mieux, il put faire son entrée triomphale à Milan, la ville lui ouvrant ses portes et les Suisses capitulant. Immédiatement, Duprat organise le nouveau sénat et est fait chancelier de Milan. Mais le plus important reste à faire. Le pape Léon X vient de faire condamner la Pragmatique Sanction par le Ve Concile de Latran, texte toujours en vigueur par la volonté du feu roi Louis XII, et que ce dernier n’a pas hésité à utiliser, en vain contre Jules Il, le prédécesseur de l’actuel pape. Le fidèle et astucieux Duprat s’était assuré auparavant de la bonne volonté du pape. Par le traité de Cherval du 17 septembre 1515, le roi de France « garantit à Léon X toutes les possessions qu’il tenait ou pourrait recouvrer et aux Médicis le maintien de leur État en la cité de Florence. » (13) Le pape, en retour garantissait au roi le duché de Milan et en plus Parme et Plaisance ! Gros sacrifice pour Léon X, mais qui prouvait sa volonté de négocier. Aussi le roi put-il calmer les inquiétudes de son ambassadeur à Rome qui le pressait d’y venir défendre la Pragmatique, en lui assurant que sous peu seraient engagées des négociations pour défendre la Pragmatique ou faire « quelque concordat qui fut profitable pour l’Église gallicane ».

La rencontre fut prévue à Bologne, François 1er arriva avec une suite de 5000 chevaliers le 11 décembre 1515. Le début de cette rencontre fut dans le grand style des fêtes grandioses de la Renaissance, chaque délégation rivalisait dans le luxe et la magnificence. Au grand banquet pontifical succéda la réunion consistoriale présidée par le pape couronné de la tiare. Au moment où le roi s’inclinait pour lui baiser les pieds, le pape l’en empêcha et le releva. C’est Duprat qui fit un discours en latin dans le style de Cicéron, auquel le pape ne répondit que très brièvement, puis les négociations commencèrent tout de suite en petit comité, d’abord le pape seul avec le roi, puis avec Duprat et au moins deux cardinaux. Ce qu’on sait de l’entretien des deux souverains, c’est que François commença par affirmer son attachement à la Pragmatique Sanction, ce qui était plus la répétition d’une tactique indiquée sans doute par Duprat, qu’une conviction profonde. Du coup le pape dit son espérance en un concordat, ce que souhaitaient en fin de compte le roi et son chancelier. Les pourparlers allaient pouvoir commencer avec Duprat et les deux cardinaux délégués par le pape. Ils allaient durer huit mois. Le 18 août 1516, la bulle du Concordat Primitiva illa ecclesia fut signée par le pape et approuvée par le concile de Latran le 19 décembre suivant. Elle est ainsi présentée au roi de France par l’évêque de Tricarie, Louis de Canossa, fin avril 1517 ; cet évêque avait servi la diplomatie de Jules Il et de Léon X et pacifié les relations entre Louis XII et Rome. Le roi le nomma évêque de Bayeux, un des sièges les plus importants de Normandie après Rouen. C’était aussi un grand admirateur d’Erasme. Il restait maintenant au roi à présenter ce texte au Parlement, accompagné de la révocation de la Pragmatique Sanction et de la menace d’excommunication pour quiconque prétendrait user de ce texte. L’affaire était loin d’être simple, et c’est encore le génie de Duprat qui va être mis à contribution. Mais le Parlement demeura obstinément critique, surtout sur la suppression des élections et le paiement des annates. Mais il sortait de son rôle qui consistait simplement à vérifier si un édit royal ne contrevenait pas aux lois fondamentales du royaume. Or le Concordat n’inventait rien. Il reprenait simplement ce qui était pratiqué avant la Pragmatique et l’améliorait en faveur du roi de France. Cet accroissement du pouvoir royal, qui fut un souci presque toujours partagé par les grands légistes de l’Ancien Régime, constituait un élément important de la pensée politique de Duprat, il annonçait Richelieu et préparait Louis XIV. Duprat avait prévenu les parlementaires que leur ingérence ne tendait rien moins qu’à « contrefaire le sénat de Rome et faire rendre compte au roi de ce qu’il ferait » (14). Il ne restait au Parlement qu’à faire traîner les choses pour préparer des remontrances malgré les avertissements directement donné par le roi à deux de ses émissaires, à savoir « qu’il n’y aurait qu’un roi en France … que ce qui avait été fait en Italie ne serait défait en France et garderait bien qu’il n’y aurait en France un sénat comme à Venise » (15). Finalement le Parlement enregistra les textes le 22 mars 1518, avec une formule manifestant bien que ceci avait eu lieu sur pression du roi.

