« L’éducation doit être avant tout transmission du sens de la vie », estime Mgr Follo. « L’éducation intégrale » : c’était le thème de l’intervention de Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’Unesco, lors du Forum sur l’éducation organisé à l’UNESCO ce 3 juin, à Paris.
« L’éducation doit être avant tout transmission du sens de la vie et, après, véhicule de connaissance du savoir et des savoirs, de la diversité culturelle: on ne respecte véritablement que ce qu’on connaît, et ce qu’on connaît cesse d’être considéré comme « barbare » », fait observer Mgr Follo.
Il précise : « Cette éducation, qui rend la personne apte à valoriser la diversité culturelle, est donc une éducation à la paix, à la reconnaissance, au respect jusqu’à l’accueil de l’autre comme don, richesse, complémentarité. »
Intervention de Mgr Follo
Eminences,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Je suis honoré d’introduire cette journée de réflexion sur l’apport de l’Eglise Catholique à l’éducation, et je suis heureux de le faire ici à l’UNESCO, où j’exerce ma mission et où la question de l’éducation est parmi les piliers du nouvel humanisme que Mme la Directrice Générale Irina Bokova met au centre des activités et de la réflexion de cette Organisation.
Venues d’horizons culturels, religieux et professionnels différents, mais unies par le même souci d’éduquer à être, les personnalités éminentes auxquelles on donnera la parole dans ce Forum n’ont pas comme but de seulement célébrer des très importants documents d’Eglise Catholique sur l’éducation. Elles désirent aussi dresser un inventaire de l’éducation actuelle et définir une conception globale de l’éducation de demain.
En outre, le fait que ce Forum est organisé sous le haut patronage de l’UNESCO témoigne que l’Eglise catholique et cette Agence spécialisée de Nations Unies partagent l’idée d’une éducation coextensive à la vie. Donc une éducation comme parcours de formation de l’identité humaine qui vise à apprendre aux jeunes un rapport avec la réalité intégrale, pour l’épanouissement de la personne humaine et pour un développement durable, intégrale et solidaire d’une société globale, qui accueille et valorise les différentes cultures dont notre planète est riche. Donc, il s’agit d’éducation et non seulement d’instruction. En effet, « l’éducation n’est pas seulement connaissance, elle est aussi expérience. Elle relie savoir et agir, instaure l’unité des savoirs et en recherche la cohérence. Elle comprend le domaine affectif et émotionnel, elle a aussi une dimension éthique : savoir faire et savoir ce que l’on veut faire, oser transformer la société et le monde, et servir la communauté » .
Cependant, nos travaux ne seront pas limités à une réflexion à plusieurs voix sur l’éducation, si remarquable qu’en soit la qualité. Je suis sûr que l’on débouchera sur des recommandations concrètes à proposer pour orienter l’action de tous les sujets éducatifs, des décideurs, des gouvernements et de la communauté internationale.
Aujourd’hui nous aurons l’occasion d’approfondir – de plusieurs points de vue – une théorie et une pratique de l’éducation et son futur, à partir d’une sérieuse analyse de l’éducation actuelle. Donc, en guise d’introduction, permettez-moi de vous proposer les quelques éléments de base, à mon avis primordiaux, qu’il faudrait tenir toujours à l’esprit pendant cette journée de réflexion partagée. Bien sûr, je fais ça en syntonie avec Mme Irina Bokova, Directrice Générale de l’UNESCO et S. Em. le Card. Zenon Grocholewski. Une salutation déférente et amicale j’adresse en particulier à Mr Hao Ping, Président de la Conférence Générale de l’UNESCO, et à S. Em. le Card. Pietro Parolin, Secrétaire d’Etat de Sa Sainteté, qui avec leur présence et leurs propos honorent notre rencontre d’une façon très forte et profonde.
A ce regard, je pense qu’il soit utile rappeler ce que Jacques Maritain écrivait dans son livre Pour une philosophie de l’éducation. Déjà vers la moitié du siècle passé, ce grand philosophe signalait le danger d’oublier la fin, le but de l’éducation et de donner toute l’attention aux moyens : « Si les moyen sont aimés et cultivés pour leur propre perfection, et non pas comme moyens seulement, dans cette mesure même ils cessent de mener à la fin, et l’art perd sa vertu pratique ; son efficience vitale est remplacée par un processus de multiplication à l’infini…Le perfectionnement scientifique des moyen et des méthodes pédagogique est en lui-même un progrès évident. Mais plus il prend d’importance, plus il exige un renforcement parallèle de la sagesse pratique et de la poussé dynamique vers le but à atteindre » « La but de l’éducation est d’aider et de guider l’enfant vers son accomplissement humain ».
