« Le rôle du féminin » chez Teilhard de Chardin

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La relation et la communion sont possibles

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Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, vendredi 23 novembre 2012 (ZENIT.org) – « Teilhard exalte de manière évidente et passionnée le rôle du féminin », explique Annamaria Tassone Bernardi, dans sa conférence intitulée : « Pour une croissance totale de l’humain : « homme et femme, Il les créa ».

La présidente de l’Association italienne Teilhard de Chardin est en effet intervenue au colloque européen consacré au jésuite français qui s’est déroulée à l’Université pontificale grégorienne les 9 et 10 novembre, sur le thème« Une lecture de Pierre Teilhard de Chardin pour une évangélisation renouvelée. A 50 ans du Concile Vatican II ». Un congrès salué par Benoît XVI (cf. Zenit du 13 novembre).

Voici quelques passages de cette intervention publiés en italien par L’Osservatore Romano du 23 novembre 2013 :

« Le thème du féminin est, dans la multiplicité de ceux qui se nouent dans l’œuvre de Teilhard de Chardin, un des plus fascinants.  Dans la réflexion du jésuite français, émerge comment, sous l’aspect évolutif, la sexualité aurait préexisté à l’homme, mais avec lui, elle a acquis une conscience, devenant un instrument, non seulement d’expansion de l’espèce, mais aussi de croissance en conscience et en esprit. Donc, « homme et femme il les créa ». Et il y eut la relation.

« Le don fait à l’homme d’un être qui est son égal et en même temps lui est différent, donne à celui-ci la possibilité d’une relation et d’une communion qui dépasse infiniment l’accouplement matériel. Ainsi Teilhard écrit : « Si fondamentale qu’elle soit, la maternité de la femme n’est quasiment rien par rapport à sa fécondité spirituelle » ; et encore : « la femme fait s’épanouir, sensibilise et révèle à lui-même celui qui l’aimera ». Cela signifie que l’homme se réalise seulement en existant « avec et par quelqu’un ». Le don de la femme par lequel s’ouvre la possibilité de la relation, lui permet de tendre à l’extérieur de soi, de devenir un autre que soi-même ; c’est le début d’un chemin de vie vers une communion pleine, totale, qu’il faut continuellement réaliser et qui est nostalgie de l’unité avec Dieu à laquelle l’être humain est appelé. « L’homme, courbé vers la terre qu’il devait travailler, aurait peut-être perdu de vue le ciel ; et Dieu lui a donné un ami intime, persuasif, aimable, qui devait lui conserver la lumière et le goût du ciel » (Giacomo Alberione).

« Cette interprétation affleure dans la sensibilité de nombreux penseurs. Emmanuel Lévinas, par exemple, souligne combien le rapport entre l’homme et la femme est le modèle primordial de toute altérité. Et Jean-Paul II écrit, dans Mulieris Dignitatem : « La Bible nous convainc du fait que l’on ne peut faire une herméneutique appropriée de l’homme, c’est-à-dire de ce qui est «humain», sans un recours approprié à ce qui est «féminin» ».

« Mais la situation de relation idyllique, établie au commencement, a subi des changements sur le chemin évolutif de l’humanité. Marina Zaoli, dans un essai documenté et fascinant, intitulé Un apport psychologique à la théorie de Pierre Teilhard de Chardin, écrit ceci à propos du premier récit biblique de la création du couple humain : « Dans cette version, les deux êtres créés par Dieu sont encore à un niveau d’égal à égal, ce qui ne sera pas le cas, en revanche, dans la description plus connue de la naissance d’Eve tirée du côté d’Adam (…), il semble vraiment que ces deux pages correspondent à des siècles, sinon à des millénaires d’histoire ». En effet, l’identification des deux rôles, masculin et féminin, de la part de l’être devenu réfléchi n’a pas été automatique et instantanée. Et Zaoli écrit encore : « Avec l’arrivée du patriarche, on a réécrit l’argument [de la création de la femme] en spécifiant mieux le domaine de l’homme et surtout le pouvoir de la création, mis en avant comme s’il appartenait seulement à l’homme ».

« La relation originelle entre l’homme et la femme, tous deux image de Dieu, tous deux d’égale dignité dans leur nécessaire diversité, et très rapidement perturbée et se gâte dans le cours de l’histoire de l’homme. En Genèse 3, 15, nous saisissons la préfiguration de cette ruine : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi ». Nous lisons encore dans Mulieris Dignitatem, qui développe magnifiquement les affirmations sur la dignité de la femme, confirmées par Gaudium et Spes : « Cette «domination» désigne la perturbation et la perte de stabilité de l’égalité fondamentale que possèdent l’homme et la femme dans l’«unité des deux», et cela surtout au détriment de la femme, alors que seule l’égalité qui résulte de la dignité des deux en tant que personnes peut donner aux rapports réciproques le caractère d’une authentique «communion des personnes ». » Teilhard exalte de manière évidente et passionnée le rôle du féminin, se rendant compte que le rapport avec lui dans le temps s’est de plus en plus obscurci, s’éloignant de l’ethos qui, dès le commencement, avait été inscrit dans la réalité de la création pour l’équilibre et l’harmonie de l’humanité. Cherchons à découvrir le rôle substantiel qu’il attribue au féminin, dans le cours évolutif de la vie, au niveau de la conscientisation et de la spiritualisation de l’humanité.

