Fr Olivier Poquillon OP © COMECE

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Le pape François en Irak, par le p. Olivier Poquillon O.P., à Mossoul

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« Une lumière dans la longue nuit que nous traversons »

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Le voyage du pape François: « une lumière dans la longue nuit que nous traversons »: le p. Olivier Poquillon O.P. joint au téléphone en Irak par Zenit présente les enjeux du voyage du pape François du 5 au 8 mars 2021, de Bagdad à Nadjaf, Ur et Erbil en passant par Mossoul et Qarakosh.

Zenit – P. Poquillon, quelle est votre mission en Irak ?

P. Olivier Poquillon – Je suis donc dominicain, je suis chargé de la pastorale des étrangers pour la paroisse latine du Nord de l’Irak, j’ai cinq gouvernorats: ce sont les 3 gouvernorats kurdes et les 2 gouvernorats arabes. Et d’autre part, je suis représentant de l’Ordre dominicain pour la reconstruction du couvent des dominicains à Mossoul, et ceci depuis un an. Précédemment j’étais secrétaire général de la COMECE, c’est-à-dire de la Commission des conférences épiscopales de l’Union européenne. Je représentais les conférences épiscopales de l’Union auprès des institutions de l’Union.

Vous avez rencontré le pape François avant de partir pour cette nouvelle mission en Irak ?

Ce n’est pas secret pour personne que le pape souhaitait venir beaucoup plus tôt. Avant mon départ en Irak il m’a dit: « J’espère pouvoir te rendre visite. » Le cardinal Parolin était allé déjà comme le signe de la sollicitude du pape pour un peuple en souffrance. Et un signe aussi de soutien fort pour les chrétiens. Les chrétiens qui sont souvent tentés de quitter leurs terres ancestrales pour aller s’installer ou dans les grandes villes après avoir connu un mode de vie différent pendant la période de déplacement ou parfois à l’étranger, au risque de les voir disparaître. Or ici pour nos interlocuteurs sunnites ou chiites, les chrétiens sont partie intégrante de la population iraquienne. Mais cette évidence s’est peut-être un peu estompée avec les chaînes de générations qui n’ont plus autant d’occasions de vivre ensemble que les précédentes.

Le pape Jean-Paul II lui-même voulait se rendre en Irak dans le cadre de ses pèlerinages aux lieux saints de l’histoire du Salut pour le grand jubilé de l’an 2000. Cela n’a pas été possible à cause des questions de sécurité et de situation internationale… Qu’est-ce qui caractérise la situation que le pape François va trouver ?

Ce voyage du pape, c’est vraiment un signe d’espérance.  Nous espérons, après le confinement, sortir de la phase la plus critique de la pandémie. C’est notre premier espoir. Que ce voyage soit le signe de la réouverture du tombeau, pourrait-on dire. Le deuxième aspect c’est que ce voyage intervient avant les élections qui sont prévues au mois de juin ici en Irak. Des élections qui sont très importantes pour l’unité du pays, pour la paix, pour la stabilité et pour l’avenir économique. Donc, ce que nous attendons du voyage du pape ce n’est pas qu’il résolve tous les problèmes, mais qu’il permette à l’ensemble des composantes de la population du pays de s’unir autour d’un projet commun. Et recevoir une visite en Orient c’est vraiment la meilleure façon d’être honoré. L’hospitalité ici est un devoir sacré et nous nous réjouissons de pouvoir l’exercer avec le Saint-Père.

Quelles seront les différentes étapes de ce voyage ?

Tout d’abord une étape à Bagdad, la capitale fédérale de l’Irak, qui est aussi un grand lieu du monde arabo-musulman pendant de nombreuses décennies, mais qui a été marquée plus récemment par des souffrances pour la population et aussi d’une grande aspiration. Le pape y rencontrera les autorités, la société civile et les représentants de l’Eglise dans la cathédrale syro-catholique « Notre Dame du Salut ».

Il y aura une étape à Nadjaf siège des autorités religieuses suprêmes chiites, et la rencontre importante avec l’ayatollah Al-Sistani.

Puis, sur les pas d’Abraham, donc dans la plaine de Our (Ur), une rencontre interreligieuse. Our c’est aujourd’hui dans la région de Basra, entre Bassora et Nadjaf.

