Rencontre avec les mouvements populaires © L'Osservatore Romano

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Mouvements populaires: convertir les « structures de péché »

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Deuxième partie du message

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Il y a des résistances au changement qui sont « profondes, enracinées, qui vont au-delà de nos forces et de nos décisions. C’est ce que la Doctrine sociale de l’Eglise a appelé des « structures de péché », que nous sommes appelés, nous aussi, à convertir, et que nous ne pouvons pas ignorer », a affirmé le pape François dans la deuxième partie de son message vidéo destiné aux Mouvements populaires.

Le pape François a adressé un long message vidéo en espagnol aux participants à la seconde session de la IVème Rencontre mondiale des mouvements populaires, organisée par le Dicastère pour le service du développement humain intégral, qui s’est déroulée entièrement en ligne cette année, le 16 octobre 2021.

Il est « impératif d’adapter nos modèles socio-économiques, pour qu’ils aient un visage humain », a souligné le pape, le demandant « avec insistance », « à tout le monde, au nom de Dieu » : des laboratoires aux groupes financiers, des sociétés d’extraction aux multinationales alimentaires, des trafiquants d’armes aux géants de la technologie et des communications, des gouvernements et des politiques « de tous les partis » aux chefs religieux.

Voici notre traduction de la deuxième partie du message vidéo. La première partie a été oubliée le 20 octobre ici.

 

Message vidéo du pape François (2e partie)

  1. Heureux

Comme je vous l’ai dit dans la lettre que je vous ai envoyée l’année dernière (2), vous êtes une véritable armée invisible ; vous faites partie intégrante de cette humanité qui se bat pour la vie face à un système de mort. Dans ce dévouement, je vois le Seigneur qui se rend présent au milieu de nous pour nous donner son Royaume. Lorsqu’il nous a présenté le « protocole » selon lequel nous serons jugés (cf. Mt 25), Jésus nous a dit que le salut consistait à prendre soin de ceux qui ont faim, des malades, des prisonniers, des étrangers, bref, à le reconnaître et le servir, lui, dans toute l’humanité souffrante. C’est pourquoi j’ai envie de vous dire : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, ils seront rassasiés » (Mt 5, 6), « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9).

Nous voulons que cette béatitude s’étende, imprègne et embaume tous les coins et tous les endroits où la vie est menacée. Mais il nous arrive, en tant que peuple, communauté, famille et même individuellement, de devoir affronter des situations qui nous paralysent, où l’horizon disparaît et le désarroi, la peur, l’impuissance et l’injustice semblent s’emparer du présent. Nous faisons aussi l’expérience de résistances aux changements dont nous avons besoin et auxquels nous aspirons, des résistances profondes, enracinées, qui vont au-delà de nos forces et de nos décisions. C’est ce que la Doctrine sociale de l’Eglise a appelé des « structures de péché », que nous sommes appelés, nous aussi, à convertir, et que nous ne pouvons pas ignorer au moment où nous nous demandons comment agir. Le changement personnel est nécessaire, mais il est impératif d’adapter nos modèles socio-économiques, pour qu’ils aient un visage humain, parce que tant de modèles ont perdu ce visage. Et en pensant à ces situations, je demande avec insistance. Et je me mets à demander. A demander à tous. Et je veux demander à tout le monde au nom de Dieu.