Je me permets de compléter cette définition avec Saint Thomas d’Aquin, Dante Alighieri et le P. Josef Andreas Jungman, SJ.
Comme une seconde génération, c’est-à-dire comme génération spirituelle (cf. Thomas d’Aquin) Par conséquent, l’éducation comme prolongation de la génération doit viser le perfectionnement de l’homme par la vertu et la connaissance (cf. Dante Alighieri).
Comme ouverture à l’Infini (Dante Alighieri), à l’Autre et à l’autre, à travers une rencontre, comme aussi André Gide écrivit dans son roman « Symphonie pastorale », où il parle d’un pauvre jeune bergère aveugle, sourde et, donc, muette qui prend conscience de sa valeur dans la rencontre avec un pasteur protestante qui prend soin d’elle.
Comme introduction à la réalité totale (Jungmann, SJ)). Je m’explique avec un exemple personnel. Quand j‘étais petit je désirais être comme mon père. Pourquoi ? Parce que je pressentais que mon père, même s’il était un simple ouvrier (en effet il n’est pas nécessaire être des érudits pour être père, il faut être experts c’est-à-dire expérimentés de la vie. Il connaissait les choses qui est important connaitre dans la vie. Il avait une connaissance de ce qui est bien et de ce qui est mal, de la vérité et de le mensonge, de la joie et de la douleur, de la vie et de la mort. C’est-à-dire, sans discours et sans homélies il m’introduisait à un sens positif de tous les aspects de l’existence. Il était un témoignage vivent d’une Vérité connue et expérimentée dans la vie quotidienne. Si l’éducation, comme Jungmann affirme, est introduction à la réalité totale, c’est à dire à la réalité jusqu’à l’affirmation de sa signification. Et bien, mon père faisait exactement ça. Et c’est ça qui manque aux jeunes aujourd’hui: ils grandissent sans que l’on leur offre cet “hypothèse d’explication de la vie et, donc, ils sont peureux, parce que ils se trouvent face à tout indécis et tristes et par conséquence violents.
D’où la nécessité de l’éducation comme communication de sens (dans son triple sens : direction, signification, gout de la vie).
Par conséquent, l’éducation doit être avant tout transmission du sens de la vie et, après, véhicule de connaissance du savoir et des savoirs, de la diversité culturelle: on ne respecte véritablement que ce qu’on connaît, et ce qu’on connaît cesse d’être considéré comme « barbare ». Cette éducation, qui rend la personne apte à valoriser la diversité culturelle, est donc une éducation à la paix, à la reconnaissance, au respect jusqu’à l’accueil de l’autre
comme don, richesse, complémentarité.
Mais il y a aussi l’éducation dans le sens du droit de la personne et de la communauté à recevoir – ou à s’impartir – une éducation selon sa propre appartenance culturelle, linguistique et religieuse, sa propre tradition. On ne peut pas aller vers l’autre si l’on ne part pas d’un « chez soi », si l’on n’a pas la possibilité de former sa propre identité culturelle, selon ses propres convictions et valeurs. Il faut éduquer constamment à rencontrer la liberté de l’autre, qui nous enrichit par ce qu’il est et les valeurs qu’il porte en lui, qu’il exprime.
Une ultérieure perspective concerne l’implication éducative et éthique de la culture. Ce qui lie intimement les deux phénomènes de la culture et de l’éducation est le commun procès du devenir hommes. En effet le principe dynamique de l’éducation est le même de celui de la culture, c’est-à-dire la croissance intérieure de l’humanité de l’homme, le devenir plus homme et l’être de plus, non pas seulement « avec les autre », mais aussi être « pour les autres » .
Eduquer est aussi montrer comment une culture a accueilli une autre, comment elle s’est enrichie grâce à la rencontre avec une autre culture par une fécondation réciproque, par une purification des éléments négatifs (par ex, les éléments déshumanisants et qui vont contre les droits de l’homme). Donc je me permets de rappeler et de soutenir une conception dynamique de la culture avec une conséquente interaction entre les différentes cultures, à travers la formation d’une capacité de critique et de vérification.