Le pape François reviendra à Bagdad et il présidera la messe dans la cathédrale chaldéenne Saint-Joseph en présence de quelque 400 personnes.

Et puis, une étape plus au Nord, d’abord au Kurdistan, Erbil, qui a accueilli de très nombreux chrétiens au moment de la proclamation de Daesh. Les chrétiens se sont réfugiés en masse et ont été accueillis par les Kurdes.

Suivra un voyage à travers de la plaine de Ninive jusqu’à Mossoul, ville sunnite, anciennement chrétienne, très éprouvée. Le pape y priera pour les victimes de la guerre.

Le pape effectuera aussi une visite à Qarakosh qui est un peu l’épicentre de la communauté chrétienne d’Irak, avant la messe au stade « Franso Hariri » d’Erbil, en présence de quelque 10 000 personnes seulement en raison de la pandémie. Puis le Saint-Père rentrera à Bagdad.

Quelle est la situation des chrétiens aujourd’hui en Irak ?

Aujourd’hui on dit qu’il y aurait environ une cinquantaine de familles dans Mossoul, de familles chrétiennes, tous rites confondus puisqu’il y a les Chaldéens, les Syriaques, il y a aussi les Assyriens, les Syriaques catholiques et orthodoxes, donc on a plusieurs communautés. Sur l’ensemble de cette communauté, on parle d’une cinquantaine de familles, mais personne ne dispose de chiffres fiables aujourd’hui. D’autant plus qu’il y a des gens qui vont pouvoir habiter d’un côté et travailler de l’autre, etc.

Quelle région a-t-elle été le plus éprouvée par l’occupation de Daesh ?

L’épicentre de la persécution de Daesh, c’était le Sinjar, où les chrétiens ayant été chassés, on a eu un nettoyage ethnique, en bonne et due forme, si l’on peut utiliser cette expression. L’épicentre de la persécution de Daesh ça a quand même été les yézidis dans le Sinjar, entre Mossoul et la frontière syrienne et la frontière turque. Les chrétiens ont été chassés de Mossoul et de la plaine de Ninive. Aujourd’hui le grand enjeu c’est de permettre aux familles qui le souhaitent de rester sur leurs terres, les terres de leurs ancêtres. Et aussi – en tout cas c’est le souhait du gouvernement irakien et d’un certain nombre de bailleurs de fonds – d’encourager le retour des chrétiens dans la plaine de Ninive, mais aussi à Mossoul même.

Par exemple, nous avons eu une rencontre organisée par « Mosul Eye » et l’UNESCO à la grande mosquée al-Nouri où chrétiens et musulmans se sont trouvés à participer pour essayer de faire avancer cette reconstruction, en tout cas des lieux emblématiques de la ville.

Le P. Poquillon OP à Mossoul @ MosulEye

Le P. Poquillon OP à Mossoul @ MosulEye

Justement, qu’en est-il de la reconstruction des édifices ?

Alors, il y a un plan qui a été développé par l’UNESCO qui consiste à reconstruire notamment la grande mosquée al-Nouri dans laquelle avait été proclamé Daesh. Et puis, en même temps, de par la volonté des bailleurs de fonds qui sont principalement les Émirats arabes unis, l’ancienne cathédrale syriaque catholique al Tahira et le couvent des dominicains qui s’appelle Notre-Dame-de-L’Heure ou al-Saa’a en arabe, qui a donné son nom au quartier. C’est vraiment le cœur de la vieille ville, ce qui montre que les chrétiens et les musulmans ont toujours vécu ensemble. On a les ouvriers chrétiens qui ont travaillé à la construction du grand minaret qui est l’emblème de la ville de Mossoul, qui a été dynamité par les djihadistes avant de quitter la ville, et puis, on a eu chez nous des ouvriers musulmans qui ont travaillé à la construction de notre couvent et de la cathédrale syriaque. Voilà, c’est ça que nous essayons de relancer.

Qu’en est-il de la situation actuelle des yézidis ?

