Doris Reiginger-Wagner @Voices of Faith

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Pour Doris Reisinger-Wagner, la voix des femmes est «cruciale pour arrêter et prévenir les abus»

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Recommandations à une victime

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Pour Doris Reisinger-Wagner (@ReisingerWagner) la voix des femmes est « cruciale pour tout effort crédible pour arrêter et prévenir les abus » dans l’Eglise.
La théologienne allemande a témoigné lors de la conférence « Voices of Faith », à Rome, le 27 novembre 2018, comme elle l’annonçait depuis l’aéroport, sur son compte twitter, le 26 novembre dernier, veille de son 35e anniversaire. La vidéo de son intervention en anglais a ensuite été postée sur les réseaux sociaux. Elle avait déjà témoigné, en allemand, par exemple dans cette vidéo de 2015.
Dans son livre, en allemand également, “Nicht mehr Ich” (« Ce n’est plus moi. L’histoire vraie d’une jeune religieuse », 2014, livre de poche 2016), elle raconte comment elle a été victime d’abus de pouvoir, puis d’un viol par un supérieur, en 2003, alors qu’elle était une jeune religieuse de 19 ans.
Celui-ci a été renvoyé de Rome mais reste prêtre dans une communauté où vivent « de nombreuses jeunes religieuses », déplore la théologienne.
La communauté à laquelle elle appartenait alors (“Das Werk”, “L’Œuvre”) a été soumise à une enquête canonique (“visite apostolique” en 2013-2014) et ses responsables “travaillent de manière constructive” à la mise en oeuvre des indications résultant de cette visite, indique un communiqué. Il précise que les constitutions de la communauté doivent être révisées, notamment avec l’institution d’un chapitre général. Il regrette les témoignages répétés de Mme Reisinger-Wagner.
Mais si elle parle aujourd’hui, c’est aussi que Doris Reisinger-Wagner, philosophe et théologienne née en Bavière en 1983, maintenant mariée et mère de famille, déplore l’existence “de nombreuses histoires de femmes abusées par des prêtres”.
A qui aurait souffert de tels abus elle fait trois recommandations, en substance : Premièrement, souviens-toi que tu es précieuse, que tu n’as pas mérité cela, que Dieu n’a pas voulu cela pour toi. Dieu te veut libre, que tu développes tes talents et que tu aies une vie heureuse. Deuxièmement, trouve un allié, une personne qui puisse te soutenir. Troisièmement : le Christ est mort pour nous, pour nous libérer.
L’occasion manquée de 2001
Elle rappelle qu’en 2001, lorsque la question a été posée (rapports de l’abbé bénédictin Notker Wolf, de soeur Esther Fangman, de soeur Maura O’Donohue), le Vatican avait répondu d’une part qu’il y avait peu de cas, dans une aire géographique limitée – en Afrique, où la peur du sida faisait des sœurs un partenaire sécurisant – écrivait alors le New York Times, et d’autre part que l’Eglise affrontait la question. Les cas touchaient alors plus d’une vingtaine de pays. Des cas ont ensuite été signalés aussi en Inde, et cette fois le cas s’est passé à Rome et dans une communauté allemande.
La théologienne fait observer qu’une réaction vigoureuse en 2001 aurait peut-être empêché qu’elle ne soit violée en 2008. Et elle dit avoir compris, en 2010, que si les victimes ne parlaient pas, les abus continueraient : elle a donc parlé du viol à sa supérieure, sans aucun effet, si ce n’est provoquer sa colère à son encontre.
Mme Reisinger-Wagner note par ailleurs que les abus commis par des clercs – sur des enfants ou pas – ne viennent pas d’abord de leur orientation sexuelle mais de leur « mépris » du droit de leurs victimes à l’auto-détermination et de l’appui « idéologique » de leurs supérieurs. Elle vise ce que le pape François désigne par « abus de pouvoir » et « cléricalisme » qui n’est pas le seul fait des clercs, mais en l’occurrence aussi de supérieures d’une communauté qui n’ont pas su protéger une de leurs soeurs.
