ROME, lundi 27 février 2012 (ZENIT.org) – Le pape Benoît XVI a présidé la messe des Cendres, mercredi, 22 février, en la basilique Sainte-Sabine, première « station » de carême, à Rome (cf. Zenit du 23 février 2012). Il a proposé une méditation à partir du signe concret des cendres, de la poussière.
Homélie de Benoît XVI
Vénérés Frères, chers frères et sœurs,
Par cette journée de pénitence et de jeûne du mercredi des cendres, nous commençons un chemin nouveau vers la Pâque de la résurrection : c’est le chemin du carême. Je voudrais m’arrêter un instant pour réfléchir sur le signe liturgique de la cendre, ce signe matériel, cet élément de la nature qui devient, dans la liturgie, un symbole sacré, très important en ce jour où commence notre itinéraire de carême. Autrefois, dans la culture juive, il était courant de se répandre des cendres sur la tête en signe de pénitence, et on y associait souvent l’usage de se revêtir de sacs ou de haillons. Pour nous, chrétiens, il n’y a que ce moment unique mais qui a une très grande importance rituelle et spirituelle.
La cendre est avant tout un de ces signes matériels qui font entrer le cosmos dans la liturgie. Parmi ceux-ci, les signes principaux sont évidemment ceux des sacrements : l’eau, l’huile, le pain et le vin, qui deviennent véritable matière sacramentelle, instrument par lequel se communique la grâce du Christ qui vient jusqu’à nous. La cendre, en revanche, est un signe non sacramentel, mais toujours lié à la prière et à la sanctification du peuple chrétien : en effet, une bénédiction spécifique des cendres – que nous ferons tout à l’heure -, avec deux possibilités de formules, est prévue, avant l’imposition individuelle des cendres sur la tête. Dans la prière, les cendres sont définies comme un « symbole austère » ; dans la seconde, on invoque directement sur elles la bénédiction, en faisant référence au texte du Livre de la Genèse, qui peut aussi accompagner le geste de l’imposition : « Car tu es poussière et tu retourneras à la poussière » (Gn 3, 19).
Arrêtons-nous un moment sur ce passage de la Genèse. Il conclut le jugement prononcé par Dieu après le péché originel : Dieu maudit le serpent qui a fait tomber l’homme et la femme dans le péché ; puis il punit la femme en lui annonçant les douleurs de l’enfantement et une relation déséquilibrée avec son mari ; enfin, il punit l’homme, lui annonce la fatigue liée au travail et il maudit le sol. « Maudit soit le sol à cause de toi » (Gn 3, 17), à cause de ton péché. L’homme et la femme ne sont donc pas maudits directement comme l’est le serpent, mais à cause du péché d’Adam, c’est le sol, d’où a été tiré Adam, qui est maudit. Relisons le magnifique récit de la création de l’homme à partir de la terre : « Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé » (Gn 2, 7-8).
Voici donc que le signe de la cendre nous ramène à la grande fresque de la création, où il est dit que l’être humain est une unité singulière de matière et de souffle divin, à travers l’image de la poussière du sol modelée par Dieu et animée par son souffle, qui est insufflé dans les narines de la nouvelle créature. Nous pouvons observer comment, dans le récit de la Genèse, le symbole de la poussière subit une transformation négative à cause du péché. Avant la chute, le sol est une potentialité totalement bonne, irriguée par un flux (Gn 2,6) et capable, par l’action de Dieu, de faire pousser « toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger » (Gn 2, 9) ; en revanche, après la chute et la malédiction divine qui s’ensuit, il produira « épines et chardons » et n’accordera ses fruits à l’homme qu’en échange de « peine » et de « la sueur de [son] visage » (Gn 3, 17-18). La poussière de la terre ne rappelle plus le geste créateur de Dieu, tout ouvert à la vie, mais devient le signe d’un destin de mort inexorable : « Car tu es poussière et tu retourneras à la poussière » (Gen 3, 19).
