« La foi des chrétiens se fonde sur le témoignage de ces sœurs et de ces frères qui ont vu la pierre du tombeau renversée, le sépulcre vide et ces mystérieux messagers qui affirmaient que Jésus, le mort crucifié, était ressuscité », rappelle Mgr Follo.
Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris, propose ce commentaire de l’Evangile du dimanche , 27 mars 2016, dimanche de Pâques et de la résurrection du Seigneur.
Mgr Follo propose aussi comme lecture patristique un commentaire de saint Augustin.
Pâques: l’Exode du Christ et de l’Église
1) Le Christ est ressuscité : la vie a englouti la mort
Mis à part la Vierge Marie qui alla à la rencontre du matin de Pâques avec une foi remplie d’espérance même dans l’obscurité du Samedi saint, (cf. Spe salvi, n. 50), tous les disciples pensaient que la mort sur la croix avait interrompu pour toujours l’exode du Christ. Ils avaient suivi Jésus parce qu’il était le seul à avoir les paroles de la vie éternelle, mais le nouveau Moïse était mort, comme le vieux Moïse qui n’avait pas pu entrer dans la Terre promise qu’il avait seulement vue de loin et mourant, depuis le mont Nebo.
Mais l’histoire de Jésus, nouveau Moïse, ne s’arrête pas sur le mont Calvaire le Vendredi saint, jour dramatique où Lui et avec Lui, l’amour et le dévouement de Dieu pour nous sont finis sur la croix. Cette histoire ne s’arrête pas non plus le Samedi saint, quand le monde est devenu une désolation mortifère parce que le Christ est mis au tombeau et que tout se tait, y compris Dieu. La mort a vaincu et englouti la vie. Il s’agit d’une victoire apparente : voici qu’arrive le Dimanche de Pâques où « le mort » Jésus ressuscite. Aujourd’hui c’est Pâques, jour du ressuscité, jour où la Vie engloutit la mort. La Lumière enveloppe les ténèbres et nous célébrons le fait que l’Homme nouveau est sorti des entrailles de la terre, portant la lumière du soleil qui ne se couche jamais.
Comme le soleil, le Christ a commencé son exode dans le cœur d’une nuit, celle de Noël, pleine d’étoiles, d’anges, de chants, et le termine une autre nuit, celle de Pâques, pleine de silence, d’obscurité menaçante, avec une poignée d’hommes et de femmes qui veillent complètement perdus.
La lumière du Ressuscité, Soleil de justice et de miséricorde, engloutit la nuit et ouvre le sépulcre, d’où sort la « chair qui revêt l’éternité ». Tout est lumière et dans le jardin, c’est le printemps. D’une nuit à l’autre, la foi respire grâce à la Lumière qui illumine la terre, le ciel, l’esprit et le cœur.
L’image du soleil est utilisée dans la liturgie pascale pour décrire l’exode triomphant du Christ, de l’obscurité du sépulcre à son entrée dans la plénitude de la vie nouvelle de la résurrection.
« Comme le soleil se lève après la nuit, tout radieux dans sa luminosité renouvelée, ainsi Toi aussi, ô Verbe, tu resplendiras d’une clarté nouvelle quand, après la mort, tu abandonneras ton lit nuptial » (Matines). « Que le ciel se réjouisse et qu’exulte avec lui aussi la terre, parce que l’univers entier, le visible et l’invisible, prend part à cette fête : le Christ, notre joie pérenne, est ressuscité » (Prime). « Aujourd’hui l’univers entier, ciel, terre et abysse est comblé de lumière et la création entière chante désormais la résurrection du Christ, notre force et notre joie » (Sexte).
Au VIe siècle, il y avait en France une coutume racontée par saint Grégoire de Tour (538 environ – 594) qui nous aide à comprendre pourquoi la liturgie donne tant d’importance à la lumière. Ce saint évêque raconte qu’en son temps on allumait le feu pascal pendant le jour avec la lumière du soleil grâce à des morceaux de verres adaptés. De cette façon, c’est du ciel que l’on recevait la lumière et le feu pour allumer toutes les lumières et tous les feux de l’année. C’est le symbole de ce que nous célébrons pendant la Veillée pascale. Dans la radicalité de son amour, où le cœur de Dieu et le cœur de l’homme se sont rencontrés, Jésus Christ a vraiment pris la lumière du ciel et l’a apportée sur terre – la lumière de la vérité et le feu de l’amour qui transforment l’être de l’homme. Il a apporté la lumière qui transforme la douleur en joie et ôte la tristesse à qui vit dans la douleur.
