P. Pier Giorgio Gianazza, sdb
Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, lundi 24 septembre 2012 (ZENIT.org) – Le concile Vatican II fut un grand mouvement qui entraînait « sur les pas de saint Paul » pour aller « vers tous les hommes de bonne volonté », se souvient le P. Pier Giorgio Gianazza. Invitant à « dépasser les difficultés » et à « accepter les défis que cela impliquait », le pape Paul VI désirait « ouvrir l’Eglise à tous », rappelle-t-il encore.
Arrivé à Rome en 1964, à l’âge de 19 ans, pour poursuivre ses études de philosophie, don Gianazza, sdb, raconte l’enthousiasme avec lequel le jeune séminariste salésien a suivi les événements conciliaires.
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Se retrouver à Rome à 19 ans, quand rien ne vous l’avait fait pressentir, peut donner un nouveau sens à votre vie. Ce fut comme un éclair dans un ciel serein parce qu’étant arrivé comme missionnaire au Liban seulement trois ans auparavant, en 1961, encore au début de ma formation salésienne et de mon cheminement vers le sacerdoce, rien ne pouvait me laisser imaginer ce tournant dans ma vie. Et pourtant, je me souviens bien de cette proposition de l’inspecteur (c’est ainsi que les salésiens appellent le provincial), don Francesco Laconi : « Cela te dirait de poursuivre tes études à Rome, et de te spécialiser en philosophie ? Cela suppose que tu seras à la disposition de tes supérieurs pour faire partie des cadres de la formation de l’inspectorat ».
Ma première réaction intérieure fut de penser aux jeunes : « Je devrais donc laisser l’apostolat dont j’ai tant rêvé, parmi les jeunes ? Et la vie missionnaire, et le don de moi-même aux pauvres… ». « Certainement pas, tu seras aussi disponible pour cela. Mais ton premier devoir sera auprès des candidats à la vie salésienne et au sacerdoce, dans le domaine de l’enseignement et de la formation. Tu te souviens de ce que disait Pie XI : « Se consacrer à la formation des vocations est l’apostolat des apostolats ». Plus ou moins convaincu par ces paroles, je l’étais surtout de l’obéissance que je devais à mes supérieurs, d’autant que je l’avais promise à Jésus par un vœu. L’inspecteur continua : « Tu iras donc à Rome, au PAS (Athénée pontifical salésien ; aujourd’hui l’UPS, Université pontificale salésienne) pour passer ta licence en philosophie. Tu comprends bien qu’aller à Rome et y rester trois ans est un trésor immense, un privilège réservé à un petit nombre. Ce sera une grâce dont tu devras tirer profit et qu’il faudra ensuite faire fructifier.
C’est donc à la sortie de la gare de Termini, au siège du PAS, à l’époque rue Marsala, numéro 42, à Rome, que commença mon aventure romaine comme clerc salésien, étudiant en philosophie, à l’âge de 19 ans. Mon « aventure conciliaire » commençait aussi, parce que mon séjour romain fut fortement marqué par le concile Vatican II.
Mon premier devoir, comme étudiant, concernait mes études de philosophie. Mon premier engagement, en tant que salésien consacré, était celui de cultiver avec soin ma formation et de me préparer à la profession perpétuelle. Aspirant au sacerdoce, je devais tendre en tout à me préparer le mieux possible. Enfin, comme missionnaire, je ne devais pas perdre mes contacts et mon intérêt pour le Moyen-Orient. Je sentais intérieurement que le Seigneur, avec ses voies mystérieuses, m’avait aussi conduit à Rome dans ce but-là. On ne pouvait m’offrir de meilleur environnement, c’était une occasion unique à saisir. La Rome chrétienne exerçait sur moi une fascination particulière. Cœur de l’Eglise catholique, perle du christianisme, siège du pape, glorieuse par le sang des martyrs, comblée du témoignage des saints, centre de pèlerinage, parsemée d’églises… En plus de tous ces dons, la nouveauté et le caractère exceptionnel d’un concile œcuménique, Vatican II, lancé en 1963, juste un an avant mon arrivée.
