ROME, lundi 5 mars 2012 (ZENIT.org) – Que dirait le P. Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, ocd, à propos de la prière, que le carême invite à intensifier ? Que « la prière doit à la fois s’enraciner dans la vie et déboucher dans la vie, sinon elle n’est pas authentique », explique le P. Louis Menvielle, official de la Congrégation pour le Clergé, et vice-postulateur de la cause de béatification du Carme français, fondateur de l’Institut Notre-Dame de Vie. Voici le deuxième des trois volets de cet entretien pour approfondir ce que signifie le carême à l’école du P. Marie-Eugène (cf. Zenit du 4 mars 2012 pour le premier volet).
Zenit – Donc on fait un bon carême si on prie et si on lit quelque chose sur Jésus?
P. Louis Menvielle – C’est déjà pas mal. Mais la prière doit à la fois s’enraciner dans la vie et déboucher dans la vie, sinon elle n’est pas authentique. Rappelons-nous l’avertissement de saint Jean : « Celui qui dit aimer Dieu et qui n’aime pas son frère est un menteur » (1 Jean 4, 20). La prière est un lieu de croissance de l’amour. Cet amour doit ensuite s’exprimer dans le concret. Et inversement l’amour qui grandit dans la vie quotidienne me permet d’aimer plus profondément dans la prière. L’amour est la synthèse de la vie chrétienne. Le Père Marie-Eugène insistait beaucoup sur l’importance de l’amour, seul moteur vraiment efficace de la croissance vers la sainteté. L’amour en-dehors de la prière prend essentiellement deux formes : l’amour dans le devoir d’état et l’amour des autres. L’amour dans le devoir d’état, c’est ce que saint Paul demande aux Colossiens : « Quoi que vous fassiez, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur » (3, 23) : faire les choses le mieux possible, honnêtement, avec conscience ; et les faire comme pour le Seigneur, en sa présence, pour le servir. C’était l’attitude de Marie à Nazareth qui faisait tout avec amour, pour Jésus et en sa présence. On voit bien de quoi il s’agit dans le travail professionnel ou dans la vie familiale. On voit aussi toutes les exigences que recouvre l’amour des autres : la fidélité conjugale, la délicatesse dans l’amour, l’attention aux autres, le temps « perdu » pour eux, l’implication dans l’éducation, le pardon (qui est peut-être l’exigence la plus difficile mais la plus urgente dans les familles et au travail), etc. Pour les prêtres, on parle de charité pastorale : c’est l’amour du Christ que le prêtre met dans tous les actes de son ministère. Et comme l’amour ne se limite pas aux « 35 heures », la charité pastorale, dans le fond, c’est l’amour que le prêtre uni au Christ met dans tous les actes de sa vie, du matin au soir et du soir au matin, précisément pour devenir amour, reflet de Dieu. Cet amour là est inséparablement amour du ministère et amour des autres. Si vous voulez voir dans Je veux voir Dieu ce qui est dit sur l’amour, il faudrait bien sûr tout lire, mais il y a un développement plus spécifique dans le dernier chapitre.
Vous parlez du Carême et vous n’avez pas encore employé le mot « sacrifice ».
La vie chrétienne, la vie évangélique, la croissance vers la sainteté ne peuvent pas faire abstraction de la Croix. Ou alors, il ne s’agit pas de la vie « en Christ », étant donné que je ne participe à sa résurrection qu’en espérance. Les maîtres spirituels n’ont pas peur du mot « ascèse » et le Père Marie-Eugène y a consacré tout un chapitre dans son livre. L’ascèse a deux buts : apprendre à dominer mes passions, à purifier les tendances mauvaises qui m’habitent, faire en sorte que mon esprit soit maître de mon corps pour pouvoir se mettre lui-même au service de l’Esprit de Dieu ; c’est le premier aspect, celui qui touche à la conversion personnelle. Nous commençons le carême par cette proclamation de Jésus : « Le Royaume de Dieu est tout proche: repentez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1, 15). Evidemment, la grande question est de découvrir sur quel point nous devons nous convertir. La connaissance de soi est à la base de la vie chrétienne. Quand je découvre des points qui ne sont pas conformes à l’Evangile, je dois m’y atteler avec ardeur et courage, mais aussi avec réalisme, conscient de ma faiblesse, et donc à la fois résolu dans ma volonté de conversion et mendiant de la grâce de Dieu, en particulier celle de la confession, pour qu’elle me donne la lumière et la force de sortir de mes ornières et de ne pas m’arrêter dans la croissance. « La grande preuve de sainteté d’une âme, disait le Père Marie-Eugène, ce n’est pas qu’elle n’ait pas de tentations, ou de lassitude, mais non. C’est qu’elle réagisse et remonte de-là vers Dieu ». Il faut pour cela beaucoup d’humilité, et voilà peut-être le point crucial de l’ascèse aujourd’hui.
Pourquoi ?
Le carême est un temps de pénitence où nous maitrisons notre corps, comme dit la liturgie, en particulier par le jeûne et l’abstinence. Ce point est incontournable, tous les saints l’ont mis en pratique et enseigné. Il ne doit cependant pas occulter une urgence de conversion, peut-être plus caractéristique de notre époque : le siècle des lumières et les progrès techniques nous ont convaincus de la grandeur de notre intelligence personnelle. Et même si l’échec des grandes idéologies et les blessures de la vie ont largement émoussé l’intelligence de l’humanité et, bien souvent, l’estime que nous avons de nous-mêmes, il reste dans le cœur de l’homme cet orgueil de la raison qui cite à son tribunal tout ce qu’il entend, tout ce qu’il voit, tout ce qui se dit, Dieu lui-même. Apprendre à devenir des enfants humbles et confiants devant Dieu, vivant dans la vérité de notre être à la fois magnifique et blessé, tel est le grand programme d’ « ascèse » que le Père Marie-Eugène, dans la ligne de la petite Thérèse, présente dans les chapitres de Je veux voir Dieu sur l’ascèse et sur l’humilité. Grandir dans l’amour et dans l’humilité en regardant le Christ, voilà un beau programme de carême !
(à suivre, demain, mardi 7 mars 2012, pour le troisième volet)