Traduction d’Océane Le Gall
ROME, jeudi 8 novembre 2012 (Zenit.org) – « Le dialogue avec les adeptes des religions non chrétiennes est une forme de témoignage de foi, qui doit être respectueuse de l’autre, toujours, et respectueuse de la dignité de sa conscience. C’est un dialogue à pratiquer dans la vérité, qui inclut et accepte la mission, reçue de Jésus-Christ, à prêcher l’Evangile jusqu’à la fin des temps et jusqu’aux limites extrêmes de la terre », explique Mgr Müller.
« L’esprit d’Assise: pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix » : c’est le titre de cette réflexion deMgr Gerhard L. Müller, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi dont nous avons publié le premier volet le 5 novembre, le deuxième volet le 6 novembre, le troisième le 7 novembre.
L’archevêque allemand a en effet donné une conférence à Assise, le 29 octobre 2012, à l’occasion du 26eanniversaire de la Rencontre d’Assise promue par Jean-Paul II pour favoriser la paix entre les religions et grâce aux religions : il avait pris soin de manifester clairement qu’il ne s’agissait pas de syncrétisme, mais d’un dialogue entre les religions, à partir de leurs valeurs fondamentales. Un dialogue auquel Benoît XVI a également invité les non-croyants – toujours sur la base des valeurs humaines fondamentales et de la capacité rationnelle à dialoguer – à se joindre l’an dernier, pour le 25eanniversaire de cette rencontre.
Un dialogue conçu comme « une méthode qui aide à avancer vers la vérité », explique Mgr Müller qui tient à souligner que « pour un chrétien, le respect de la religiosité d’un autre ne signifie pas, et ne saurait signifier un renoncement de sa propre foi ».
Voici notre traduction de l’italien de ce troisième volet.
« L’esprit d’Assise: pèlerins de la vérité, pèlerins de la paix »
(…) La foi n’est pas une position idéologique, qui cherche à s’imposer aux autres par la force. Elle exige une attitude d’ouverture envers l’autre, semblable à celle que l’on a envers Dieu, en y croyant et avec charité. La foi est un don de Dieu, qui exige une adhésion libre et personnelle. L’enseignement sur le caractère personnel de la foi, qui sous-entend une libre disposition et collaboration, est une constante dans l’enseignement de l’Église – du Concile de Trente jusqu’au Concile Vatican II – et c’est précisément là que la liberté religieuse trouve son fondement. Pour cette raison, dans la transmission de la foi, dans l’évangélisation et dans le dialogue interreligieux, l’Eglise exclut toute forme de prosélytisme qui se fonde sur la manipulation et le mensonge, car cela serait manquer de respect envers l’autre et envers son cheminement personnel. Sont d’ailleurs aussi à rejeter les positions de ceux qui nient à Dieu le droit d’offrir le don de la foi selon sa Divine générosité et qui refusent toute sorte de dialogue et collaboration avec les membres d’autres de religions non chrétiennes, ainsi que celles de ceux qui – à l’opposé – tombent dans le relativisme religieux, éclipsant la vérité de la Révélation chrétienne et le rôle unique de Jésus-Christ vis-à-vis des autres religions.
Le dialogue avec les adeptes des religions non chrétiennes est une forme de témoignage de foi, qui doit être respectueuse de l’autre, toujours, et respectueuse de la dignité de sa conscience. C’est un dialogue à pratiquer dans la vérité, qui inclut et accepte la mission, reçue de Jésus-Christ, à prêcher l’Evangile jusqu’à la fin des temps et jusqu’aux limites extrêmes de la terre. Dans le dialogue interreligieux, la dimension missionnaire de l’Eglise ne saurait être interrompue. Comme dans chaque prédication, le dialogue renvoie à deux éléments. Chaque prédication, dialogue et conversation sur la foi ne produiront du fruit que s’ils se fondent sur la grâce de l’Esprit Saint. Cette grâce, quand elle est reçue d’une foi vive, précède l’œuvre du prédicateur, du missionnaire ou de l’homme en dialogue, et elle agit aussi bien en celui qui parle qu’en celui qui écoute. La foi est un don de Dieu, qui permet d’être en contact avec Lui. Celle-ci introduit donc à la vie surnaturelle et peut « provoquer » la fécondité de Dieu lui-même. C’est comme ça que le dialogue devient fructueux. De là dérive aussi le fait – et c’est le second élément – que, dans le dialogue, le chrétien est appelé à témoigner du Christ et non de lui-même. Chaque chrétien impliqué dans une conversation liée à la foi, doit « se cacher » spirituellement derrière le Christ, s’appuyer sur sa grâce et non sur lui-même: en ne se promouvant pas lui-même mais Lui seul.