Mais il ne faut pas oublier que la culture n’a pas seulement une vocation éducative, mais aussi une intrinsèque valeur morale. Il n’y a aucun doute –affirme Jean Paul II à l’UNESCO – que « la dimension première et fondamentale est l’homme spirituellement mur, c’est-à-dire l’homme capable d’éduquer soi-même et d’éduquer les autres » . L’idée forte est, donc, que la première et fondamentale tâche de la culture est l’éducation et l’éducation morale, parce que la moralité émane avant tout de la culture. Pour y arriver, il me semble incontournable d’avoir une éducation religieuse et de ne pas oublier qu’il y a une dimension religieuse de l’éducation. En effet, la dimension religieuse est intrinsèque au fait culturel, elle concourt à la formation global et permet de transformer la connaissance en sagesse de vie.
Donc, nous sommes là dans un chantier ouvert, parce que l’éducation doit être un événement, une approche systématique qui aide à vivre l’éducation comme rencontre dialogique avec d’autre personnes (du passé et du présent) et d’autres cultures, et pas uniquement comme instruction et comme apprentissage des données figées.
Il s’agit d’un chantier critique, car il implique une approche avec des critère quant à la sélection des savoirs enseignés et aux rapports à ces savoirs. Les diverses disciplines ne présentent pas seulement des connaissances à acquérir mais des valeurs à assimiler et des vérités à découvrir.
Il est aussi un chantier nécessaire : le courant de réflexion sur l’éducation intégrale prend en charge spécialement la contradiction, patente dans la vie politique mais peu pensée en éducation, entre, d’un côté, les tensions identitaires, les discriminations et, de l’autre, les valeurs de la communion à l’intérieur du corps social et politique.
Donc, cette éducation intégrale, qui est l’accès de l’homme à sa plein humanité, est une voie exigeante mais nécessaire. Elle est « une nécessité primordiale pour la lutte contre la pauvreté » afin que l’économie soit à service de l’homme. L’Education est une priorité, mais elle doit être intégrale parce que « une information technique et scientifique n’est pas suffisante pour éduquer des femmes et des hommes responsables dans leur famille et à tous les échelons de la Société ».
En bref :
Education intégrale
Éduquer ne signifie pas seulement donner des informations, inculquer des connaissances, mais former aux principes d’une culture en mesure d’humaniser davantage l’homme. Donc, il ne faut pas éduquer pour pouvoir ou pour servir (c’est toujours une vision instrumentale de l’éducation) à quelque chose, mais à quelqu’un, éduquer est donner pas seulement des raisons pour vivre, mais pour qui vivre.
A mon avis, l’éducation avant d’etre un devoir, une tache à accomplir est un évènement qui surprend, à la lettre “qui prend le dessus”, qui arrache la vie de l’initiative propre et oblige à se poser non pas la question “que faire”, mais « qui suis-je », « qui est le fils, le jeune en face a moi ». Avant tout, il faut se poser le problème de comprendre, de comprendre l’enjeu dans la relation éducative et comprendre les fils devant nous.
Avec cette proposition, je voudrais souligner le lien très étroit qui existe entre la culture et l’éducation. Le saint Jean-Paul II l’a clairement explicité dans un de ses célèbres discours: « La tâche première et essentielle de la culture en général, et aussi de toute culture, est l’éducation. L’éducation consiste en effet à ce que l’homme devienne toujours plus homme, qu’il puisse “être” davantage et pas seulement qu’il puisse “avoir” davantage, et que par conséquent, à travers tout ce qu’il “a”, tout ce qu’il “possède”, il sache de plus en plus pleinement “être” homme» (Jean Paul II, Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, n° 11). Etre homme ouvert à la réalité comme le pape François affirme : « J’aime l’école, et donc l’éducation, parce qu’elle est synonyme d’ouverture à la réalité, ou –au moins – ainsi elle devrait être: aller à l’école signifie ouvrir l’esprit et le cœur à la réalité, l’école nous apprend à comprendre la réalité dans la richesse de ses aspects, dans ses dimensions » (10 mai 2014).
Maîtres c’est-à-dire père/mère et témoins.
Chaque culture et l’éducation sont transmises par des témoins (Cfr. Benoit XVI, 8 janvier 2012) : les parents, d’abord, et avec eux les instituteurs et les professeurs : les maitres.
Il me paraît important d’insister sur cette idée de témoignage qui est intrinsèque à l’idée d’éducation et de culture (paideia) dans le sens de la transmission à travers les générations, et qui implique l’idée forte que chaque culture est faite de valeurs fondamentales et d’une dimension éthique. Dimension éthique qui, toujours ancrée dans un moment historique précis, néanmoins décline et conjugue la vocation universaliste de chaque conscience humaine.
