ROME, Vendredi 25 décembre 2009 (ZENIT.org) – Une maison du temps de Jésus vient d’être découverte à Nazareth (cf. Zenit du 20 décembre) à l’endroit où l’Association « Marie de Nazareth » est actuellement en train de construire un centre international multimédia consacré à Marie. Pour mieux comprendre le contexte de cette découverte et ses enjeux, ZENIT a interviewé Olivier Bonnassies, directeur exécutif de l’Association.
ZENIT – L’annonce, par les archéologues israéliens de l’Israël Antiquities Authority, de la découverte d’une maison du temps de Jésus à Nazareth a fait le tour du monde. Dans quel contexte cela s’est-il produit ?
O. Bonnassies – L’Association Marie de Nazareth que nous avons créée en France en mai 2001 construit en ce moment le Centre international Marie de Nazareth, qui proposera bientôt aux pèlerins, aux touristes et aux habitants de la Terre Sainte, de découvrir le mystère de la Mère de Dieu et l’ensemble de la foi chrétienne à partir de parcours multimédias modernes. Nous avons pour cela acheté 3 bâtiments en face de la Basilique de l’Annonciation, au cœur de Nazareth, et 2 autres bâtiments, de l’ancienne école Saint Joseph, sont loués aux Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition. La cour de cette ancienne école a été creusée d’environ 3 mètres pour les travaux actuellement en cours, et les ouvriers sont tombés sur des murs anciens. Les travaux ont donc été stoppés et les archéologues israéliens sont alors intervenus.
ZENIT – Comment se sont déroulées les fouilles ?
O. Bonnassies – Elles se sont faites à nos frais, sous la direction de M. Dror Barshod, directeur du District Nord de l’Israël Antiquities Authority. La responsable des fouilles, Yardenna Alexandre, et son équipe, ont commencé par fouiller un premier carré de 10 mètres de côté environ en septembre 2009. Comme les résultats se sont révélés très intéressants, un deuxième carré a été dégagé, entre novembre et décembre 2009. Yardenna est une grande spécialiste qui a travaillé dans la plupart des derniers chantiers de Galilée et ses conclusions ont été validées par le P. Eugenio Alliata, qui est le meilleur spécialiste franciscain, ainsi que par le P. Frédéric Manns, du Studium Biblicum Franciscanum, qui suit aussi les choses de très près. Aujourd’hui, après avoir pris conseil auprès d’eux, nous envisageons évidemment de poursuivre les recherches sur les autres parties de la cour d’entrée, pour dégager un autre des murs de la maison, mais nous allons attendre la saison sèche, pour faire les choses dans les meilleures conditions. Ce sera plus facile pour trouver des monnaies ou d’autres céramiques.
ZENIT – Qu’est-ce qui a été découvert sur place ?
O. Bonnassies – Le plus intéressant est d’avoir retrouvé un grand nombre de poteries et de céramiques qui datent toutes de la période hellénistique (entre -300 et -67 avant Jésus-Christ) et de la période romaine tardive (de -67 au 1er siècle après Jésus-Christ), ainsi que les restes des murs d’une maison composée de plusieurs petites pièces et d’une cour, qui date aussi de la période hellénistique et de la période romaine tardive. Très intéressants aussi les ustensiles de cuisine en pierre retrouvés, caractéristiques des familles juives pieuses à cause des règles de pureté rituelles (cf. Traité Mishna Kelim). Il y avait déjà de nombreux éléments à Nazareth pour attester de l’existence de cette petite ville juive au temps du Christ, mais on n’avait jusqu’ici jamais découvert les restes d’une maison. Et celle-ci est située à 100 mètres à peine du lieu de l’Annonciation !
ZENIT – Ces découvertes se situent en effet en un lieu spécialement bien placé !
O. Bonnassies – C’est quelque chose que nous n’avions pas remarqué tout de suite, mais le futur Centre international Marie de Nazareth sera situé au centre d’un tout petit quadrilatère d’à peine 300 mètres de côté, qui définit, selon la Tradition, le cœur du cadre de vie historique de la vie de Jésus et de la Sainte Famille, pendant trente ans à Nazareth : entre la maison de Marie, l’atelier de Joseph, la Synagogue, et le Tombeau du Juste, souvent aussi attribué à Joseph.
ZENIT – Pouvez-vous décrire rapidement ces lieux et les découvertes archéologiques qui y ont été faites ?
O. Bonnassies – Le plus important lieu de Nazareth est évidemment la grotte de l’Annonciation, creusée dans la roche, qui est, selon la grande Tradition de l’Eglise, le lieu de l’annonce de l’Ange Gabriel à la Vierge Marie. C’est au dessus de ce lieu saint qu’est construite la Basilique de l’Annonciation, au cœur de Nazareth et de son mystère. « L’Ange entra chez elle » dit l’Evangile. La maison de Marie s’appuyait avec trois murs sur cette roche, comme beaucoup d’habitation de Galilée, et comme la maison qui vient d’être découverte : les parties creusées dans la roche, « bâties sur le roc » comme dit l’Evangile, sont solides, fraîches l’été et tempérées l’hiver. Mais les départs de murs qu’on voit creusés dans la roche ont été vidés. On a retrouvé aussi une dizaine de citernes creusées dans la roche dans ce périmètre, ce qui prouve le souci de toujours d’économiser et de bien utiliser l’eau. Le niveau du premier siècle est visible jusqu’à l’extérieur de la Basilique. Le P. Bagatti, qui a conduit les fouilles pour les franciscains dans les années 60 a publié deux ouvrages sur les découvertes de Nazareth. On a retrouvé là des céramiques du 1er siècle en petit nombre et beaucoup d’autres du III° siècle. Le numéro du Monde de la Bible consacré à Nazareth résume bien tout cela.
ZENIT – Et quels sont les autres éléments archéologiques retrouvés à 100 mètres de là, sous l’Eglise Saint Joseph ?
O. Bonnassies – On a retrouvé sous l’Eglise Saint Joseph des bains rituels pas faciles à dater mais certainement très anciens. Une tradition orale attribue ce lieu à Saint Joseph, parce que ce serait l’atelier de Joseph. Cela peut paraître léger mais il faut vraiment se garder de mépriser les traditions orales locales. Mgr Marcuzzo, évêque latin à Nazareth, qui accompagne le projet « Marie de Nazareth » nous rappelle souvent que ces traditions sont très sérieuses et qu’elles n’ont jamais été prises en défaut par l’archéologie. Au contraire, les découvertes archéologiques les ont toujours confortées.
ZENIT – Y a-t-il des exemples ?
O. Bonnassies – Il y en a un très beau, à Nazareth même : lorsque les Sœurs de Nazareth se sont installées ici au XIX° siècle, elles ont acheté un terrain qui était connu localement comme celui du « Tombeau du Juste », mais aucun élément ne pouvait laisser penser à la vérité de cette tradition. Les Sœurs croyaient même qu’on leur disait cela simplement pour leur faire payer le terrain plus cher ! Mais quelques dizaines d’années plus tard, une sœur qui travaillait le sol a vu celui-ci se dérober sous elle et elle est tombée d’un étage, découvrant une cavité, qui s’est révélée de l’époque croisée. Les chercheurs alertés se sont mis à creuser et à fouiller parce que les éléments croisés sont le plus souvent construit sur des ruines byzantines, qui elles-mêmes sont bâties sur des éléments importants du 1er siècle. Les découvertes locales que l’on peut aujourd’hui visiter (en demandant aux Sœurs de Nazareth !) ont été vraiment impressionnantes et 4 niveaux ont été dégagés, avec des maisons, des citernes, des mikvés (bains rituels) et une voie romaine au dessous de laquelle, au plus bas, se trouve un magnifique tombeau princier du 1er siècle, creusé dans la roche et fermé avec une pierre à rouler. Il y
avait bien ici un « Tombeau du Juste » et ce tombeau pourrait très bien être celui de Joseph, le Juste (Mt 1,19), digne d’un prince de la maison royale de David. On y a retrouvé aussi des céramiques du 1er siècle.
ZENIT – Comment en être sûr ?
O. Bonnassies – Il n’y a pas de preuves formelles, mais le début du projet « Marie de Nazareth » a commencé par une prière à Saint Joseph sur le Tombeau du Juste, et elle a été immédiatement exaucée ! Ce Tombeau est le troisième côté du quadrilatère.
ZENIT – Et quel est le quatrième ?
O. Bonnassies – La Synagogue de Jésus, à côté de laquelle se trouve l’Eglise Melkite. L’édifice que nous voyons aujourd’hui date de la fin du XVIII° siècle, et il n’y a eu aucunes fouilles en ce lieu, mais il y a une tradition. C’est ici qu’on se souvient que Jésus priait à la Synagogue et qu’elle représentait aussi un lieu très important pour lui, comme sa maison, son atelier de travail et le Tombeau de son père putatif. Le Centre marial que nous construisons aura la grâce de se situer au beau milieu de ces quatre lieux de vénération de la mémoire du Christ et de sa Mère, au cœur du mystère de Nazareth. Il faut se souvenir de l’homélie marquante de Paul VI, en 1964, qui est restée ici dans toutes les mémoires : « Nazareth est l‘école où l’on commence à comprendre la vie de Jésus : l’école de l’Evangile. Ici, on apprend à regarder, à écouter, à méditer (…). Oh, comme nous voudrions redevenir enfant et nous remettre à cette humble école de Nazareth, comme nous voudrions, près de Marie, recommencer à acquérir la vraie science de la vie et la sagesse supérieure des vérités divines ! Mais nous ne faisons que passer. Il nous faut laisser ce désir de poursuivre ici l’éducation, jamais achevée, à l’intelligence de l’Evangile, mais nous ne partirons pas sans avoir recueilli à la hâte et comme à la dérobée, quelques brèves leçons de Nazareth. Leçons de silence, de vie familiale, de prière, de travail » (le 5 janvier 1964)
ZENIT – Jésus a donc connu la maison qui a été découverte ?
O. Bonnassies – Jésus a passé ici l’essentiel des trente premières années de sa vie, comme l’Evangile l’atteste. On ne peut pas imaginer un seul instant qu’il n’ait pas parfaitement connu cette maison située si près de ses lieux de vie. Jésus, Marie et Joseph ont connu cette maison.
ZENIT – Quelles sont les autres découvertes faites à l’occasion de ces fouilles ?
O. Bonnassies – Lorsque nous avons commencé les travaux du Centre marial, on nous avait signalé une citerne creusée dans la roche à 50 m de la cour de l’école. Nous en avons trouvé deux autres, dont une très grande, de 7 mètres de haut et de 4 mètres de large. Les archéologues israéliens en ont trouvé une autre, qui n’est pas encore totalement dégagée, et à côté de laquelle se trouve un trou taillé dans la roche, sans doute pour poser les jarres qu’on remplissait d’eau.
Il y a aussi une cachette, creusée dans la roche, qu’on a retrouvé dissimulée sous une pierre taillée, et entièrement vide. On peut y mettre 5 à 6 personnes.
Enfin, en plus des restes de la période hellénistique et romaine, il y a un épais mur mamelouk du XV° siècle, moins intéressant sur le plan archéologique, qui sera peut-être enlevé.
ZENIT – Y a-t-il d’autres lieux remarquables à Nazareth sur le plan archéologique ?
O. Bonnassies – En dehors des 5 lieux dont nous venons de parler, qui sont tous dans le périmètre proche du Lieu saint de l’Annonciation, il y a un autre lieu très antique : c’est la Fontaine de Nazareth, située à 500 mètres de la maison de Marie, vers le nord. On pense que le village antique s’étalait entre ces deux lieux : de la Fontaine au Tombeau du Juste, car les tombeaux étaient à l’extérieur des villes, pour des raisons de pureté rituelle. La Fontaine date certainement aussi du temps du Christ : les fouilles réalisées en l’an 2000 en ce lieu ont permis de retrouver un « cardo », une voie romaine, qui passe à côté. Une très belle Eglise orthodoxe est bâtie sur ce lieu où une tradition évoque une première rencontre de la Vierge avec l’Ange Gabriel, avant l’Annonciation.
ZENIT – Y a-t-il autre chose encore ?
O. Bonnassies – Oui, il y a beaucoup de choses à Nazareth. Il faut aussi signaler la découverte à partir de 2003 de thermes d’une taille impressionnante, à 4,5 m en dessous du sol, à 50 mètres de la Fontaine. Les céramiques et monnaies retrouvées sont arabes et musulmanes, comme aux thermes de Jéricho de l’époque Omeyyade, qui imitent les thermes romains de Bet Shéan, avec des hypocaustes différents. On peut les dater du 7° ou 8° siècle mais la taille des fours à bois confirme qu’il y avait depuis les origines et jusqu’à cette époque de très grandes forêts autour de Nazareth, pour permettre le chauffage régulier de si grandes quantités d’eau. Ces forêts ont disparu à l’époque moderne, à cause d’un impôt sur les arbres imposé par un Sultan et de coupes systématiques pour alimenter les chemins de fer. Tout cela a changé en quelques décennies le climat et l’environnement qui est devenu désertique et rocailleux, mais il faut se représenter la Nazareth antique d’une toute autre manière. Comme un pays où vraiment « ruisselle le lait et le miel » comme dit la Bible. C’était le grenier d’Israël avec une terre très fertile. L’historien juif Flavius Josèphe, en témoigne dans sa relation de la Guerre des juifs : « La Galilée est, dans toute son étendue, grasse, riche en pâturages, plantée d’arbres variés, sa fécondité encourage même les plus paresseux à l’agriculture. Aussi le sol a-t-il été mis en valeur tout entier par les habitants : aucune parcelle n’est restée en friche. Il y a beaucoup de villes, et les bourgades mêmes sont si abondamment peuplées, grâce à la fertilité du sol, que la moindre d’entre elles compte encore quinze mille habitants » (Guerre des juifs 3,42-43)
ZENIT – Ce n’est pas l’idée qu’on se fait de Nazareth et de la Terre Sainte aujourd’hui !
O. Bonnassies – Nous nous faisons beaucoup de fausses idées ! Par exemple, dans l’Evangile, Nazareth est toujours appelée une ville, du grec « Polis », et non un village, du grec « Komé « , ce qui suppose déjà une certaine taille, entre 50 et 100 maisons d’après les estimations. Autre exemple, au niveau de la topographie : si les collines n’ont sans doute pas beaucoup bougé dans leur forme générale, la route qui longe la Basilique de l’Annonciation était jusqu’au XVIII° siècle un ravin dans lequel coulait un petit ruisseau. Autre idée reçue à corriger : tous les restes du 1er siècle retrouvés ici comme à Jérusalem montrent la qualité des constructions, des pierres taillées, des objets, qui sont la marque d’une civilisation très accomplie, loin des caricatures que l’on en fait parfois dans les images ou dans les films, qui montrent le peuple de Jésus et de Marie vivant comme des primitifs dans des taudis à peine construits ou dans la saleté.
ZENIT – Quel est le cœur du mystère de Nazareth ?
O. Bonnassies – Il faut venir le découvrir sur place, le demander aux habitants ou à la Sœur de l’accueil du couvent des Clarisses de Nazareth, qui en parle magnifiquement ! On peut dire avec elle que Dieu a choisi un lieu tout simple. Lorsqu’elle était jeune fille, et fiancée à Joseph, la Vierge Marie vivait heureuse, à Nazareth, dans cette petite ville de campagne, loin du monde, et sans autre désir qu’une vie très simple, sous le regard de Dieu, à l’écoute de sa Parole. Elle aurait été très heureuse de vivre toute sa vie ainsi, très simplement, à Nazareth, dans la prière, l’attente du Messie et la méditation des promesses faites à son Peuple. Mais Dieu l’a choisie, entre toutes les femmes, pour son projet éterne
l. C’est en cet humble lieu de Nazareth qu’il a voulu que se réalise l’attente de tous les siècles. C’est ici que l’Eternel a voulu entrer dans le temps et changer le cours de l’Histoire des hommes. Et c’est au Oui de Marie à son Oui qu’Il a voulu suspendre tout le salut du monde.
ZENIT – Nazareth reste donc à visiter ?
O. Bonnassies – Oui, c’est la ville de l’Incarnation, là où il y a le plus de chrétiens en Terre Sainte. Lors du dernier voyage du Saint Père Benoît XVI en Terre Sainte, c’est à Nazareth qu’il y a eu le plus grand engouement populaire et la joie la plus enthousiaste, parce que Nazareth est la ville de Terre Sainte où les chrétiens sont les plus nombreux, les plus présents et les plus vivants. Jean-Paul II lors de son passage en l’an 2000 avait fait aussi de sa visite à Nazareth, le 25 mars, le sommet de son pèlerinage, puisque le grand Jubilé célébrait le 2000ème anniversaire de l’Incarnation, ici, à Nazareth, dans le sein de la Vierge Marie. Comme Charles de Foucauld, nous avons tous besoin de revenir à Nazareth et d’y demeurer, pour grandir avec Jésus, entre Marie et Joseph, dans la simplicité, l’humilité et la louange.
ZENIT – Et où en est le projet Marie de Nazareth ?
O. Bonnassies – Le Centre international Marie de Nazareth devrait ouvrir ses portes fin 2010, mais la chapelle qui est située au sommet, sur les terrasses, avec une vue imprenable sur la Basilique, sera consacrée dès le 25 mars 2010, par le Patriarche Latin de Jérusalem, Mgr Fouad Twal accompagné de plusieurs évêques de Terre Sainte. C’est une manière de continuer à tout confier d’abord à la Providence de Dieu parce qu’il faudra encore beaucoup d’efforts et beaucoup de travail pour tout terminer !