Propos recueillis par Mark Riedemann
Rome, mardi 13 mars (ZENIT.org) – En Afrique du sud, jusqu’à 40% de personnes sont séropositives. Pour agir contre cette pandémie, l’Eglise s’est mobilisée et, aujourd’hui, le gouvernement l’implique dans tous ses projets. « On dit que l’Eglise catholique est le plus grand pourvoyeur de soins en Afrique du sud », affirme Mgr Ponce de Leon, I.M.C., vicaire apostolique d’Ingwavuma. Cette région d’Afrique du sud détient le triste record du pourcentage le plus élevé au monde de personnes atteintes du VIH ou du sida.
Les propos de Mgr Jose Luis Ponce de Leon ont été recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission « Là où Dieu pleure », du Réseau catholique de radio et de télévision (Catholic Radio and Television Network, CRTN), en collaboration avec l’ « Aide à l’Eglise en Détresse », (AED).
Mark Riedemann – Excellence, vous êtes né à Buenos Aires, en Argentine, en 1961. Quand avez-vous su que vous vouliez être prêtre ?
Mgr J. L. Ponce de Leon – J’avais 18 ans quand j’ai connu les Missionnaires de la Consolata avec le groupe de jeunes auquel j’appartenais. En rencontrant ces missionnaires, nous avons découvert quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant, le travail missionnaire de l’Eglise. J’ai commencé alors à envisager la possibilité de devenir missionnaire laïc. C’était en avril, un dimanche, et nous priions pour les vocations et je ne sais pour quelle raison je me revois dans ma chambre, me demandant si Dieu ne m’appelait pas à être, non pas missionnaire laïc, mais prêtre. Mon appel était une sorte de « package » : être religieux, prêtre, et prêtre missionnaire : les trois ensemble.
Comment cela s’est-il passé pour vous – un Latino-américain arrivant en Afrique ? Quel a été le plus grand défi que vous ayez dû surmonter ?
Vous savez, on dit que c’est plus facile pour les gens d’Amérique du sud d’aller en Afrique à cause de notre facilité de contact. Le défi vient probablement du fait que nous n’avons pas de ressources financières qui suivent et nous ne pouvons pas écrire chez nous, à des organisations dans nos pays ou à des personnes que nous connaissons pour leur demander de nous aider financièrement, à moins d’avoir étudié ou travaillé en Europe ou en Amérique du nord. L’autre défi, à l’arrivée, était d’être un blanc dans le contexte de la fin de l’apartheid. L’Eglise catholique ne représente que 4% de la population et la plupart des gens ne savaient pas que j’étais prêtre. Leur première impression était que j’étais un blanc, quelqu’un qui avait du pouvoir, de l’argent et qui faisait partie de ceux qui dirigeaient tout jusqu’à hier en Afrique du sud.
Il y a donc eu une méfiance instinctive ?
Au début, oui, mais heureusement, la première chose que j’ai faite et que je fais encore, c’est de dire quelques mots en zoulou, et cela change tout.
Votre premier diocèse, en Afrique du sud, a été Dundee et, comme vous l’avez évoqué, vous avez appris le zoulou. Vous êtes devenu citoyen sud-africain. Vous êtes ici chez vous maintenant ?
Oui. Quand j’ai rejoint les Missionnaires de la Consolata, je n’avais jamais pensé aller dans un autre pays pour quelques années seulement. Pour moi, c’était pour la vie. Mais ensuite, on m’a envoyé à Rome. Un an plus tard, je suis devenu secrétaire général des Missionnaires de la Consolata. J’ai cru que c’était fini, que je ne retournerais jamais en Afrique du sud… jusqu’au jour où j’ai reçu ce drôle de coup de fil du nonce apostolique en Afrique du sud, qui m’a dit : « Félicitations ! le pape vous a nommé évêque d’Ingwavuma ».
Et vous avez dit oui ?
J’étais très troublé. Vous savez, je suis très favorable à la formation d’une Eglise locale, avec ses prêtres et ses évêques locaux. J’étais un religieux, un étranger dans un contexte zoulou ; cela n’avait pas de sens, et en même temps je me suis dit : « Bon, c’est un vicariat, pas un diocèse. Il y a du travail à faire pour que cela devienne un diocèse, c’est peut-être pour cela que l’on m’appelle ici, étant missionnaire de la Consolata ; nous sommes donc ici pour développer l’Eglise locale et partir ensuite ailleurs ».