Publié dans les milieux germanophones, puis anglophones, le témoignage de Doris Reisinger-Wagner est maintenant connu dans les milieux francophones, de Paris-Match à L’Orient-Le Jour, en passant par La Croix… Mais au moment de la publication du livre, l’AVREF (Aide aux Victimes des dérives de mouvements Religieux en Europe et à leurs Familles), avait déjà traduit en français son témoignage, écrit en anglais. On peut le lire ici.
La culture de l’abus
Doris Wagner avait d’abord gardé le silence : « J’ai su tout de suite que si j’en parlais à quelqu’un dans ma communauté, on me blâmerait moi et pas lui. Alors j’ai gardé le silence. »
Elle a ensuite subi la seconde agression, d’un autre prêtre qui avait demandé à être son confesseur : « Il me gardait des heures, agenouillée devant lui, il me disait qu’il m’aimait et qu’il savait que je l’aimais et que même si on ne pouvait pas se marier, il y avait d’autres moyens » : « Il a essayé de me prendre dans ses bras et de m’embrasser. J’ai paniqué et je suis partie en courant. »
Elle a demandé à changer de confesseur, sa supérieure a avoué, témoigne la théologienne, savoir que ce prêtre avait un « penchant » pour les jeunes femmes.
Elle a fini par trouver le courage de quitter cette vie, et, en 2012, celui de dénoncer les deux prêtres auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi, notamment chargée des procédures canoniques pour agressions sexuelles par des clercs.
« Nous étudions avec sérieux (ces affaires) et nous donnerons une réponse le temps venu », a répondu le Saint-Siège à une question de l’AFP à ce sujet.
« Mêlant abus sexuel, abus d’autorité et abus spirituel, cette affaire montre aussi combien la « culture de l’abus » et le « système de couverture qui lui a permis de se perpétuer », tels que les dénonce François, sont présents jusqu’au cœur de la Curie », analyse pour sa part Nicolas Senez dans La Croix.
Les supérieures générales montent au créneau
C’est justement contre ces abus que se sont insurgées les supérieures générales de l’UISG qui ont invité les victimes à parler et à les contacter si elles ont besoin d’aide, dans un communiqué du 23 novembre 2018. L’Osservatore Romano a publié cet appel dans son édition en italien du 27 novembre 2018. L’UISG annonce aussi des mesures pour la prévention des abus.
L’Osservatore Romano avait lancé un premier pavé dans la marre en mars dernier, en dénonçant les conditions de travail des religieuses. Maintenant les supérieures générales lèvent le voile sur un tabou: les abus dont les religieuses peuvent être les victimes doivent être dénoncés, quel que soit l’auteur, y compris à l’intérieur même de l’Eglise.
Des religieuses sont victimes d’abus de pouvoir et d’abus sexuels, de viols, et la loi du silence a longtemps prévalu, telle religieuse, à l’instar de Doris Wagner, ayant peur d’être elle-même accusée si elle s’ouvrait à sa supérieure.
Le communiqué de l’UISG marque donc un tournant décisif pour que les victimes n’aient jamais peur de s’ouvrir à une supérieure et que l’agresseur ne puisse plus nuire.
Une mentalité princière
Dans son livre « La force de la vocation. La vie consacrée aujourd’hui », publié lundi dernier, 3 décembre, le pape François déplore les cas où les religieuses sont traitées, dans l’Eglise, à Rome même, en « esclaves ». Il déplore aussi « les restes d’une certaine mentalité princière » à l’origine de cette servitude. C’est une façon de « nier la propre vocation » et le « charisme » de ces sœurs.
Les entretiens ont eu lieu cet été, le pape n’y est pas interrogé sur les abus contre les sœurs, mais il ajoute : « Je crois vraiment que nous devons cheminer vers une dignité toujours plus grande de la femme dans le monde comme dans l’Eglise. Avancer dans l’égalité, c’est une bonne chose. »
Sur les réseaux sociaux, des réactions au témoignage de Mme Reisinger-Wagner souhaiteraient que le sommet romain convoqué par le pape François pour février 2019 sur les abus inclue la question des abus contre les femmes consacrées et que ce soit l’occasion d’affirmer la tolérance zéro aussi dans ce domaine.
 
 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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