Il est évident, dans le texte biblique, que la terre participe à la destinée de l’homme. A ce sujet, saint Jean Chrysostome dit dans une des ses homélies : « Observons comment le péché de l’homme a changé pour lui toutes les conditions premières de la vie » (Homélies sur la Genèse 17, 9). Cette malédiction du sol a une fonction médicinale pour l’homme qui, du fait des « résistances » que lui oppose la terre, devrait être aidé à se maintenir à l’intérieur de ses propres limites et à reconnaître sa propre nature (cf. ibid). C’est ainsi que s’exprime, dans une belle synthèse, un autre commentaire ancien : « Adam avait été créé pur par Dieu, pour le servir, et les autres créatures lui avaient été données pour son service. Il avait été établi en effet, seigneur et roi de toutes les créatures. Mais quand la parole maligne s’approcha de lui et s’entretint avec lui, il ne l’accueillit d’abord qu’extérieurement, par l’ouïe, puis elle pénétra en lui par son cœur et s’empara de toute sa substance. Quand il fut réduit en captivité, toute la création qui le servait et lui était soumise, devint captive avec lui » (Pseudo-Macaire, Homélies 11, 5).
Nous venons de dire, en citant Chrysostome, que la malédiction du sol a une fonction « médicinale ». Cela signifie que l’intention de Dieu, qui est toujours bénéfique, est plus profonde que sa malédiction. En effet, celle-ci est due non à Dieu mais au péché, cependant Dieu ne peut pas ne pas l’infliger, parce qu’elle respecte la liberté de l’homme et ses conséquences, mêmes négatives. Et donc, à l’intérieur de la punition, et aussi à l’intérieur de la malédiction du sol, il reste une intention bonne qui vient de Dieu. Quand il dit à l’homme : « Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise », en même temps qu’une juste punition, il désire aussi annoncer une voie de salut, qui passera justement à travers la terre, à travers cette « poussière », cette « chair » qui sera assumée par le Verbe. C’est dans cette perspective salvifique que la parole de la Genèse est reprise par la liturgie du mercredi des cendres : comme une invitation à la pénitence, à l’humilité, à garder présente notre condition mortelle, non pour tomber dans le désespoir, mais au contraire pour accueillir, justement dans notre condition mortelle, l’incroyable proximité de Dieu qui, au-delà de la mort, ouvre un passage vers la résurrection, vers le paradis enfin retrouvé. Un texte d’Origène nous oriente dans ce sens : « Ce qui, à l’origine était chair, de la terre, un homme de poussière (cf. 1 Co 15,47), et qui a été dissout par la mort, et de nouveau fait poussière et cendre – en effet, il est écrit : tu es poussière et tu retourneras à la poussière – est ressuscité de nouveau à partir de la terre. Ensuite, selon les mérites de l’âme qui habite le corps, la personne progresse vers la gloire dans un corps spirituel » (Traité des Principes, 3, 6, 5 : Sch, 268, 248)
Les « mérites de l’âme » dont parle Origène, sont nécessaires ; mais les mérites du Christ sont fondamentaux, ils sont l’efficacité de son mystère pascal. Saint Paul nous en a offert une formulation synthétique dans la seconde lecture : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5, 21). La possibilité du pardon pour nous dépend essentiellement du fait que Dieu lui-même, dans l
a personne de son Fils, a voulu partager notre condition, mais sans la corruption du péché. Et le Père l’a ressuscité par la puissance de son Esprit-Saint et Jésus, nouvel Adam, est devenu « esprit vivifiant » (1 Co 15, 45), prémices de la nouvelle création. Le même Esprit, qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, peut transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair (Cf. Ez 36, 26). Nous l’avons évoqué tout à l’heure avec le psaume du Miserere : « Dieu, crée pour moi un cœur pur, restaure en moi un esprit ferme ; ne me repousse pas loin de ta face, ne m’enlève pas ton esprit de sainteté » (Ps 50 12-13). Ce Dieu qui a chassé nos premiers parents de l’Eden, a envoyé son propre Fils sur notre terre dévastée par le péché, il ne l’a pas épargné, afin que nous, les enfants prodigues, nous puissions revenir, repentants et rachetés par sa miséricorde, dans notre vraie patrie. Qu’il en soit ainsi pour chacun de nous, pour tous les croyants, pour tous les hommes qui reconnaissent humblement qu’ils ont besoin d’être sauvés. Amen.
© Libreria Editrice Vaticana – 2012
Traduction de ZENIT, par Hélène Ginabat