C’est une belle région, mais c’est aussi une zone très éprouvée. L’Afrique du sud a un des taux de sida les plus élevés au monde et je crois que votre secteur est le plus touché de tout le pays. Comment travaillez-vous dans ce contexte ?
J’ai découvert cette région à cause de Hlabisa, où se trouve la cathédrale. C’est connu pour être la zone du monde avec le plus haut pourcentage de personnes malades du sida, mais je ne savais pas où c’était. Plus tard, je me suis retrouvé là dans la cathédrale, et je crois réellement que la conférence des évêques a eu une très bonne idée en 2000 lorsqu’ils ont décidé de coordonner tous les projets de Pretoria, Khanya House, et du bureau principal de la Conférence catholique d’Afrique du sud à Pretoria, parce que c’était une pandémie et cela aurait été extrêmement difficile pour chacun de nous de gérer seul ce que nous faisons aujourd’hui.
Quel est le chiffre qui est avancé dans la province du KwaZulu Natal ?
Dans notre coin, on parle de 30 à 40 % de personnes séropositives ; cela veut dire qu’il n’y a pas une famille qui ne soit pas affectée par cette pandémie. Je me souviens qu’il y a quelques années, le maire d’une ville parlait d’une personne sur trois ; il avait l’habitude de dire : « Regardez à votre gauche, et maintenant regardez à votre droite : l’un de vous est positif ». C’est aussi simple que cela. En plus, cela affecte des personnes entre 15 et 40 ans. En 2000, j’avais 40 ans, et dans la mission où je travaillais, 50% des personnes que j’ai enterrées étaient plus jeunes que moi. On ne disait pas : « Nous trouvons que beaucoup de personnes meurent ». Nous savions que les gens mouraient et nous savions aussi qu’ils étaient très jeunes.
Quelle est la réponse à ce problème ?
La réponse, c’est l’éducation. Le gouvernement a choisi la politique « Abstinence, Fidélité, Préservatif » (en anglais, ABC : Abstain, Be Faithful, Condom, ndlr). Dans la pratique, c’était « Préservatif, Fidélité, Abstinence » (CBA). Et cela ne marchait pas. La pandémie n’a pas été stoppée et le gouvernement a commencé à se demander ce qui n’allait pas. Certains pensaient avoir la solution au problème de la pandémie du sida en Afrique du sud, comme s’il y avait une réponse facile à cette pandémie. Je dis aux gens : « Venez et restez quelque temps en Afrique du sud, et alors vous comprendrez que c’est un problème difficile et que les raisons pour lesquelles la pandémie continue sont nombreuses.
Est-ce que le gouvernement se penche à nouveau sur ce programme ?
Oui, et maintenant le gouvernement implique toujours l’Eglise dans ses projets. On dit que l’Eglise catholique est le plus grand pourvoyeur de soins en Afrique du sud. Nous sommes des pionniers sur de nombreux plans. Là où le gouvernement avait du mal à prendre des décisions ou à appliquer des mesures, l’Eglise catholique a agi. Nous avons vu que le traitement antirétroviral était essentiel pour nous et que nous ne pouvions pas nous l’offrir. Alors le consortium AIDS Relief est venu à notre secours et c’est ainsi que nous avons commencé.
De quoi avez-vous le plus besoin, aujourd’hui, en Afrique du sud ?
Je crois que, dans notre cas particulier, c’est toujours la question du VIH. Ma plus gran
de crainte est la suivante : le traitement antirétroviral est excellent. Dans mon vicariat, en zone rurale, nous avons même deux conteneurs maritimes qui ont été transformés en un laboratoire de tests sanguins. Nous assurons le suivi des patients du vicariat, ce qui nous évite d’avoir à envoyer leur sang à Johannesburg pour savoir ce qui se passe.
La paroisse est donc devenu un hôpital, une clinique ?
Tout se fait ici ; nous prenons totalement en charge la personne. Et nous avons vu que les personnes mourantes sont capables de retrouver leur dignité. Elles se remettent debout. Elles réussissent à retourner travailler pour pourvoir aux besoins de leur famille. Mais le traitement antirétroviral ne fait que prolonger la vie et uniquement dans la mesure où nous pouvons fournir le médicament ; et c’est cela ma plus grande crainte, d’être à court d’argent et de ne plus pouvoir soutenir les gens. Il ne s’agit pas seulement des malades, mais aussi de leur famille. C’est toute une génération, l’avenir de ce pays, et nous devons assurer leur scolarité pour qu’ils puissent se tourner avec espérance vers le futur et préparer leur avenir. C’est fondamental pour nous.
[Traduction de Zenit, Hélène Ginabat]