Depuis le jour de la résurrection du Christ, et pour toujours, la lumière fleurit du cœur même du monde où le Christ est descendu et a pris demeure : comme le levain qui fermente la pâte, comme le sel qui donne la saveur (cf. Mc 9,50) comme les rayons d’un soleil qui « dans la première lueur du jour font réémerger les choses de l’obscurité, comme au début du monde, en les revêtant de lumière et de silence ». Devant le Christ donc, le soleil se lève : avec foi, entonnons la louange et regardons vers la lumière, tendus vers le retour du Christ. Il est la splendeur du Père, très vive lumière divine. En Lui, nous nous revêtons d’espérance, nous vivons de joie et d’amour (cf. Hymne à la louange). Jésus, Parole du Père, est la lumière intérieure qui chasse les ténèbres du péché ; c’est le feu qui éloigne toute froideur ; c’est la flamme qui réjouit l’existence ; c’est la splendeur de la vérité qui en brillant devant nous, nous guide dans l’exode vers la vraie Terre promise, vers de « nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice aura une demeure stable » (Ap 21, 5).
2) L’exode du Christ est aussi le nôtre
L’exode du Rédempteur est aussi notre exode. De même que le chemin vers le Père ne fut pas seulement pour le Fils un procédé physique, externe, de même, nous sommes nous aussi appelés à cet exode du cœur.
Comment ?
Je propose la réponse d’Origène : « A la gloire du Seigneur notre Dieu, nous célébrons la fête de l’Exode. Nous ne la célébrons pas avec le vieux levain de la malice et de la méchanceté mais avec les enzymes de la sincérité et de la vérité (1 Cor 5, 8), parce que désormais nous ne portons plus rien avec nous du levain impie de l’Égypte. Hier j’ai été crucifié avec le Christ, aujourd’hui avec lui je suis glorifié. Hier je mourais avec lui, aujourd’hui avec lui, je reviens à la vie. Hier j’étais enterré avec lui, aujourd’hui avec lui je ressuscite » (Origène, Eis ton aghiovpascha, XLV:PG 36,624 ; I, PG 35, 397-400).
Reprenons donc notre exode en nous rendant aujourd’hui de tout notre cœur au sépulcre, puis poursuivons notre chemin. Suivons l’exemple de Marie-Madeleine, de Pierre et de Jean entraînés sur la tombe du Sauveur par leur cœur rempli de dévotion et d’affection mais qui n’y restèrent pas.
Suivons-les dans cet itinéraire du cœur. Marie-Madeleine alla au sépulcre quand il faisait encore nuit mais son cœur la guidait. Pierre aussi fut guidé par son cœur, parce qu’il était celui qui aimait le Christ plus que tous les autres. Et il en fut ainsi aussi pour Jean qui était attiré par son cœur, lui le disciple le plus aimé. A l’aube de Pâques, ce n’est pas par hasard si ceux qui se rendirent au tombeau furent aussi ceux qui avaient fait une expérience particulière de l’amour de Jésus. Marie-Madeleine, l’Apôtre qui avait le primat de l’amour et l’Apôtre préféré furent les premiers à comprendre que l’amour avait vaincu la mort. Ils se demandèrent : Où est le ressuscité ? Comment puis-je le rencontrer ? Pour le rencontrer, il n’y a rien d’autre à faire que de se remettre en chemin et de le chercher parmi les vivants. Mais, là aussi, le Christ les précéda et leur apparut. Et ils virent et ils crurent et ils devinrent des témoins.
Depuis lors, et donc encore aujourd’hui, la foi des chrétiens se fonde sur le témoignage de ces sœurs et de ces frères qui ont vu la pierre du tombeau renversée, le sépulcre vide et ces mystérieux messagers qui affirmaient que Jésus, le mort crucifié, était ressuscité. Et puis le Seigneur et le Maître lui-même, vivant et palpable, est apparu à Marie de Magdala, aux deux disciples d’Emmaüs et enfin aux onze apôtres réunis dans le cénacle (cf. Mc 16, 9-14).
« Les apôtres ont fait l’expérience directe et extraordinaire de la Résurrection ; ils sont témoins oculaires d’un tel événement. Grâce à leur témoignage digne de foi, beaucoup ont cru ; et de la foi dans le Christ ressuscité sont nées et continuent de naître les communautés chrétiennes. Nous aussi aujourd’hui, nous fondons notre foi dans le Seigneur ressuscité sur le témoignage des Apôtres, arrivé jusqu’à nous par la transmission de l’Église » (saint Jean-Paul II).
Il est vraiment très significatif que le premier livre d’histoire chrétienne soit les « Actes des Apôtres » où l’histoire est racontée par des témoins directs et dignes de foi à partir de la victoire du Christ.
Aujourd’hui, c’est à chacun de nous de continuer à « écrire » et donc de continuer à « faire » les actes des apôtres, parce que tout disciple du Christ est appelé à devenir témoin de la résurrection, surtout en ces lieux où de façon plus nette, on veut faire perdre la mémoire de Dieu et réduire l’homme à une seule dimension.
