Italie : le card. Dalla Costa sauve des centaines de juifs à Florence (II/II)

Un « Juste » et ses complices, face à la persécution de la communauté juive

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Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, jeudi 29 novembre 2012 (ZENIT.org) – A l’automne 1943, lors des rafles anti-juives à Florence, de nombreux monastères ouvrirent grand leurs portes, sur les directives du cardinal Dalla Costa, archevêque de Florence, pour cacher les juifs persécutés.

Mort en 1961, le cardinal Elia Dalla Costa a été reconnu le 26 novembre 2012 comme « Juste parmi les Nations » par le mémorial de l’Holocauste de Yad Vashem, à Jérusalem, pour avoir sauvé des centaines de juifs.

L’Osservatore Romano en italien du 27 novembre publie ce récit de Giovanni Preziosi qui rappelle ces événements dramatiques.

***

Bien qu’encore fatiguées par leur long voyage, la femme de Levi et sa fille Sara décidèrent donc de rejoindre immédiatement leurs parents mais, comme don Grandi ne pouvait pas les héberger, d’un commun accord, ils retournèrent tous à Quadalto. « Que faire ? », se demandaient les sœurs, « Les laisser dehors ? Les renvoyer sur la route avec le risque qu’ils soient découverts et arrêtés ? Ou pire, qu’ils soient envoyés dans un camp de concentration ? On raconte des faits atroces qui sont arrivés à ces pauvres misérables. Il est facile de les découvrir parce qu’il suffit qu’ils fassent voir leur carte d’identité et leur prénom les accuse. Après avoir bien considéré la situation, notre Mère générale, pleine de confiance dans la Vierge Marie, les logea tous et les cacha dans deux chambres au second étage de l’hôtellerie ».

Le 28 octobre 1943, les Servantes de Marie cachèrent aussi, pendant quelques jours, deux officiers anglais qui se dirigeaient vers Ancône (où ils espéraient s’embarquer pour Bari), après avoir réussi à s’évader d’un camp de réfugiés, avec l’aide du fils de la comtesse Strigelli, Franco. Le 31 octobre, avant même qu’ils aient eu le temps de saluer les officiers anglais, survint l’archiprêtre de Lagosanto, don Giuseppe Folegatti, contraint à fuir parce qu’il était considéré comme un soutien de la brigade M. Babini, et donc accusé d’antifascisme. « Il raconte une histoire douloureuse », lit-on dans les chroniques du monastère, « le 24 de ce mois, le « Fédéral » de Ferrare (Igino Ghisellini) était venu le trouver au presbytère et lui avait dit que, s’il n’avait pas fait de propagande fasciste et germanophile dans la semaine, ce serait trop tard pour lui et il n’aurait plus le temps de se rattraper. Sa conscience se rebella devant une telle proposition et il dit sans hésiter qu’il ne pouvait pas accepter. Le dimanche 31, je viendrai de nouveau, avait ajouté le Fédéral, et je ferai alors ce qui sera de mon devoir ».

Contraint à faire disparaître ses propres traces, avec le consentement  de son évêque, Mgr Paolo Babini, don Giuseppe Folegatti décida de se réfugier à Quadalto, au sanctuaire de Santa Maria della Neve.

Entretemps, le 14 novembre, alors que les nazi-fascistes avaient déclenché à Florence la première vague de rafles, à l’improviste, vers minuit, les sœurs furent réveillées en sursaut par quelqu’un qui carillonnait à la porte. Non sans inquiétude elles se précipitèrent à la fenêtre où elles parvinrent à distinguer un homme et une femme assez agités qui leur demandèrent : « Le professeur Levi est ici avec sa famille ? » « Nous ne connaissons pas le professeur Levi ; et il n’y a aucune personne étrangère dans le monastère », répondit sœur Teresa Serantoni en coupant court. « N’ayez pas peur, ma bonne religieuse, ouvrez-nous », répliqua le mystérieux interlocuteur : « Je suis le frère du professeur Levi et voici ma fille ». Nous avons la certitude que mon frère est ici avec sa famille ». Entretemps, entendant chuchoter, la famille du vieux lettré s’était approchée pour chercher à comprendre ce qui se passait. Dès qu’ils eurent compris de qui il s’agissait, ils firent un signe aux sœurs pour confirmer que ce qu’ils disaient était vrai, priant la mère supérieure de les héberger eux aussi dans le monastère.

Cette fois encore, sœur Teresa accepta de bon gré bien que, comme le souligne l’auteur de la chronique, cette affaire ait commencé à prendre une tournure préoccupante, étant donné qu’à « Florence, une chasse sans pitié était lancée contre les juifs et quelqu’un avait pu voir ces deux personnes descendre du Courrier de Palazzuolo et venir chez nous. (…) Nous sommes très préoccupées pour cette famille persécutée qui pourrait être découvertes d’un moment à l’autre, continue la religieuse, et nous sommes aussi très préoccupées pour notre Mère générale ; il suffirait qu’ils l’arrêtent pour qu’elle meure car elle est très malade et son état physique très faible ne supporterait pas un voyage en camion et l’enfermement dans une prison ».

Le sinistre présage se concrétisa quelques jours plus tard, le 17 novembre, lorsqu’un espion fasciste, le maréchal des carabiniers Mariottini, se présenta au monastère. Il dit à la mère générale sur un ton intimidateur : « Des bruits courent dans le pays que vous logez une famille de juifs ». Sans la moindre hésitation, sur un ton ferme et péremptoire, sœur Teresa répliqua : « Je n’ai personne au monastère. Venez donc explorer le monastère et vous serez convaincu de ce que j’affirme ». « Je vous avertis, répondit l’homme, que si cela s’avérait exact, vous mettriez votre vie en grand danger, parce que les lois en vigueur sont très sévères sur ce point ».

