Pas de conflit entre la vérité et l'amour, par le card. Burke (III)

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Congrès de la Société de droit canon du Kenya

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Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, jeudi 20 septembre 2012 (ZENIT.org) –  « L’Eglise n’a pas inventé la notion de loi naturelle », explique le cardinal Raymond Burke, mais elle croit que l’homme peut, par la raison, connaître « la fin propre des personnes et des choses » et « agir en conséquence ».

Il recommande que « la compréhension de la capacité de l’homme à atteindre la vérité doit être source d’inspiration dans la formation civique et morale des enfants et des jeunes ».

Dans cette dernière partie de son discours – intitulé « Le droit au service de la justice et de la vérité » -, donné à l’Université Strathmore, au Kenya, à Nairobi, le 27 août dernier, le préfet de la Signature apostolique rappelle que l’éducation civique et morale des jeunes doit s’appuyer sur cette « capacité de l’homme à atteindre la vérité ».

(Les deux premières parties ont été publiées par Zenit les 4 septembre et 18 septembre 2012)

La loi en relation avec la vérité et la justice

 
Qu’est-ce qui fait que la loi est vraie et juste, c’est-à-dire en conformité avec la nature, donnée par Dieu, des personnes et des choses et leurs propres fins ? La réponse invariable à cette question cruciale est la loi morale naturelle. La loi naturelle énonce les principes premiers et évidents qui garantissent le réalisme et, par conséquent, la justice des lois.

La loi est plus qu’un ordre donné par le souverain ou par la volonté de la majorité. Elle a son fondement dans la vérité immuable sur nous-mêmes et sur notre monde, qui est protégée par la loi morale naturelle inscrite par Dieu dans chaque cœur humain. Seule la loi morale naturelle donne à la loi positive le fondement profond et stable dont elle a besoin et qui peut vraiment lier les individus et les communautés.

Wolfgang Waldstein a montré que la connaissance de la loi de la nature, ou de la loi naturelle, comme fondement de l’ordre juridique est évidente dans les premiers documents juridiques connus. Il en conclut : « Aussi loin que remontent nos sources concernant des problèmes juridiques, nous retrouvons une conscience claire du fait que l’homme se trouve dans un ordre juridique qui n’est pas produit par l’homme lui-même, mais qui fait partie de la création du monde. » [xxx]

En citant les sources antiques, par exemple Cicéron, Waldstein réfute la fausse affirmation selon laquelle le concept de la loi naturelle repose sur le fameux « sophisme naturaliste », montrant que cette allégation « part du présupposé positiviste que la nature n’est que réalité matérielle ». [xxxi] Réfléchissant aux effets de cette fausse allégation, avancée non seulement par des théoriciens du droit mais aussi par certains théologiens moralistes, Waldstein cite un passage de la lettre encyclique du pape Jean-Paul II, Evangelium vitae, qui concerne particulièrement le service de la vérité et la justice au cœur du droit : « Lorsque, à cause d’un tragique obscurcissement de la conscience collective, le scepticisme en viendrait à mettre en doute jusqu’aux principes fondamentaux de la loi morale, c’est le système démocratique qui serait ébranlé dans ses fondements, réduit à un simple mécanisme de régulation empirique d’intérêts divers et opposés. » [xxxii]

La loi naturelle exprime l’ordre métaphysique qui peut être, qui a été et qui est connu par l’usage de la raison humaine.

La loi naturelle exprime la fin vers laquelle doit tendre notre action pratique, si elle veut être vraie et libre. Saint Thomas d’Aquin déclare : « C’est donc le premier précepte de la loi qu’il faut faire et rechercher le bien, et éviter le mal.» [xxxiii] 

Le bien de l’homme est ce qui correspond le plus parfaitement à sa nature et à sa finalité. De ce premier précepte de la loi naturelle, saint Thomas d’Aquin en déduit immédiatement d’autres. Le premier d’entre eux, « c’est dire que tout ce qu’il faut faire ou éviter relève des préceptes de la loi naturelle ». [xxxiv]

La loi naturelle présuppose que notre observation d’actions concrètes ou de lois spécifiques, par exemple, se base sur la fin propre des personnes et des choses, et non pas sur mes buts individuels. Elle présuppose que l’homme, grâce à l’usage de sa raison, peut connaître la fin propre des personnes et des choses, et la respecter dans l’ordre politique. Voici comment saint Thomas d’Aquin décrit la relation entre la raison et la loi naturelle : « Nous avons dit précédemment que les préceptes de la loi naturelle étaient, par rapport à la raison pratique, ce que les principes premiers de la démonstration sont par rapport à la raison spéculative; les uns et les autres sont en effet des axiomes évidents par eux-mêmes » [xxxv].

La loi naturelle, par conséquent, établit une loi positive sur des principes métaphysiques tels que le bien et la liberté de l’homme, et la protège contre la tyrannie de l’intérêt personnel et des buts individuels.