Aux grands laboratoires, qu’ils libéralisent les brevets. Qu’ils fassent un geste d’humanité en permettant à tous les pays, tous les peuples, tous les êtres humains d’avoir accès au vaccin. Il y a des pays où seulement trois à quatre pour cent des habitants ont été vaccinés.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux groupes financiers et aux organismes internationaux de crédit de permettre aux pays pauvres de garantir les besoins essentiels de leur population et de remettre les dettes si souvent contractées contre les intérêts de ces peuples.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux grandes entreprises d’extraction – minières, pétrolifères – forestières, immobilières, agroalimentaires, de cesser de détruire les bois, les zones humides et les montagnes, de cesser de polluer les fleuves et les mers, d’arrêter d’intoxiquer les peuples et les aliments.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux grandes sociétés alimentaires de cesser d’imposer des structures de monopoles de production et de distribution qui gonflent les prix et finissent par garder pour elles le pain de ceux qui ont faim.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux fabricants et aux trafiquants d’armes de cesser totalement leur activité, qui fomente la violence et la guerre, souvent dans le cadre de jeux géopolitiques dont le coût représente des millions de vies et de déplacements.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux géants de la technologie de cesser d’exploiter la fragilité humaine, la vulnérabilité des personnes, pour obtenir des gains, sans considérer combien augmentent les discours de haine, le grooming [sollicitation de mineurs par des adultes en ligne], les fake news [fausses nouvelles], les théories de conspiration, la manipulation politique.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux géants des télécommunications, de libéraliser l’accès aux contenus éducatifs et les échanges avec les maîtres à travers internet, afin que les enfants pauvres puissent recevoir une éducation en cas de quarantaine.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux moyens de communication de mettre fin à la logique de la post-vérité, à la désinformation, à la diffamation, à la calomnie et à cette attraction malade pour le scandale et pour ce qui est trouble ; qu’ils cherchent à contribuer à la fraternité humaine et à l’empathie à l’égard des personnes les plus blessées.

Je veux demander, au nom de Dieu, aux pays puissants de cesser les agressions, les blocus et les sanctions unilatérales contre tout pays, où qu’il soit sur la planète. Non au néocolonialisme. Les conflits doivent être résolus dans des instances multilatérales comme les Nations Unies. Nous avons déjà vu comment se terminent les interventions, les invasions et les occupations unilatérales, même si elles sont menées sous les motifs ou les couvertures les plus nobles.

Avec sa logique implacable du gain, ce système échappe à tout contrôle humain. Il est temps de freiner la locomotive, une locomotive hors de contrôle qui nous conduit vers l’abîme. Nous avons encore le temps.

Aux gouvernements en général, aux politiques de tous les partis, je veux demander, avec les pauvres de la terre, de représenter leurs peuples et de travailler pour le bien commun. Je veux leur demander d’avoir le courage de regarder leurs peuples, de garder les gens dans les yeux, et le courage de savoir que le bien d’un peuple est beaucoup plus qu’un consensus entre les partis (cf. Exhortation apostolique Evangelii gaudium, 218). Qu’ils se gardent de n’écouter que les élites économiques si souvent porte-paroles d’idéologies superficielles qui éludent les vraies questions de l’humanité. Qu’ils soient au service des peuples qui demandent une terre, un logement, un travail et une vie bonne. Cette « bonne vie » naturelle qui n’est pas la « dolce vita » ni le « dolce farniente », non. Cette bonne vie humaine qui nous met en harmonie avec toute l’humanité, avec toute la création.

Je veux demander à nous tous aussi, chefs religieux, de ne jamais utiliser le nom de Dieu pour fomenter des guerres ou des coups d’Etat. Soyons aux côtés des peuples, des travailleurs, des humbles et battons-nous avec eux afin que le développement humain intégral soit une réalité. Construisons des ponts d’amour pour que la voix de la périphérie, avec ses pleurs, mais également avec son chant et sa joie, ne provoque pas de peur, mais de l’empathie dans le reste de la société.

Et c’est ainsi que je demande avec insistance.

Il est nécessaire que nous affrontions ensemble les discours populistes d’intolérance, de xénophobie, d’aporophobie – qui est la haine des pauvres – ainsi que de tous ceux qui nous conduisent à l’indifférence, à la méritocratie et à l’individualisme, ces fictions qui n’ont servi qu’à diviser nos peuples et à miner en la neutralisant notre capacité poétique, la capacité de rêver ensemble.

(à suivre)

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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