Maria Clara Bingemer
Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, lundi 19 novembre 2012 Zenit.org) – Le troisième livre de Benoît XVI sur Jésus de Nazareth, consacré à l’enfance de Jésus, est « un texte d’une rare beauté et d’une grande profondeur », déclare Maria Clara Bingemer, professeur de théologie à l’université catholique de Rio de Janeiro.
La théologienne brésilienne est intervenue ce 20 novembre au matin, lors de la conférence de presse organisée par le Vatican à l’occasion de la présentation du livre du pape. L’ouvrage sort demain, 21 novembre, en librairie, en 9 langues et dans 50 pays, avec un tirage de plus d’un million d’exemplaires.
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C’est avec une grande joie que l’Eglise reçoit aujourd’hui le livre de Sa Sainteté Benoît XVI sur l’enfance de Jésus. C’est un texte d’une rare beauté et d’une grande profondeur, qui unit magnifiquement la rigueur intellectuelle et l’érudition incontestable de l’auteur à un style raffiné d’une grande spiritualité. Le livre du pape est une méditation théologique. Personne ne pourra le lire sans entrer dans le rythme de prière qui le traverse du début à la fin et qui invite à contempler le mystère de Jésus de Nazareth, fils de Marie et fils de Dieu, sauveur et rédempteur du monde.
Le temps liturgique de l’Avent qui va commencer en préparation de la fête de Noël sera grandement enrichi par sa lecture. Dans le préambule, le Saint-Père affirme qu’il ne suffit pas de laisser le texte dans le passé, en l’archivant parmi les événements qui ont eu lieu il y a longtemps. L’intention de l’auteur est de conduire le lecteur vers une actualisation du message de salut que les évangiles de l’enfance du Christ portent et révèlent. Chacun et chacune de nous est appelé à se laisser toucher par la méditation que le pasteur offre à l’Eglise en cette occasion.
En tant que lectrice, ayant cherché à lire ce texte avec le cœur et les oreilles ouverts pour écouter et recevoir le message qu’il contient, je voudrais présenter les points qui m’ont touchée de plus près.
Le thème de l’origine de Jésus, la question de sa provenance, tisse un lien harmonieux et indissoluble avec la révélation faite à Israël et dont Jésus est le sommet. Le pape démontre ainsi avec clarté l’importance de la Bible hébraïque et du peuple d’Israël au sein duquel est né le sauveur. Tout le déroulement du mystère de l’incarnation, de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus de Nazareth arrive dans la continuité de la révélation faite au peuple de Dieu à travers la bouche des prophètes, et qui s’exprime dans l’attente du Messie.
D’autre part, le texte démontre que la généalogie de Jésus présente un nouveau commencement avec Marie, en qui se termine et est relativisée toute la généalogie. En elle, la fidélité à la foi de son peuple et la nouveauté radicale dont elle est la protagoniste s’intègrent et se complètent. Marie, l’humble jeune fille de Nazareth, promise à un homme juste, Joseph, est donc celle en qui advient un nouveau commencement pour l’humanité. Nouvelle Eve, c’est en elle que le fait d’être une personne humaine recommence dans un mode nouveau. La racine ultime et définitive de celui qui incarne la présence de Dieu dans le monde se trouve en haut, en Dieu qui est à l’origine de tout être, et aussi dans le corps fécond de Marie de Nazareth.
Le livre ouvre ainsi devant le lecteur l’affirmation à la fois belle et surprenante, qu’en Jésus l’humanité recommence. La généalogie décrite dans les évangiles, exprime en effet une promesse qui ne regarde pas seulement la famille ou le peuple dans lequel naîtra Jésus, mais toute l’humanité. Jésus assume en lui-même toute l’humanité, toute l’histoire de l’humanité et il lui donne un nouveau tournant, comme le dit l’auteur, décisif, vers une nouvelle manière d’être une personne humaine. L’origine de Jésus devient donc l’origine de tout homme et de toute femme qui vient au monde. Son origine est notre origine. Et Benoît XVI le réaffirme en actualisant cette affirmation dans l’aujourd’hui de la foi. Notre véritable généalogie est la foi en Jésus qui nous fait naître de Dieu.
Le pape présente l’annonce à Marie en soulignant, dans la personne de la mère de Jésus, les attitudes propres au croyant devant le fait bouleversant de la présence de Dieu qui s’approche et se propose. Elle est la tente vivante de Dieu, à l’intérieur de laquelle il veut demeurer au milieu de l’humanité. C’est à sa liberté de personne, de femme, de croyante que s’adresse la salutation de l’ange qui l’appelle « pleine de grâce » et qui lui dit de se réjouir. Le oui de cette jeune femme résonne, libre et joyeux, et Dieu se fait événement. Benoît XVI décrit en détail et avec des nuances subtiles le cheminement intérieur parcouru par Marie vers ce « oui ». Il s’agit d’une réponse libre et confiante, mais non irrationnelle. Interpellée par l’annonce de l’ange, Marie cherche à comprendre et reste maîtresse d’elle-même. Et cette écoute honnête et obéissante mène au oui inconditionnel de celle qui se déclare la servante du Seigneur.