Le chrétien est donc un témoin et non un détenteur de la vérité. Comme le Saint-Père a dit récemment: « Personne ne peut détenir la vérité. C’est la vérité qui nous possède, elle est quelque chose de vivant ! Elle ne nous appartient pas, mais nous sommes saisis par elle. Ce n’est que si nous nous laissons guider et animer par elle, que nous restons en elle, ce n’est que si nous sommes avec elle et en elle, pèlerins de la vérité, qu’elle est alors en nous et pour nous ». Le chrétien est alors un pèlerin, un viator qui marche dans la vérité, bien conscient que celle-ci est un don dans lequel il doit s’enfoncer de plus en plus. Il s’agit d’un parcours personnel, qui évolue dans un cadre communautaire précis, c’est-à-dire dans le contexte plus large de l’Eglise, donnée aux hommes comme « colonne et fondement de la vérité » (1 Tm 3,15).
8. En vivant sa foi dans la vérité, le chrétien n’est pas autorisé à la modifier pour rendre son discours plus acceptable à ceux qui ne croient pas, en l’adaptant peut-être selon des critères subjectifs. Le point de départ d’une théologie chrétienne des religions correcte c’est l’Incarnation du Logos éternel de Dieu: Il s’est fait « chair », « kai o logos sarx egeneto » (Jn 1,14), s’offrant pour le salut de l’homme dans le Mystère pascal. « De sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce pour grâce » (Jn 1,16). Il nous a offert « un nouveau royaume de paix ». En effet, l’Incarnation du Verbe n’est pas une idée, un schéma, une catégorie, mais un événement unique et concret dans l’histoire (cf. He 1,1-2).
Le principe herméneutique offert par le Christ lui-même aux deux disciples sur le chemin d’Emmaüs renvoie au projet éternel du Père: « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24,26). Ce n’est que lorsqu’on accepte avec foi le mystère du Christ Crucifié et Ressuscité, tel qu’Il est, que ce rapport vivant avec le Christ devient lumière et permet de tout interpréter. La sagesse ultime est un don de l’Esprit Saint et elle est donnée à celui qui croit en Jésus-Christ. Tout dialogue, mais surtout le dialogue interreligieux, ne doit donc jamais cacher ce principe fondamental.
Il est bon de rappeler que ce principe fut à la base des rencontres d’Assise. La prière des représentants des différentes religions, réunis en 1986 n’était pas une prière « commune » – qui serait une manifestation de syncrétisme – mais une prière prononcée simultanément. Jean Paul II, à cette occasion, a dit: « Nous irons … à nos lieux de prière séparés … Puis … chaque religion aura de nouveau la possibilité de présenter sa propre prière, l’une après l’autre. Ayant ainsi prié séparément, nous méditerons en silence sur notre propre responsabilité à œuvrer pour la
paix ».
9. La paix est un bien pour lequel tout le monde a de l’estime. Toute l’humanité aspire à la paix. Toutefois, « la paix, de santé si fragile, demande des soins constants et intensifs ». Celle-ci, comme nous enseigne la tradition de la foi, est fruit de la justice mais encore plus de la charité. Les négociations politiques pour la paix, bien que nécessaires, ne peuvent résoudre que quelques problèmes, en établissant des accords et des conventions. La paix authentique, qui surmonte l’injustice, qui aime la vérité et s’ouvre à la solidarité universelle, est un don qui vient d’en haut et qui exige une ouverture à Dieu. Celle-ci se nourrit de relations vivantes avec un Dieu vivant et présent au milieu de nous. Pour nous chrétiens, la paix « porte le nom de Jésus-Christ », d’un Dieu qui est mort sur la Croix pour nous. « La Croix du Christ est pour nous le signe du Dieu qui, à la place de la violence, pose le fait de souffrir avec l’autre et d’aimer avec l’autre. Son nom est ‘Dieu de l’amour et de la paix’ (2 Co 13,11) », nous a rappelé Benoît XVI ici même, à Assise, le 29 octobre 2011.
Dans cette perspective – que le Saint-Père nous a retransmise – nous retrouvons notre point de départ, soit ce message qui est au cœur du témoignage et de la vie de saint François, le poverello d’Assise: dans la Croix du Christ se trouve l’origine et l’accomplissement de la paix, d’une paix authentique. « Je vous laisse ma paix, c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. » (Jn 14,27): c’est ainsi que Jésus nous a appris à aller vers la vraie paix, en offrant sa vie pour nous, avec amour. « Car c’est lui qui est notre paix » (Ep 2,14). En le suivant Lui, nous devenons nous aussi des artisans efficaces de paix et d’unité entre les hommes. En Jésus Christ, crucifié et ressuscité, demeure le don total de l’Esprit Saint, qui est l’Esprit de paix. On puise, et on veut puiser, à cet Esprit à pleines mains, quand on pense à l’ « Esprit d’Assise ». C’est cet esprit de Dieu précisément qui nous invite à regarder avec confiance la Croix du Christ, car là se trouvent le témoignage et l’herméneutique les plus éloquentes de la paix.