Mgr Robert Sokolowski traite de la relation entre la loi naturelle et l’enseignement qu’en donne l’Église. Souvent, en Europe et aux États-Unis d’Amérique, la doctrine de la loi naturelle est rejetée comme une tentative par telle ou telle confession religieuse d’imposer ses croyances confessionnelles sur la population. Sokolowski nous rappelle que l’enseignement de la loi naturelle dans l’Écriture sainte ne détruit pas sa « visibilité naturelle » à la raison humaine. [xxxvi] En d’autres termes, l’Eglise n’a pas inventé la notion de loi naturelle. Avec perspicacité, il nous met en garde contre l’écueil qui consiste à voir la loi naturelle proclamée dans les Saintes Écritures comme l’expression des desseins de Dieu, plutôt que l’expression de l’ordre qu’il a inscrit dans la nature et dans le « cœur des hommes », comme nous l’enseigne saint Thomas Thomas d’Aquin [xxxvii]. 

L’inscription de la loi naturelle dans le cœur de l’homme signifie que l’homme, par l’usage de la raison, est destiné à connaître la vraie fin des choses et à agir en conséquence. Ce n’est pas une question de volontarisme divin. Sokolowski fait cette observation : « Je considère que lorsque Thomas d’Aquin dit que la loi naturelle est inscrite dans le cœur des hommes, il se réfère à leur capacité à atteindre la vérité que nous avons décrite quand nous avons dit que la fin naturelle des choses doit être distinguée de nos propres buts et convenances. Cette différence élémentaire, cette reconnaissance que mes buts ne sont pas tout ce qui existe, et que la façon dont nous faisons les choses n’est pas tout ce qui existe, est une manière d’être véridique que l’on atteint par le cœur qui, s’il est sain, peut dépasser les obstacles de l’impulsivité, de la médiocrité, de l’immaturité et de la perversité. [xxxviii]

La compréhension de la capacité de l’homme à atteindre la vérité doit être source d’inspiration dans la formation civique et morale des enfants et des jeunes qui, grâce à cette éducation, libérés de l’esclavage de leurs buts individuels, pourront servir leur propre bien et leur propre fin, ainsi que le bien et la fin de leurs concitoyens et de l’ordre créé.


Conclusion

Le 30 mars 2006, s’adressant aux membres du Parti populaire européen, le Pape Benoît XVI a abordé le rôle de l’Eglise dans l’ordre politique. Il a rappelé la contribution irremplaçable de l’Eglise à la démocratie en Europe, à la fois historiquement et actuellement, grâce à la formation de citoyens dans les vertus chrétiennes. Il a averti que l’élimination des chrétiens, en tant que chrétiens, de l’ordre politique se traduirait par la perte de la force que la foi chrétienn
e et sa pratique apportent à une nation ou à un organisme politique. Il a décrit le service constant de l’Église et de son enseignement à l’égard de la communauté civique.

Voici ce qu’il a déclaré : « Il ne faut pas oublier que, lorsque les Eglises et les communautés ecclésiales interviennent dans le débat public, en exprimant des réserves ou en rappelant certains principes, cela ne constitue pas une forme d’intolérance ou une interférence, car ces interventions ne visent qu’à éclairer les consciences, en les rendant capables d’agir de manière libre et responsable, conformément aux exigences véritables de la justice même si cela peut entrer en conflit avec des situations de pouvoir et d’intérêt personnel » [xxxix].

Il avait déjà présenté le même enseignement, d’une manière plus solennelle, dans sa lettre encyclique Deus caritas est, où il discute de la relation entre la justice, la politique et l’éthique.

En ce qui concerne l’implication de l’Église dans l’ordre politique, il déclare, dans Deus caritas est : « La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre. C’est là que se place la doctrine sociale catholique : elle ne veut pas conférer à l’Église un pouvoir sur l’État. Elle ne veut pas même imposer à ceux qui ne partagent pas sa foi des perspectives et des manières d’être qui lui appartiennent. Elle veut simplement contribuer à la purification de la raison et apporter sa contribution, pour faire en sorte que ce qui est juste puisse être ici et maintenant reconnu, et aussi mis en œuvre. » [Xl]

Benoît XVI dit nettement que l’enseignement social de l’Eglise « argumente à partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire à partir de ce qui est conforme à la nature de tout être humain » [xli].