C’est ici, à mon avis, que se trouve le passage le plus beau du livre dans lequel l’auteur, en suivant la réflexion de Bernard de Clairvaux, souligne le respect que Dieu a pour la liberté humaine : « Il frappe à la porte de Marie, il a besoin de la liberté humaine. En créant la liberté, Dieu, d’une certaine manière, s’est rendu dépendant de l’homme. Son pouvoir est lié au oui non forcé, mais libre, d’une personne humaine. La personne de Marie brille, resplendissante de joie, après avoir répondu un oui à l’invitation d’un Dieu qui ne s’impose pas mais qui s’expose respectueusement à la liberté de sa créature. Marie ne connaît pas l’avenir mais elle connaît son Dieu et n’a pas peur, croyant en la parole de l’ange qui lui a dit « ne crains pas ! » »
Je trouve aussi très important que Benoît XVI, après avoir présenté l’annonce à Marie, donne beaucoup de relief également à l’annonce faite à Joseph. L’homme juste, fidèle, croyant, qui trouve sa joie dans la loi du Seigneur, pour qui la loi devient spontanément évangile, bonne nouvelle, reçoit lui aussi l’annonce de l’ange, dans un songe. Le pape souligne la particularité du parallélisme entre les deux annonces en dépit de leurs différences. A Marie et à Joseph, l’ange dit de ne pas craindre. L’annonce est un don, et un engagement. En l’accueillant, Joseph prendra en charge l’enfant qui naîtra de la femme, et qui ne lui appartient pas. Il l’aimera, le protègera et l’appellera Jésus. Grâce à l’obéissance libre de Marie, soutenue par celle de Joseph, la nouvelle création advient donc dans l’histoire. Evénement universel qui se donne pourtant très concrètement, comme le dit l’auteur, « dans un temps que l’on peut dater de manière exacte, et dans un milieu géographique indiqué précisément ».
Comme vient de le dire le cardinal Ravasi, l’universel et le concret se touchent.
Arrivant au chapitre dans lequel il propose une réflexion sur la naissance de Jésus, le Saint-Père appelle l’attention du lecteur sur le fait que Jésus naît dans un endroit autre, parce qu’il n’y avait pas de place pour lui. C’est pour cette raison que sa mère l’installe dans une mangeoire. Avec une grande sensibilité, Benoît XVI note le parallélisme entre cette absence de place et les paroles du prologue du quatrième évangile : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli ». Et il dit : « pour le Sauveur du monde, pour celui en vue de qui tout a été créé, il n’y a pas de place ».
Le pape souligne ainsi le mystère de la personne de J
ésus, porteur même d’une certaine contradiction : « Il est l’Impuissant qui n’a pas de place et pourtant, c’est lui le véritable puissant. Il se présente comme un enfant sans défense mais le salut du monde entier repose dans cet enfant ».
Dans les pages suivantes qui illustrent la Présentation au Temple, la visite et l’Adoration des mages, la Fuite en Egypte, le retour à Nazareth et surtout l’épisode de Jésus au Temple à l’âge de douze ans, le livre montre bien l’itinéraire de vie de l’enfant qui grandira en sagesse et en grâce. Il est obéissant envers ses parents, mais il n’hésite pas à placer en premier l’obéissance à Dieu qu’il appelle son Père. Ici, l’auteur offre une belle réflexion sur la liberté de Jésus qui n’est pas la liberté de l’esclave émancipé mais celle du fils. En sa personne sont conciliées liberté et obéissance.
Le Saint-Père termine son livre en soulignant la véritable humanité de Jésus : « En tant qu’homme, il ne vit pas dans une bulle omnisciente, mais il est enraciné dans une histoire concrète, dans un lieu et un temps, dans les diverses phases de la vie humaine et il en reçoit la forme concrète de son savoir. Ainsi apparaît ici très clairement qu’il a pensé et appris d’une manière humaine. Le pape nous invite donc, à travers son livre, à ouvrir un espace à celui qui est vrai homme et vrai Dieu, nous préparant à célébrer la grande fête de Noël. Ce libre peut nous aider très profondément à ouvrir en nous cet espace afin que le Sauveur puisse naître et se manifester dans notre monde qui a tant besoin de son Evangile.