Rosario Livatino @ éditions Morcelliana

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Le jour de l’assassinat du juge Livatino, témoignage

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Un prêtre de Ravanusa sur place après l’embuscade

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« L’absolution à distance »: c’est le titre de cette interview réalisée par Roberto Cutaia pour L’Osservatore romano en italien du 11 mai 2021 à un prêtre de de Ravanusa, près d’Agrigente, en Sicile, le p. Filippo Barbera, 57 ans, qui avait 26 ans et une année de sacerdoce au moment de l’assassinat du jeune juge béatifié le 9 mai. Le pape a parlé d’un « martyr de la justice et de la foi » au Regina Caeli de dimanche.

Le matin du 21 septembre 1990, sur la Nationale 640 qui relie Caltanissetta à Agrigente, à proximité du viaduc de Gasena, quatre tueurs à gage âgés d’une vingtaine d’années tuèrent le juge Rosario Livatino (1952-1990). Il leur aurait dit, selon un repenti: « Qu’est-ce que je vous ai fait, petits? »

Il raconte les circonstances de son arrivée près des leiux de l’assassinat: « Ce matin-là, j’avais été convoqué par l’évêque d’Agrigente, Mgr Carmelo Ferraro. Et je me rendais de Naro à Agrigente en passant par Canicatti parce qu’il y avait un pont en travaux et qu’on ne pouvait pas passer ; j’ai donc dû passer par Canicatti. A un certain moment, je vois une file de voitures arrêtées et j’ai dû m’arrêter aussi. J’ai aussitôt pensé à un accident. Et comme on nous avait appris, au séminaire, que nous devions toujours être prêts à porter secours, je suis sorti de voiture en emportant l’huile pour les malades, que j’ai toujours dans la voiture. J’ai demandé ce qui s’était passé au premier conducteur venu. Il m’a répondu. « On a peut-être tué quelqu’un ». »

Il s’est approché pour pouvoir donner les sacrements: « J’ai continué et en chemin j’ai demandé à quelqu’un d’autre de me confirmer si on avait bien tué quelqu’un en bas dans le ravin. Une immense file de voitures. Peu après, dépassant le viaduc, j’ai continué de descendre mais à un moment j’ai été arrêté par un agent des forces de l’ordre – je crois que c’était un policier, je ne suis pas sûr – qui m’a dit : « Père, où allez-vous ? » Je lui ai expliqué que, si cela s’était passé moins d’une demi-heure auparavant, je pouvais donner l’onction des malades, avant la mort biologique, ou même l’absolution. Et lui : « Ecoutez, il y a le magistrat qui est en train de vérifier ce qui s’est passé, il vaut mieux que vous ne vous approchiez pas, vous risquez de vous faire repousser. Mais si vous pouvez, donnez l’absolution d’ici. » Je me suis alors mis à prier et j’ai donné l’absolution sous condition : si tu es vivant, je te pardonne au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Il reste marqué par l’événement: « J’étais sous le choc. J’apercevais de loin le magistrat, le drap qui recouvrait le corps. Cela m’a marqué parce que, jusqu’alors, j’avais entendu parler de mafia, mais toucher la mort d’aussi près et administrer un sacrement à une personne tuée par la mafia, cela ne m’était pas encore arrivé. Cet épisode est resté gravé en moi et chaque fois que je traverse ce tronçon de route, je me recueille dans la prière. Ce sont des expériences impossibles à décrire, mais elles laissent une marque. »

Il a tout de suite rapporté à l’évêque ce qu’il venait de vivre: « Dès que je suis arrivé chez l’évêque, il s’apprêtait à me faire des reproches parce qu’il était très à cheval sur les horaires. « Excusez-moi, ai-je dit, mais je suis en retard parce que le juge Livatino a été tué. » Il était très sensible à ces questions, il dénonçait constamment les massacre ou le « carnage », comme il l’appelait. Il m’a répondu : « Ils en ont tué encore un autre. » Il s’est enfermé dans le silence, très éprouvé par ce qui s’était passé. Et c’est précisément Mgr Ferraro qui a raconté que j’étais présent. Je savais que Livatino était juge, mais je ne le connaissais pas personnellement. J’avais été ordonné prêtre quelques mois auparavant, le 3 novembre 1989. Lorsqu’a eu lieu le « martyre » du juge Livatino, j’étais administrateur depuis quelques mois à Naro à la Paroisse Madonna del Lume. »

Après avoir su que le procès de canonisation avait été lancé, le p. Filippo Barbera a commencé à demander l’intercession du juge: « Mais au début, quand je prenais cette route, je priais pour son âme. Maintenant, bien sûr, j’ai commencé à demander son intercession parce que Livatino est un bienheureux différent de beaucoup d’autres, c’est le martyre du devoir accompli jusqu’au bout. Un paroissien m’a raconté par exemple qu’une fois, au cours d’un procès, un homme politique avait tenté d’obtenir une recommandation ; il demanda qui était le juge qui s’occupait de l’affaire et, lorsqu’il sut que c’était le juge Livatino, il répondit : « Alors, il n’y a rien à faire ». »

« C’est l’intégrité, l’attitude correcte, l’accomplissement fidèle de son devoir, vu comme un exercice de sanctification, continue L’Osservatore Romano. Nous ne devenons pas saints parce qu’il y a tel pape ou tel évêque. Parfois, nous avons tendance à dire : s’il y avait un autre pape, s’il y avait un autre évêque, je ferais peut-être mieux… Les époux disent peut-être : si j’avais un autre mari, ou une autre femme… Non, nous devenons saint au milieu de ces circonstances et occasions, comme l’enseigne Gaudium et spes. Je pense que Livatino n’a jamais dit : « s’il n’y avait pas la mafia », non, dans l’exercice de son devoir, il a accompli sa tâche avec discrétion, avec beaucoup d’humilité. J’ai été frappé, par exemple, par le fait que quand il écoutait un accusé, il était l’un des rares qui le saluait à la fin en lui tendant la main : il traitait l’accusé comme une personne, il s’approchait de lui comme d’une personne. Voilà, c’est cela la belle sainteté du quotidien, celle qui fascine. »

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Hélène Ginabat

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