Liban : reconstruire l'unité et soutenir les chrétiens du Moyen-Orient

Par le patriarche maronite, le card. Béchara Boutros Raï

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Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, mardi 27 novembre 2012 (ZENIT.org) – Au Liban, « le défi essentiel est de reconstruire l’unité intérieure », déclare le patriarche Béchara Boutros Raï. Il faut ensuite « soutenir nos frères chrétiens du Moyen-Orient », confie-t-il à Radio Vatican dans cet entretien.

Le 77èmepatriarche d’Antioche et de tout l’Orient des maronites a été créé cardinal par Benoît XVI lors du Consistoire du 24 novembre.

Comment avez-vous reçu la nouvelle de votre cardinalat ?

Card. Béchara Raï – Avec une très grande joie et beaucoup de gratitude envers le Saint-Père qui a voulu faire ce geste pour le Liban et pour l’Eglise qui est au Liban. Je m’efforcerai, comme l’a souhaité le Saint-Père, d’aider à faire grandir ma communauté ecclésiale dans la communion et le témoignage. La nouvelle a été accueillie par tout le monde – à l’intérieur du Liban comme à l’extérieur du pays – avec un grand enthousiasme, et elle a été interprétée comme un soutien à l’Eglise en cette période très critique pour le Liban et le Moyen-Orient. Il est prévu qu’au moins cinq cents personnes viennent du Liban et d’autres viendront d’autres pays pour exprimer leur joie et aussi leur gratitude envers le Saint-Père. Le pèlerinage sera guidé par le président de la République libanaise qui viendra pour remercier le Saint-Père.

Je considère l’élévation au cardinalat comme un nouvel encouragement à l’apostolat que nous pouvons développer dans l’Eglise du Liban et dans celles du Moyen-Orient. Et nous espérons pouvoir aller de l’avant. Cet enthousiasme n’a pas été seulement exprimé par les chrétiens, mais aussi par les musulmans : il y aura aussi beaucoup de musulmans : toutes les communautés seront présentes ainsi que toutes les factions politiques, pour montrer combien le tissu social libanais est compact. Malheureusement, la politique est autre chose. Le Liban subit les crises de la région avec leurs implications internationales, non sans problèmes internes. C’est pourquoi c’est un moment de joie et de reprise.

A votre retour au Liban, quels seront les défis majeurs que vous devrez affronter ?

J’ai choisi, comme devise pour mon patriarcat, « Communion et amour », parce que notre société libanaise et moyen-orientale a besoin d’être plus unie. Communion avec Dieu, union entre toutes les personnes. Nous avons de plus en plus besoin de communion et d’amour parce que nous vivons de nombreux conflits, beaucoup de divisions politiques. La vie sociale entre Libanais musulmans et chrétiens des différents groupes et des différentes factions politiques se passe très bien. Mais quand la politique s’en mêle, elle divise, crée des conflits, un manque de confiance, et cela influe beaucoup sur la vie publique parce que les institutions sont paralysées. Nous avons un grand problème économique et social dû à la crise politique. Le défi essentiel est donc d’aller de l’avant, de recréer, de reconstruire l’unité intérieure et ensuite de soutenir nos frères chrétiens du Moyen-Orient en créant des liens plus forts avec les musulmans, pour alléger un peu les tensions causées par les radicaux et par les fondamentalistes. Voilà les principaux problèmes que nous voulons affronter.

Il a parfois été question de créer au Liban un Etat qui ne considère pas la religion, non confessionnel. Cela pourrait-il fonctionner ?

Non, c’est impossible. Le Liban se caractérise déjà par la séparation entre la religion et l’Etat. La seule chose c’est que ce ne sont pas les partis qui sont représentés dans le gouvernement, mais les représentations des confessions religieuses, en fonction de leur nombre : c’est ce que l’on appelle le « pacte libanais ». Nous vivons dans un monde musulman qui ne sépare jamais la religion de l’Etat : pour eux, la religion est tout.

Et le Liban, dans un environnement comme celui-ci, profondément religieux, théocratique, islamique, a réalisé cette séparation. Les musulmans libanais ont donc dû renoncer à leur tendance théocratique et les chrétiens ont renoncé à la laïcité au sens occidental du terme. Par conséquent, le Liban est un pays qui sépare la religion et l’Etat, et tout le monde participe à la vie publique en fonction de la représentation confessionnelle. Ce n’est pas mal : le problème est que la politique régionale est une politique islamiste et qu’elle influe donc sur nous, ce qui divise les Libanais.

Nous voyons, en effet, les grands conflits au Moyen-Orient…

Oui, maintenant, par exemple, le grand conflit au Moyen-Orient est entre les sunnites et les chiites : vous entendez parler de réformes, de démocratie, de guerres… Non, le problème est un grand conflit sunnite-chiite au niveau régional, avec des alliances et des répercussions internationales. C’est ce conflit que subit le Liban. Actuellement, au Liban, le conflit se situe entre les musulmans sunnites et les musulmans chiites : c’est un conflit politique.

Le Liban reste un modèle pour les pays voisins ?

Je dirais que, vivant au Moyen-Orient, le Liban offre un exemple, comme le disait Jean-Paul II, non seulement pour l’Orient mais aussi pour l’Occident. Un exemple pour l’Orient où tout est organisé selon un système religieux : dans ce pays, le système n’est pas religieux mais il respecte les religions. Et à l’Occident, il dit la même chose : il peut exister un Etat laïc, qui sépare la religion de l’Etat, mais qui n’ignore pas Dieu pour autant. Le fameux article 9 de la Constitution libanaise, qui est unique en Orient comme en Occident, dit ceci : « En rendant hommage au Très-Haut, le Liban respecte toutes les confessions, reconnaît la liberté de culte et de conscience, ainsi que toutes les libertés publiques, et garantit le respect du statut personnel des différentes communautés ».

Cela signifie que l’Etat libanais, tout en étant laïc et tout en séparant la religion de l’Etat, n’interfère jamais, au niveau législatif, sur des questions de religion ou de mariage ou de liens interpersonnels : il les laisse aux normes confessionnelles. En soi, cela devrait faciliter au mieux la vie sociale et permettre de former une belle mosaïque, tant que la politique n’interfère pas dans la sphère confessionnelle. Pourtant, nous tenons à garder ce système, même si c’est difficile, parce qu’aujourd’hui tout le Moyen-Orient s’oriente vers un radicalisme islamique : c’est ce qui se passe en Egypte et en Syrie, maintenant… Aujourd’hui, ils parlent de la loi islamique, ils veulent tout islamiser : pourquoi ne pouvons-nous pas vivre ensemble, en nous respectant les uns les autres ?

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ZENIT Staff

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