« Dans son texte autobiographique, Le cœur de la matière, Teilhard écrit : « Rien ne s’est jamais développé en moi sinon sous le regard ou sous une influence féminine ». En effet, les femmes ont toujours exercé la fécondité spirituelle et l’on n’a pas manqué d’esprits sensibles, dans les domaines de la littérature et de l’art, pour la mettre en évidence. C’est de Tacite que vient la phrase sur les femmes : il y a en elles quelque chose de divin ; et c’est Béatrice qui conduit Dante jusqu’à la vision béatifique de Dieu, alors que Beethoven construit son Fidelio sur la métaphore de la fidélité de la femme, comme clé de voûte d’une révolution éthique qui désarme la violence et qui porte au triomphe de l’amour. Et même, plus subtilement encore, qui conduit, à travers l’amour, à la liberté qui, incidemment, est exactement ce stade évolutif de plus en plus conscient qui permet la relation avec Dieu. C’est aussi ce que le pasteur Alan Nugent, spécialiste de Teilhard, dans plusieurs de ses interventions et de ses écrits, a montré comme étant, en dernière analyse, le parcours de croissance que Teilhard a voulu mettre en évidence en étudiant « tout le phénomène ».

« Au cours du siècle dernier, alors que, d’un côté, les femmes ont commencé à exiger avec force la reconnaissance de leur rôle, de l’autre côté, dans la sphère ecclésiale, des esprits éminents l’ont reconnu et exalté. Teilhard part toujours d’une réflexion sur le phénomène : ce qui lui fait découvrir le féminin dans toute sa force bouleversante est précisément le regard, le sourire de sa cousine Marguerite. Et les mots avec lesquels il exprime cet événement sont peut-être plus métaphoriques que ceux d’Alberione, bien que très similaires en substance : « Le monde a fait irruption en moi. (…) Sous le regard qui m’avait touché, la coquille sous laquelle sommeillait mon esprit s’est ouverte. Avec l’amour large et pur, une énergie nouvelle a pénétré en moi et m’a fait sentir que j’étais aussi vaste et riche que l’univers ».

« Chez des hommes de Dieu, différents par leur formation et leur personnalité, voici que nous sentons résonner un sentiment commun devant
le mystère féminin : chez le premier, la femme qui entend Dieu et entraîne l’homme vers le bien ; chez le second, l’univers entier qui, à travers la femme, pénètre lui tandis que, par univers il signifie le Tout, avec un T majuscule, vers quoi tout converge. Et dans Mulieris dignitatem, Jean-Paul II exhorte les femmes à garder leurs caractéristiques particulières de grâce et de féminité, observant que « dans la description biblique, l’exclamation du premier homme à la vue de la femme créée (« c’est la chair de ma chair ») est une exclamation d’admiration et d’enchantement, qui a traversé toute l’histoire de l’homme sur la terre ».

« Arrêtons-nous encore à Mulieris dignitatem. Le pape y parcourt tous les épisodes évangéliques où l’on voit Jésus en relation avec les femmes, montrant montre comment, devant ses contemporains, il se fait le promoteur de la véritable dignité des femmes et de la vocation qui correspond à cette dignité.  Ou plutôt, il les choisit comme gardiennes du message évangélique. Les paroles de Jésus, dans les épisodes de la Samaritaine, de Marthe et Marie, de l’hémorroïsse, de la fille de Jaïre, de la veuve de Naïm, de la femme adultère, de la femme cananéenne, sont les moments évangéliques les plus lourds de vérité et d’enseignements. Et puisque le message évangélique est, en dernière analyse, un message d’unité, en se l’appropriant elles se prédisposent à porter à Dieu, qui est Un, l’homme, entendu ici, naturellement, comme individu en général, c’est-à-dire comme élément qui forme l’humanité. Comme l’exprime Gaudium et spes dans son message final, les femmes peuvent « aider l’humanité à ne pas déchoir », à ne pas retomber en arrière, dans le multiple, comme dirait Teilhard. Nous ne nous étonnons donc pas de la définition « le féminin ou bien l’unitif », attribuée par Teilhard à cet éternel féminin sur lequel il a réfléchi et écrit à plusieurs reprises.

« Dans son fameux L’éternel féminin, poème en prose raffiné qui peut être considéré comme un des plus beaux hymnes à l’amour écrit au siècle dernier, notre penseur recourt  au stratagème littéraire de personnifier cet éternel féminin, présent depuis les origines du monde. Il a été, dès le commencement, le « frémissement léger qui a insinué dans les atomes (…) le désir inquiet, inconscient et tenace de sortir de leur solitude nulle et de s’accrocher à quelque chose qui fut extérieur à eux-mêmes ».

« Le féminin coïncide avec la force qui, en traversant tous les êtres, les conduit à la recherche de l’union. Dans l’échelle des désirs des êtres qui évoluent et s’élèvent vers l’esprit, cette forte tendance à l’union agit et, parvenue au niveau de l’être réfléchi, c’est-à-dire à l’homme, elle se révèle être « amour » : la femme, révélant l’amour à l’homme, le met en harmonie avec l’énergie de l’univers. Le cosmos, lieu épiphanique de la présence divine, se révèle « couver » le vrai et l’essentiel, un réel « milieu divin » où a lieu la gestation féminine de l’Un.

« Henri de Lubac, le grand spécialiste de la pensée de Teilhard, qui a fait résonner l’écho de sa pensée au sein du concile Vatican II, écrivait ceci : « Toute l’œuvre teilhardienne peut être vue comme un effort pour saisir dans son essentialité profonde cette réalité multiforme qu’est l’amour, en proposer à nouveau l’histoire et mettre en évidence sons sens. Au-delà de ses différentes phases, Teilhard cherche à en faire découvrir la source originelle, à laquelle il doit retourner, s’agissant d’un amour qui construit physiquement l’univers et, dans sa forme supérieure et purifiée, cette attraction intérieure universelle est destinée à cet amour premier. En définitive, l’énergie essentielle du monde vient de lui et retourne à lui ». »

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ZENIT Staff

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