Une façon spéciale « d’écrire » ces actes qui permettent d’accomplir l’exode de la vie et de suivre le chemin de l’amour, est celle des vierges consacrées dans le monde. Avec la consécration virginale, ces femmes se sont offertes pour toujours au Christ et témoignent que tout ce qui est vécu dans l’amour virginal n’est pas perdu. A partir de Dieu et en communion avec Jésus Christ, elles vivent eucharistiquement en rendant grâce à Dieu et en servant le Christ dans les frères et sœurs en humanité. Et si d’un côté elles rendent ce service avec une charité pratiquée sur le lieu de vie et de travail, d’un autre côté elles témoignent que dans la charité consacrée à Dieu dans la virginité, il y a la charité envers le prochain.
Leur être d’épouses du Christ implique toujours un chemin, un exode qui ne veut pas dire inactivité ou vie de vagabond mais mission de charité qui passe à l’action, les yeux tournés vers le Christ et les mains tendues vers ceux qui sont pauvres matériellement et spirituellement. Leur corps sanctifié par la présence du Christ ressuscité, devenu Temple, devient « sacrement » à travers lequel Jésus rencontre, touche et sauve tous les hommes. A ce regard, le n. 24 du Rite de la consécration des vierges fait prier l’évêque sur elles : « Qu’elles cherchent à te rendre gloire d’un cœur purifié, dans un corps sanctifié; qu’elles te craignent avec amour et, par amour, qu’elles te servent. »
Lecture Patristique : saint Augustin d’Hippone (+ 430)
Sermon 88, 1-2 (éd. des Mauristes, 5, 469-470)
Vous le savez aussi bien que nous, mes frères : notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ est pour nous le médecin du salut éternel. Il a pris sur lui la faiblesse de notre nature pour empêcher que cette faiblesse fût éternelle. Car il a pris un corps mortel afin de tuer la mort. Et bien qu’il ait été crucifié en raison de notre faiblesse, il est vivant par la puissance de Dieu (cf. 2Co 13,4), nous dit saint Paul.
Le même Apôtre dit encore : Désormais il ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir (Rm 6,9). Votre foi sait bien tout cela. Par là même, il s’ensuit que tous les miracles accomplis sur les corps – nous devons le savoir – servent à notre éducation pour que nous sachions en dégager ce qui ne passera pas et n’aura pas de fin. Il a rendu aux aveugles des yeux que la mort fermerait certainement un jour. Il a ressuscité Lazare qui devait mourir une deuxième fois. Et tout ce qu’il a fait pour la santé des corps, il ne l’a pas fait pour l’éternité, bien qu’à la fin il doive donner aux corps eux-mêmes une éternelle guérison. Mais parce qu’on ne croyait pas ce qui ne se voyait pas, le Seigneur se servait de ces miracles temporaires que l’on voyait, pour susciter la foi envers les réalités invisibles.
C’est pourquoi, mes frères, personne ne doit dire que Jésus n’agit plus ainsi maintenant et que, pour cette raison, les premiers temps de l’Église étaient supérieurs aux nôtres. Il y a un endroit de l’Évangile où notre Seigneur place ceux qui croient sans avoir vu au-dessus de ceux qui croient parce qu’ils ont vu. Car jusque-là, la faiblesse des disciples était si hésitante que, après l’avoir vu ressuscité, ils voulaient encore le toucher pour croire en lui. Il ne leur suffisait pas de voir de leurs yeux, s’ils n’approchaient leurs mains de ses membres et ne touchaient les cicatrices de ses récentes blessures. C’est aussitôt après avoir touché et reconnu les cicatrices que le disciple incrédule s’écria : Mon Seigneur et mon Dieu (Jn 20,28) ! Ces cicatrices révélaient celui qui, chez les autres, guérissait toutes les blessures. Est-ce que le Seigneur n’aurait pas pu ressusciter sans cicatrices ? Mais il voyait dans le cœur de ses disciples des blessures que devaient guérir ces cicatrices qu’il avait gardées dans son corps.
Et que répond le Seigneur à celui qui le confesse en disant : Mon Seigneur et mon Dieu? Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu (Jn 20,29). De qui parle-t-il donc, mes frères, sinon de nous ? Et pas seulement de nous, mais aussi de ceux qui viendront après nous. Car, peu de temps après, lorsqu’il a échappé aux regards mortels, pour affermir la foi dans les cœurs, tous ceux qui sont devenus croyants ont cru sans avoir vu, et leur foi avait un grand mérite : pour l’obtenir, ils ont approché de lui non pas une main qui voulait le toucher, mais seulement un cœur religieux.
Mgr Francesco Follo, eglise.catholique.fr
Pâques: l'Exode du Christ et de l’Église, par Mgr Follo
Méditation de Mgr Follo