 
Le pape Benoît affirme clairement aussi que les principes qu’il a énoncés « ne sont pas des vérités de foi, même si ils reçoivent un éclairage et une confirmation supplémentaire de la foi ; ils sont inscrits dans la nature humaine elle-même et ils sont donc communs à toute l’humanité. » [xlii ] La foi chrétienne ne contredit pas la raison humaine, mais lui donne l’inspiration et la force à considérer ce qui est droit et juste, avant tout, dans l’ordre politique. Robert Sokolowski observe aussi que « ce qui semblait noble et décent dans l’ordre naturel le reste, et se trouve confirmé dans sa bonté en étant impliqué dans ce nouveau contexte de grâce ». [xliii]

Il n’y a aucun doute que les lois qui régissent une nation doivent être fondées sur la raison droite, en distinguant la fin des buts, et en respectant pleinement la loi naturelle que Dieu a inscrite en chaque cœur humain. Dans la situation actuelle, le service de l’Église pour le monde exige d’elle, avant tout, d’être un témoin du fondement de l’ordre politique sur les préceptes immuables de la loi morale naturelle, que Dieu a enseignés et enseigne à tous les hommes et femmes de tous lieux et de tout temps. Dans un tel ordre politique, le droit servira réellement tout ce qui est vrai et juste.

Références :

[xxxii] “Si autem, ob omnium conscientiae miserrimam obtenebrationem, sceptica ratio in dubium prima principia quoque moralis legis devocat, ipsa democratica institutio funditus evertitur atque ad meracam machinationem redigitur, quae re diversa dissonaque commoda moderatur.” Ioannes Paulus PP. II, Litterae encyclicae Evangelium vitae, “De vitae humanae inviolabili bono,” 25 Martii 1995, Acta Apostolicae Sedis, 87 (1995), 482, n. 70. English translation: Vatican City State: Libreria Editrice Vaticana, p. 128, n. 70. It is interesting to note that the translation of the title in English is “On the Value and Inviolability of Human Life,” while a more accurate translation of the Latin title would be: “On the Inviolable Good of Human Life.”

[xxxiii] “Hoc est ergo primum praeceptum legis, quod bonum est faciendum et prosequendum, et malum vitandum.” Summa theologiae, I-IIae, q. 94, art. 2. English translation: St. Thomas Aquinas, Summa Theologica, Complete English Edition, tr. Fathers of the English Dominican Province, Westminster, Maryland: Christian Classics, 1981, Vol. 2, p. 1009.

[xxxiv] “Pertinet ad legem naturalem ea per quæ vita hominis conservatur, et contrarium impeditur.” Summa theologiae, I-IIae, q. 94, art. 2. English translation: Ibid., p. 1009.

[xxxv] “præcepta legis naturæ hoc modo se habent ad rationem practicam, sicut principia prima demonstrationum se habent ad rationem speculativam: utraque enim sunt quædam principia per se nota.” Summa theologiae, I-IIae, q. 94, art. 2. English translation: Ibid., p. 1009.

[xxxvi] Robert Sokolowski, “What Is Natural Law?: Human Purposes and Natural Ends,” in Christian Faith and Human Understanding: Studies on the Eucharist, Trinity, and the Human Person, Washington, D.C.: The Catholic University of America Press, 2006, p. 229. Cf. Wolfgang Waldstein, “The capacity of the human mind to know natural law,” p. 65.

[xxxvii] “Sed lex scripta in cordibus hominum est lex naturalis.” Summa theologiae, I-IIae, q. 94, art. 6. English translation: Ibid., p. 1012.

[xxxviii] Sokolowski, “What Is Natural Law?: Human Purposes and Ends,” pp. 230-231.

[xxxix] Benedictus PP. XVI, Allocutio “Ad Congressum a «Populari Europae Factione» provectum,” 30 Martii 2006, Acta Apostolicae Sedis, 98 (2006), 344. The allocution was delivered in English.

[xl] “Fides rationi tribuit quo melius compleat munus suum meliusque hoc quod proprium est sibi intueatur.  Hic reponitur catholica doctrina socialis: quae non vult Ecclesiae potestatem inferre in Civitatem. Neque iis qui fidem non participant imponere cupit prospectus et se gerendi modos huius proprios. Simpliciter prodesse cupit ad rationem purificandam suumque adiumentum afferre ita ut quod iustum habetur, hic et nunc agnosci ac postea ad rem perduci possit.” Benedictus PP. XVI, Litterae encyclicae Deus caritas est, “De christiano amore,” 25 Decembris 2005, Acta Apostolicae Sedis, 98 (2006), 239, n. 28. English translation: Vatican City State: Libreria Editrice Vaticana, p. 46, no. 28.

[xli] “Argumentatur initium sumens a ratione et a naturali iure, id est ab eo quod congruit naturae cuiusque personae humanae.” Ibid., 239, n. 28. English translation: Ibid., p. 46, no. 28.

[xlii] Pape Benoît XVI, Allocutio “Ad Congressum a «Populari Europae Factione» provectum,” 30 Martii 2006, Acta Apostolicae Sedis, 98 (2006), 345.

[xliii] Sokolowski, “What Is Natural Law?: Human Purposes and Natural Ends,” p. 233.

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ZENIT Staff

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