Dès qu’elle vit que le sous-officier, visiblement irrité, avait quitté le monastère, la religieuse intrépide se précipita auprès de Levi pour l’exhorter à faire rapidement ses valises : ce lieu ne garantissait plus désormais aucune sécurité. Voici ce que rapporte la rédactrice angoissée des chroniques : « Il pleut. Le seul chemin possible est de passer par Lozzole pour arriver à Marradi. La route de Lozzole est dangereuse dans une telle obscurité, avec la pluie qui a rendu le sentier glissant. Le professeur est vieux et fatigué et l’une de ses filles a de la fièvre. Ils décident de partir en laissant ici l’épouse du professeur qui est malade et incapable de faire toute cette route à pied. La séparation est très douloureuse, tout le monde pleure ».

Quoi qu’il en soit, cette nuit-là, en grimpant par les sentiers de montage sous une pluie battante, ils réussirent à rejoindre Marradi dans les premières heures de la matinée, pour y trouver une cachette sûre aux alentours de Florence. Eugenia et Sara furent, en effet, hébergées dans un monastère de sœurs, tandis que « le professeur était caché dans l’Hospice des vieux mendiants à Florence. L’autre maison des Servantes de Marie de Coverciano-Florence, dirigée par la mère supérieure, sœur Candida Resta, mit aussi tout en œuvre pour chercher, à travers cette œuvre de charité, à atténuer « la haine aveugle, implacable, sans discrimination » et la longue traînée de sang que laissait dans son sillage l’atroce vengeance des nazi-fascistes. « Les jours du doux mois de septembre florentin furent tragiques, et l’automne 1943 fut tout aussi douloureux. (…) Ainsi, par ces portes toujours courageusement et fraternellement ouvertes, passèrent des hommes fuyant les rafles aveugles : des soldats ayant échappé aux déportations, des hommes politiques compromis et traqués dans une horrible soif de vengeance, des juifs persécutés sans relâche, des âmes en peine cherchant à fuir, des rescapés terrorisés par les bombardements, des jeunes refusant de porter un uniforme qui les aurait mis au service de l’ennemi et des fascistes fratricides, de vieilles Anglaises et Américaines malades ou infirmes, destinées aux camps de concentration, des innocents
menacés d’horribles représailles. (…) La douce Maison (…) accueillit, secourut, réconforta, hébergea, avec un calme imperturbable, consciente mais insouciante du danger auquel toute forme de pitié exposait, à cette triste époque. (…) Les portes secourables continuèrent ainsi à rester ouvertes, dans la confiance, et aucune restriction ne fut imposée, pas même aux hôtes les plus suspects et les plus activement recherchés. »

A trois heures du matin, le 27 novembre 1943, après avoir arrêté les membres du Comité d’assistance judéo-chrétien au siège florentin de l’Action catholique, au numéro 2 de la via de’ Pucci, une autre patrouille d’une trentaine de SS, assistés de miliciens fascistes, sur dénonciation du secrétaire de Joseph Ziegler (un certain Marco Ischio), donnèrent libre cours à leur violence et n’épargnèrent même pas les lieux sacrés où ils étaient convaincus de débusquer les juifs cachés avec la complicité des religieuses.

La razzia la plus atroce se révéla précisément être celle qui eut lieu au couvent des sœurs franciscaines missionnaires de Marie, Piazza del Carmine, à l’époque sous l’autorité d’une jeune mère supérieure, sœur Sandra (au siècle Ester Busnelli), qui, accueillant l’invitation du cardinal Dalla Costa, avait ouvert tout grand les portes du couvent à une cinquantaine de femmes, presque toutes des réfugiées juives, avec leurs enfants, parmi lesquelles la femme du grand rabbin de Gênes, Wanda Abenaim Pacifici et ses fils Emanuele et Raffaele. « Les juives qui étaient dans le salon sont prises comme des rats dans un piège, écrit la sœur dans les chroniques, et elles ne se remettent pas de leur surprise. (…) Une jeune fille (Lea Lowenwirth-Reuveni) tente de fuir en sautant par la fenêtre mais elle est aussitôt rejointe par un SS ». En fait, entretemps, dès que la responsable du pensionnat, sœur Emma Luisa, avait entendu sonner à la porte, elle avait tenté « de faire s’enfuir quelques-unes d’entre elles par une porte secrète de la clôture qu’elles connaissaient déjà. Malheureusement, elles n’arrivent pas à temps et elles sont prises ».

Les femmes juives arrêtées par les Allemands furent gardées prisonnières dans le couvent avec leurs enfants pendant quatre jours d’affilée, confiées à la garde des fascistes du tristement célèbre Département des services spéciaux, plus connu sous le nom de Banda Carità ; dans la matinée du 30 novembre, ils se laissèrent aller à toutes sortes d’abus et de sévices à tel point que, « pour avoir les deux ou trois filles auxquelles ils prétendaient (…), il y eut une femme (…) qui, pour sauver les jeunes filles, offrit de se livrer elle-même à ces fascistes ; ils abusèrent d’elle dans un coin de la pièce (…) mais aucune d’entre elles ne fut libérée ». En fait, elles furent d’abord enfermées dans les prisons de Florence, puis transférées à Vérone avant d’être déportées vers le camp d’Auschwitz-Birkenau d’où, hélas, elles ne revinrent jamais.

(La traduction de la première partie de ce récit a été publiée mardi dernier, 27 novembre 2012)

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ZENIT Staff

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