A Rome, on respirait l’air du concile. Je m’efforçais de me laisser envahir par ce vent qui m’avait touché, un peu comme celui, impétueux, des apôtres au cénacle, embrasés du feu de l’Esprit. Je cherchais à suivre cet événement ecclésial grandiose. Précisément, le PAS, avec toutes ses facultés de l’époque (théologie, droit canon, philosophie et pédagogie), était tout entier concentré dans les bâtiments de l’institut salésien de la rue Marsala. J’avais la chance de pouvoir écouter certains professeurs qui étaient insérés de près dans le monde conciliaire. Ils ne faisaient pas partie des presque 2.600 pères conciliaires, mais ils étaient parmi les experts dans leurs domaines respectifs : théologie, droit canon, liturgie, philosophie… Certains d’entre eux étaient mes professeurs de philosophie, comme don Vincenzo Miano et don Giulio Girardi. D’autres, comme don Emilio Fogliasso et don Armando Cuva, étaient accessibles en dehors de l’école…
C’était un plaisir de se promener avec l’un ou l’autre, en petits groupes, le soir, après le dîner, dans la cour de l’institut, d’entendre de leur propre bouche les thèmes du concile envisagés sous tous leurs aspects, et de recueillir de leur cœur le climat d’espérance, d’ouverture, de dialogue et de renouveau qui se profilait dans l’Eglise. D’autres fois, certaines « bonnes soirées » traditionnelles qui (selon la tradition salésienne) suivaient les prières du soir récitées dans la grande chapelle par les trois communautés rassemblées (prêtres, théologiens et philosophes : environ 200 en tout), portaient sur des questions et des événements conciliaires. Parfois encore, l’un ou l’autre évêque, ou père conciliaire, était invité à nous donner une conférence.
C’était alors l’époque où l’on revenait au rite de la « concélébration eucharistique » dans l’Eglise catholique. Une période d’essai avait été proposée avant la date officielle de sa réintroduction. Une douzaine de prêtres des trois communautés résidant au PAS disaient chaque jour la messe concélébrée dans la fameuse « chambre de l’évêque ». Les autres appelaient ces prêtres et professeurs « le groupe du concile » et j’allais bien volontiers servir la messe comme servant d’autel. Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais peut-être en raison du nombre restreint, peut-être du fait du calme nécessaire à l’accomplissement des nouveaux rites, de l’intimité d’être tous réunis autour d’une grande table, il me semblait que je participais mieux à la messe. C’était déjà le prélude de la fameuse « messe conciliaire » qui m’a trouvé bien préparé et bien disposé, et dont je fus un promoteur dévoué et convaincu.
Dans la mesure de mes possibilités, j’essayais de suivre les événements conciliaires. J’étais particulièrement désireux de lire les nouveaux documents du concile et les discours du pape. 1964 fut aussi l’année de l’encyclique Ecclesiam suam. Je l’ai lue plusieurs fois, cherchant à me plonger dans la pensée du pape Paul VI et dans son impatience d’ouvrir l’Eglise à tous. Il présentait le dialogue comme un désir et une méthode pour s’approcher de tous les hommes de bonne volonté, à partir de la situation concrète de chaque groupe ou communauté : l’Eglise catholique, les Eglises chrétiennes, le monde et tout son environnement… Il vous entraînait dans le courant du dialogue et de l’annonce, il vous poussait à marcher sur les pas de saint Paul vers tous les hommes, dépassant les mille difficultés et acceptant les défis que cela impliquait.
Les premiers documents émanant du concile portent la date du 4 décembre 1963 (Sacrosanctum Concilium, Inter Mirifica) et des 16-21 décembre 1964 (Lumen Gentium, Unitatis Redintegratio, Orientalium Ecclesiarum). Je me donnais du mal non seulement pour en avoir un exemplaire personnel, mais pour m’en procurer un autre pour tous les étudiants de notre faculté de philosophie. En cette première année de mes études, 1964-1965, nous étions en tout 47 étudiants, répartis sur trois cours. Bien qu’ignare, ou presque, en théologie (je veux dire, en théologie systématique) et dans les matières annexes, je cherchais à lire ces documents (à la couverture jaune) un par un, avec un grand intérêt. Ils étaient assez courts et cela me poussait à les lire plus d’une fois.
Ils étaient denses évidemment, et c’est pourquoi je m’efforçais de les relire tranquillement, pour en pénétrer le sens autant que je le pouvais. La relecture devenait souvent méditation, éclairée par la Bible. J’éprouvais de l’enthousiasme à les lire. J’y trouvais nouveauté, beauté, réflexion, pratique, points de méditation et de vie. Et je m’étonnais que mes compagnons (au moins plus d’un) ne partagent pas mon enthousiasme, ne les lisent pas, ne les soulignent pas et en parlent encore moins. Ils me plaisaient tellement que j’emportais avec moi les petits livres pour en lire des passages, même lorsque j’empruntais les moyens de transport public. Je lisais avec les yeux pour parcourir les paroles, avec l’esprit pour en comprendre le sens, avec le stylo ou un crayon pour en souligner quelques phrases, avec le cœur pour m’en faire un trésor, dans la prière pour leur donner vie.
(à suivre)