Il n’est pas suffisant proposer des notions et des valeurs. Pour transmettre les valeurs, il n’est pas suffisant les faire connaitre, mais il faut aider les jeunes à en e faire l’expérience. Pour enseigner « Comme l’homme devient éternel » (Dante, Divina Commedia, Inferno, XV, 84). il faut trainer à une comparaison, entre l’élève et le maitre qui éduque en témoignant son sens de la vie. Eduquer implique une relation qui est une relation dans la communauté e pour la communauté.
Le maitre est une personne adulte, c’est-à-dire complète, qui aide les autres à devenir des personnes complètes. Cette relation dans et pour la communauté, la relation maitre-élève est une relation à trois : maitre, élève et la vérité-réalité.
Chercher la Vérité à travers le chemin parmi tant de vérités partielles, chercher l’infini à travers le fini, chercher l’Eternel à travers le temporel, il me semble le chemin éducatif que chaque être humain sent le devoir d’accomplir.
Le maitre plus que tra
nsmettre des vérités, des informations qui sont en fonction d’un système globale, doit enseigner à « penser et à raisonner d’une façon globale (globalité pas seulement géographique (horizontale), mais aussi historique (verticale). Alors le jeune pourra parcourir « da solo » le chemin vers la découverte de ce qui doit enrichir son esprit et remplir son cœur avec une sagesse capable “étonnement”. Qui est selon les paroles des grands Maitres (d’Aristote jusqu’aujourd’hui) est la racine de toute connaissance. Qui n’a pas cette sagesse condamnera soi-même à une médiocrité répétitive. Globale doit être le regard sur le monde, pour ne pas morceler la réalité, pour ne pas seulement l’analyser mais aussi la comprendre, parce que si l’on ne la comprend pas, on ne peut pas l’aimer
Tradition interculturelle (horizontale ou géographique et verticale ou historique).
L’éducation a des racines culturelles chaque fois particulières, transmission d’un héritage cumulé par des générations d’ancêtres ; mais en même temps elle est œuvre critique, éveil de la conscience, processus maïeutique… le maître authentique est celui qui réveille la vérité qui s’abrite dans l’esprit de son élève, qui l’aide à découvrir et à « reconstruire » le monde, qui lui fournit les instruments pour respecter mais aussi pour vérifier les savoirs.
L’éducateur est donc par son essence un opérateur interculturel, parce que les expériences de chaque élève ou étudiant sont très différentes. De plus, dans la rencontre avec l’autre, l’échange est toujours une confrontation, une comparaison culturelle. Cette dimension d’échange qui est au centre de chaque véritable expérience pédagogique doit attirer notre attention sur le fait que la vraie relation interculturelle ne se joue pas entre les cultures considérées comme des identités culturelles collectives, comme des structures facilement identifiables et homogènes – il faudra un jour en finir avec cette mystification du concept de culture, qui est à la base de chaque théorie plus ou moins naïve sur le choc des civilisations !! – Non, les relations interculturelles sont toujours des relations entre des personnes qui se réfèrent à une ou plusieurs appartenances culturelles. Chaque autre, même le plus proche, est un autre culturel par rapport à moi, un étranger (Levinas), sans qu’il ait nécessité tout de suite d’incommoder la notion d’immigré ou d’émigré. Chacun de nous est, à la limite et sous certains aspects, toujours un peu étranger, même dans sa propre patrie et sa propre culture… En fin de compte, « étrangers à nous mêmes » (Kristeva), nous traversons ce monde sans vraiment y appartenir.
Si nous n’appartenons jamais complètement à une culture ou à une « ethnie » donnée, c’est parce qu’une dimension de verticalité, de transcendance (J. Wahl) nous traverse et nous habite. Pour une éducation intégrale, intégrante mais surtout libératrice il faut, à mon sens, ne pas oublier la dimension religieuse de l’éducation, parce que, si « éduquer est introduire à la réalité totale » (P. Jungman, SJ), on ne peut pas le faire sans présenter le fait religieux, sans aider à répondre au sens de la vie. En effet, la crise éducative tire son origine précisément du renoncement à la dimension sapientiale et religieuse de la connaissance, qui a à cœur le développement harmonieux et intégral de l’« être » de l’homme.
Cette crise se répercute sur le système éducatif, avant tout sur l’université, qui depuis son « invention » a été parmi les protagonistes de la transmission de la culture et de sa croissance. Plongée depuis longtemps dans une crise qui n’est pas d’abord une crise de type organisationnel ou institutionnel, mais spirituel et culturel, elle laisse espace à la fragmentation du savoir et à la partialité et au caractère contradictoire du relativisme culturel. Pour une éducation unitaire, intégrale et intégrante il faudrait travailler, d’une façon cohérente, pour une unité idéale du savoir.