Les yézidis ont élu leur nouveau Baba Cheikh, donc le leader spirituel suprême, aujourd’hui il y a le rapatriement des familles yézidis vers le Sinjar, c’est une zone qui est toujours soumise à de fortes tensions… la sécurité est changeante… La France est très engagée aussi au côté des yézidis, notamment pour la construction d’un hôpital sur place. Il est certain que les choses sont très fragiles: l’Irak se situe à un carrefour avec de grands fleuves, des intérêts pétroliers. Les voisins sont très présents, et l’influence des voisins peut évidemment inquiéter la population. Aujourd’hui, les yézidis – qui sont dans des camps depuis le début de l’arrivée de Daesh – aspirent à retourner chez eux. D’autant plus que la situation économique étant dégradée sur l’ensemble de la planète, les plus faibles payent le prix fort.

Après les voyages précédents du pape aux Émirats arabes unis et au Maroc, cette fois le pape va donc rencontrer une communauté musulmane chiite ?

Le voyage du pape est ici perçu comme un signe fort. C’est une personnalité majeure. Le pape vient apporter un message de paix, mais aussi d’espérance et d’unité. Ce voyage s’inscrit aussi dans la ligne des deux précédentes étapes: donc, le voyage à Abou Dhabi où a été proclamé ce Document sur la fraternité humaine avec le Cheikh d’al-Azhar, et puis le voyage au Maroc qu’il ne faut pas oublier, où a bien été réaffirmé ce souhait de voir les chrétiens et les musulmans sortir de cette idée qu’il y avait des minorités pour permettre à tous et à chacun d’accéder à la pleine citoyenneté. Il y a aussi un autre aspect, c’est que les 2 dernières rencontres entre le pape François et des leaders musulmans se sont tenues avec des leaders sunnites. Ici l’Irak comporte une importante communauté chiite et notamment les autorités suprêmes du chiisme… Il y a sans doute une volonté de la part de Saint-Siège et du pape François de tendre la main aux différentes composantes de la communauté musulmane.

Depuis quand date la présence des dominicains en Irak, dont le directeur de L’Oeuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch dit qu’ils ont « un rôle important » ?

Le premier dominicain c’est un dominicain italien qui est arrivé au 13e siècle, juste après la fondation de l’Ordre, à Bagdad. Entre le 13e siècle et aujourd’hui on a toujours eu des frères qui sont passés ou qui se sont installés. Des frères, des sœurs et des fraternités laïques, qui sont très nombreuses d’ailleurs en Irak. La mission des frères au 17e siècle a été de répondre à l’appel du patriarche chaldéen de l’époque et du Saint-Père qui nous envoyait pour permettre le retour de cette Eglise à la pleine communion avec Rome.

Donc, on a ici des Eglises chrétiennes anciennes, parmi les premiers chrétiens, et qui ont souhaité revenir ou venir accéder à la pleine communion. Donc, les frères ont toujours eu cette mission de formation: avec la création de la première école de filles, par exemple, la première imprimerie de Mésopotamie, la première horloge de Mésopotamie et la construction d’un lieu de rencontres entre l’Orient et l’Occident au sein de l’Église et aussi avec les non-chrétiens. Aujourd’hui, les frères sont présents à Bagdad, d’une part, et à Erbil, d’autre part, où nous assurons la charge de la paroisse latine. Puisqu’il y a un diocèse latin de Bagdad qui couvre l’ensemble du territoire iraquien, c’est un des plus vastes du pays, et qui comporte, on pourrait dire, à peu près 100 000 personnes. Parmi ces 100 000 personnes, c’est une nouveauté depuis 2014, au moment des événements qui ont ensanglanté le pays, eh bien un certain nombre de travailleurs étrangers sont arrivés, notamment des Philippines et d’Inde ce qui a renouvelé la communauté latine. Aujourd’hui, notre communauté latine étrangère a augmenté avec des gens majoritairement philippins et du continent indien et quelques occidentaux.

P. Poquillon, vous avez un message pour les lecteurs de Zenit en préparation à ce voyage?

Priez pour nous, et qu’ici sur cette terre sainte, qui est la terre d’Abraham et la terre aussi de Jonas, eh bien, en ce temps de Carême, particulièrement, nous prions pour que Dieu nous donne la force de nous convertir, de nous tourner vers Lui, pour accueillir sa lumière qui vient dans la nuit. Voilà. C’est tout ce que je souhaite à chacun de vos lecteurs et à nous tous. Que ce voyage soit aussi une lumière dans la longue nuit que nous traversons, nous espérons finir de traverser en Irak.

Propos recueillis par Anita Bourdin

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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