Retour de Sarajevo, par Antoine Arjakovsky (II)

Le discours de la méthode d’Andrea Riccardi

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ROME, mercredi 19 septembre 2012 (ZENIT.org) – De retour à Paris après la rencontre des Religions pour la paix de Sarajevo, Antoine Arjakovsky témoigne de ce que ce que les participants de la région et du monde ont vécu de façon poignante au cœur de la ville symbole d’une convivialité brisée par la guerre et d’une volonté de renaître dans la concorde. Un témoignage exceptionnel publié sur le blog des Bernardins et que nous publions avec l’aimable autorisation de l’auteur. L’intervention du cardinal Roger Etchegaray a été spécialement saluée par l’assemblée.

Antoine Arjakovsky est un historien orthodoxe, co-directeur du « Département de recherche Société, Liberté, Paix » du collège des Bernardins, à Paris, et dont les débuts ont été marqués par la visite de Benoît XVI en 2008.

Pour sa part, Andrea Riccardi, co-fondateur de Sant’Egidio, a accepté de présider en 2012-2014 la Chaire des Bernardins.

La première partie de ce récit a été publiée dans notre édition du 18 septembre 2012.

Retour de Sarajevo (suite et fin)

Mais venons-en à la seconde partie de ma question. Pourquoi cet esprit de Sant Egidio est-il encore si méconnu par le monde politique au-delà du Tibre ? Il faut certes rappeler le degré de reconnaissance important de Sant Egidio au Vatican et en Italie, mais aussi l’hommage appuyé à Sarajevo de Herman van Rompuy à Andrea Riccardi. Il faut signaler le travail extraordinaire réalisé en France, en particulier à Paris autour de la paroisse Notre Dame des Blancs Manteaux, par Sant Egidio grâce à l’engagement quotidien de centaines de bénévoles sous la responsabilité de Valérie Régnier. Il existe également dans plusieurs villes de France un réseau d’universitaires, de journalistes et de diplomates qui soutiennent activement depuis de nombreuses années Andrea Riccardi tels que Emile Poulat, Jean-Dominique Durand ou Pierre Morel. Et pourtant la culture française contemporaine partage un certain scepticisme à l’égard des mouvements tels que celui de Sant Egidio. Les questions posées à Andrea Riccardi par un journaliste français à Sarajevo sont assez significative de cet état d’esprit : « comment vivre ensemble après les tragédies du Rwanda ? » ; les bonnes intentions pacifiques ne masquent-elles pas sur le terrain « de réelles discriminations entre les religions ? » ; « ne peut-on pas s’interroger sur l’utilité de la présence de ces têtes d’affiche ? ».

Les réponses d’Andrea Riccardi témoignent de ce réalisme spirituel si difficile à atteindre par le monde sécularisé contemporain. Convaincu que ces questions du journaliste français sont partagées par le plus grand nombre, le ministre italien a voulu y répondre lors de son allocution inaugurale à Sarajevo. Oui, dit-il en substance, il n’est pas facile de vivre ensemble quand on est différent. Mais il s’agit de bien comprendre la source de notre unité fondamentale et la richesse de notre différence radicale. Et il faut se souvenir que l’histoire, à Sarajevo comme ailleurs, a montré que vivre ensemble dans la différence était possible. L’important selon Riccardi est que les religions, sources de cohésion les plus puissantes de l’humanité, ne se laissent pas instrumentaliser par les forces de division que sont la peur, la haine ou la jalousie. Les différences ne doivent pas être sacralisées. Les religions témoignent au contraire selon le fondateur de Sant Egidio que « seule la paix est sainte », non les identités, non les différences. « L’avenir, prévient Riccardi, va nous rendre plus proches les uns des autres géographiquement. Nous devons nous préparer à être plus proches spirituellement. Car nous sommes si différents et en même temps si semblables. Si nous réalisons cela, notre futur sera de vivre ensemble dans la paix»[1].

Certes comme il l’explique au journaliste il est bien vrai que des discriminations existent encore à Sarajevo entre les religions. Face à l’injustice et au conflit la réponse est toujours pour lui celle du soin et de la compassion. « Concernant les personnes qui disent souffrir de discriminations, je les écoute et les soutiens. » On n’accable pas celui qui est blessé. On l’aide à se relever. Mais il ne s’arrête pas à ce niveau de la réalité, il cherche à voir plus profond. Changer la réalité consiste pour l’historien italien à considérer les choses dans leur dynamique, à se réjouir des progrès, à considérer le meilleur chez autrui, à stimuler un processus d’émulation réciproque en faveur de la paix. C’est pourquoi il commence par rappeler l’essentiel : « Il est important que catholiques et orthodoxes soient unis ici pour éviter les risques d’homogénéisation de la population. De ce point de vue, la venue pour notre rassemblement de Irinej, le patriarche de l’Église orthodoxe serbe, a été un geste fort ».

J’ai été frappé par la dernière réponse d’Andrea Riccardi au journaliste français. On sent chez lui une impatience, le vif désir que la sphère médiatique occidentale, à l’image des reporters d’espoir en France, redécouvre la réalité comme un espace inachevé en attente de créativité humaine. A la question certes provocante sur « l’utilité des têtes d’affiches à Sarajevo », Riccardi hausse le ton : 

« Cela, je l’ai entendu des milliers de fois… Et je réponds : quel est le résultat de la prière ? Nul peut-être, mais que serait le monde sans la prière ? Le patriarche Athénagoras disait que la prière protège secrètement le monde. Il en va de même pour le dialogue. Nos rencontres ne sont pas des vitrines, elles constituent des avancées. Ceux qui disent qu’elles sont des vitrines sont des pessimistes, de petits esprits, incapables de vision. La vision, c’est déjà une garantie pour le futur. »

La méthode Riccardi en définitive c’est de croire que le mal est transitoire. L’Apocalypse ne promet-elle pas à l’humanité un royaume de mille ans sur la terre capable de l’emporter sur toutes les logiques de défiance et de division ? Andrea Riccardi rejoint ici tous les alter-mondialistes de la planète qui croient eux aussi qu’un autre monde est possible. Cette vision et cette espérance introduisent des comportements très particuliers, inhabituels pour une intelligence cartésienne. Dans la logique de l’Esprit on prend des risques sans cesse et on doit faire preuve de sang froid. Le mardi 11 septembre 2012 à quelques heures de la célébration finale pour la paix réunissant plusieurs centaines de chefs religions des cinq continents la présentatrice de la soirée n’était toujours pas désignée. A quelques minutes de la célébration œcuménique sur le parvis de la cathédrale catholique les participants catholiques et protestants ne savaient pas comment allait se dérouler la prière des orthodoxes. A quelques secondes du début de la célébration inter religieuse alors que le ciel grondait, les organisateurs n’avaient pas de plan B en cas d’orage. Il y a là une sagesse, une confiance et une expérience rafraîchissantes.

Andrea Riccardi a accepté de présider en 2012-2014 la Chaire des Bernardins. Ce sera l’occasion pour lui et pour ses amis de Sant Egidio de partager leur vision, leur méthode et leur expérience.

[1] http://www.santegidio.org/pageID/2460/langID/en/text/483/Speech_of_Andrea_Riccardi__Opening_Assembly.html

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ZENIT Staff

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