ROME, mardi 6 mars 2012 (ZENIT.org) – « Aimer les autres, c’est en particulier soulager leurs souffrances. Mais il faut être réaliste, cela ne supprimera pas la souffrance », explique le P. Louis Menvielle, official de la Congrégation pour le Clergé, et vice-postulateur de la cause de béatification du P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus (au siècle, Henri Grialou, 1894-1967), Carme français, fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie.
Voici le troisième volet de cet entretien pour approfondir ce que signifie le carême à l’école du P. Marie-Eugène (cf. Zenit du 4 mars 2012, pour le premier volet, et Zenit du 5 mars 2012, pour le deuxième).
Zenit – Mais l’humilité, c’est difficile. On a l’impression que cela nous dépasse parfois. Qu’est-ce qu’en dit le Père Marie-Eugène ?
P. Louis Menvielle – Je vous cite cette phrase si encourageante de Je veux voir Dieu : « Le pauvre, conscient de sa misère, tend la main. L’orgueilleux qui voit son orgueil doit se faire mendiant de la lumière de vérité qui crée l’humilité, et sa prière doit se faire d’autant plus instante que l’orgueil est plus grand et que l’humilité est le fondement et la condition de tout progrès spirituel. (…) L’orgueil qui a pris l’habitude de supplier humblement fait jaillir de lui-même une source de lumière et de vie » (p. 359).
Vous disiez que l’ascèse a deux buts. Vous avez expliqué le premier qui est la conversion. Quel est le deuxième ?
C’est la fécondité de l’union à Jésus dans sa Passion. Si le carême nous prépare à Pâques, nous n’y arriverons qu’en passant par la Semaine Sainte. Notre société contemporaine a raison de vouloir éliminer la souffrance, ou du moins la soulager : c’est ce qu’a fait le bon samaritain de l’Evangile, il est le modèle choisi par Jésus pour concrétiser l’amour du prochain. Aimer les autres, c’est en particulier soulager leurs souffrances. Mais il faut être réaliste, cela ne supprimera pas la souffrance. Elle une composante de notre condition et nous sommes ou nous serons tous confrontés à la souffrance avant de connaître la mort. Comment vivre cela ? L’Evangile de Jean est impressionnant sur ce point : Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son Fils pour qu’il aime jusqu’au bout. « J’aime le Père… je vous ai aimés… ». Et Jésus n’a pas évité ce qui nous angoisse tant : la souffrance et la mort. Au lieu de les supprimer, il les a « fécondées » en en faisant le lieu de son plus grand amour, pour le Père et pour nous. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (n. 2606) commente ainsi le dernier « grand cri » de Jésus quand « il expire en livrant son esprit » : « Toutes les détresses de l’humanité de tous les temps, esclave du péché et de la mort, toutes les demandes et les intercessions de l’histoire du salut sont recueillies dans ce Cri du Verbe incarné. Voici que le Père les accueille et, au-delà de toute espérance, les exauce en ressuscitant son Fils » et en nous unissant à lui dans l’espérance de notre propre résurrection. Dans sa souffrance et dans sa mort vécues jusqu’à l’extrême de l’amour pour son Père et chacun de nous, Jésus présente au Père toutes les détresses de l’humanité. Ces détresses, présentées par le Christ, sont accueillies par le Père qui les retourne en don de l’Esprit dès aujourd’hui et en promesse de résurrection pour demain. C’est là notre espérance, c’est là aussi notre mission, si bien manifestée par le sacrement des malades qui donne aux malades la mission et la grâce de s’unir au Christ pour présenter au Père « toutes les détresses de l’humanité » et obtenir que l’Esprit renouvelle la face de la terre.
Comment le Père Marie-Eugène a-t-il vécu la souffrance ?
Le Père Marie-Eugène était un vivant, il n’avait rien de doloriste, il soignait les malades avec un amour paternel et aujourd’hui il obtient de Dieu la guérison d’un certain nombre. Comme Jésus qui guérissait aussi, cela ne l’empêchait pas d’avoir des paroles très fortes sur la fécondité de la souffrance vécue dans la foi et dans l’amour, dans l’antinomie de la présence comblante de Dieu au milieu de la souffrance qui vous taraude. Je pense en particulier à cette confidence, à la fin de sa vie, alors qu’il venait de subir des examens médicaux, longs et douloureux : « J’ai fait oraison pendant tout le temps, sur la table. J’étais avec l’Esprit Saint. On me demandait si je n’avais pas mal, sur cette table. Bien sûr que j’avais mal, à la colonne vertébrale, partout, mais ça ne comptait pas. J’étais avec la Trinité Sainte. Le temps ne m’a pas paru long… Dès que je me mets en oraison, l’Esprit Saint est là. Je trouve le Père, le Fils, toute la Trinité Sainte est là. Quand je mourrai, ce sera les yeux ouverts, je ne verrai pas autre chose que ce que je vois maintenant dans la foi. Comment voulez-vous que je ne sois pas heureux avec tout cela, quelles que soient mes souffrances. Cette joie surprend tout le monde, elle est normale ». Oui, cela surprend, et pourtant les saints nous assurent que « c’est normal ». Antinomies de la souffrance et de la fécondité, mystère insondable, terrible mais incontournable, où nous sommes appelés à devenir, comme le Christ, avec le Christ et dans le Christ, louange du Père, sauveur du monde… semences pour notre résurrection et celle de nos frères.
Pour aller plus loin, par exemple : « Thérèse docteur racontée par le père Marie-Eugène de l’E.-J. »,Tome 1 : « Histoire d’un thérésien », Tome 2 : « Les clefs de la petite voie », par le P. Louis Menvielle.