L’université crut pouvoir prendre le relais de l’opposition parlementaire, malgré les avertissements de Duprat lui demandant de ne pas se mêler des affaires publiques. Le recteur se crut même en droit d’afficher deux mandements, l’un interdisant d’imprimer le Concordat, l’autre pour dénoncer le pape et le Concile de Latran comme contraires à la foi catholique, et ce au nom du concile de Bâle ! Il y eut même des prêches contre le Concordat. Il y eut des arrestations avec internements et amendes. Les maîtres furent calmés, mais pas les parlementaires : le roi le sut et prit les devants. En 1527, il ôtait au Parlement la connaissance des clauses bénéficiales (les problèmes de collations de bénéfices ecclésiastiques) pour les transférer au Grand Conseil. Et ces messieurs durent s’incliner ! Mais les rancœurs de juristes sont aussi dures que les lois peuvent l’être quelquefois. Dès cette époque, sous prétexte de défendre des libertés (celles de l’Église de France) les parlements allaient se draper dans le gallicanisme contre le pape, mais en fait contre le roi. On rêvait d’une Église nationale, fondée sur le conciliarisme et une juridiction laïque. Ce qu’il faut bien appeler un cauchemar, les parlements surent le faire partager à la bourgeoisie. « En 1625 encore, l’avocat général Talon parlait, avec regrets, de la sainte discipline des élections et d’Aguesseau lui-même accordait sa préférence à la Pragmatique sur le Concordat de Bologne. » (16)

Ce sont ces mêmes raisons qui gêneront l’application du Concile de Trente en France, c’était pourtant un concile … mais il était agréé par le pape, contrairement à celui de Bâle. Nous y reviendrons. Cela dit le Concordat de Bologne régit les relations du Saint-Siège et du royaume de France de 1516 jusqu’en 1790. L’affermissement de la souveraineté royale en France et ses bonnes relations avec le Saint-Siège, étant rétablis grâce à Duprat, allaient se révéler capitales pour l’unité du royaume dans la tourmente des guerres de religions (1560-1598), lesquelles auraient pu le faire voler en éclats.

 

1) Paul Murray Kendall, Louis XI, Éditions Pluriel 2022, p. 286

2) Joseph Salvini, « L’application de la Pragmatique Sanction sous Charles VII et Louis XI au chapitre cathédral de Paris » dans Revue de d’histoire de l’Eglise de France 1912, pp. 276-296

3) Joseph Salvini, op. cité, p. 284

4) Paul Murray Kendall, op. cité, p. 533 et 534

5) Louis Madelin, « Un essai d’Eglise séparée en France au XVème siècle : la Pragmatique Sanction » dans Revue des Deux Mondes 1907, 5e période, tome 38, pp. 294-331  

6) Ivan Cloulas, Les Borgia, Éditions Pluriel 2015, pp. 154-158

7) Ivan Cloulas, op. cité, p. 207 et ss.

8 Ivan Cloulas, op. cité, p. 215. Louis et Anne avaient des degrés de parenté nécessitant dispense.

9) Ivan Cloulas, op. cité, p. 328

10) Ivan Cloulas, op. cité, p. 331

11) Ivan Cloulas, op. cité, p. 331

12) Ivan Cloulas, op. cité, p. 332

13) Albert Buisson, Le Chancelier Antoine Duprat, Librairie Hachette 1935, p. 109

14) Albert Buisson, op. cité, p. 126

15) Albert Buisson, op. cité, p. 127

16) Albert Buisson, op. cité, p. 129, note 1

Pour le très important règne de Louis XI, je conseille de se reporter aussi au livre de Jean Favier, Louis XI, paru chez Fayard en 2001.

Pour le règne de Louis XII, mon livre de référence est celui de Bernard Quillet, Louis XII, aux éditions Fayard 1986.

 

Lisez aussi :

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie (1)

France, Fille aînée de l’Église, 2e partie

France, Fille aînée de l’Église, 3e partie

France, Fille aînée de l’Église, 4e partie

La France fille aînée de l’Eglise, 5e partie (1)

La France, Fille aînée de l’Église, 5e partie (2)

La France, fille aînée de l’Eglise, 6e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 7e partie

La France, fille aînée de l’Église, 8e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 9e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 10e partie

La France, fille aînée de l’Église, 11e partie

La France, fille aînée de l’Église, 12e partie

La France, fille aînée de l’Eglise, 13e partie

 

Share this Entry

P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel