ROME, Lundi 14 décembre 2009 (ZENIT.org) - « Pourquoi le pape a mauvaise presse » : les éditions DDB ont osé ce titre pour le livre d'entretiens de Bernard Lecomte avec l'éditeur Marc Leboucher. Bernard Lecomte qui a bien voulu expliquer aux lecteurs de Zenit son analyse - en douze chapitres à lire dans l'ordre que l'on préfère ! - du rapport du pape et des media. Un livre récemment cité à la une de L'Osservatore Romano en italien dans un éditorial du directeur Giovanni Maria Vian. ZENIT - Dans son introduction, Marc Leboucher parle de l'année 2009 comme d'une « annus horribilis », pourquoi ?   Bernard Lecomte - Les premiers mois de 2009 ont été marqués par trois grosses affaires médiatiques : l'affaire Williamson, le drame de la fillette de Recife et la « petite phrase » papale sur le préservatif dans l'avion du Cameroun. Chacun de ces événements était désolant, mais, si j'ose dire, ordinaire : l'histoire de l'Eglise fourmille de malentendus ou de maladresses médiatiques ! C'est la succession de ces tempêtes médiatiques, leur accumulation, qui a gravement dégradé l'image du pape Benoît XVI et troublé le monde catholique, particulièrement en France. Et c'est ce qui m'a poussé à écrire ce livre. ZENIT - Mais le pape Ratzinger, qui frappe par sa douceur et son attention aux personnes - loin du Panzerkardinal que d'aucuns avaient annoncé -, n'a-t-il pas au contraire conquis les foules par cette délicatesse qui ne s'impose pas, cette intelligence aiguë et puissante qui sait faire comprendre aux simples des choses pourtant complexes ? Pour les Allemands, il reste même un « méridional » (son accent le trahit) et un « spontané », et ceux qui l'approchent, les grands et les petits, se sentent écoutés, reconnus : quel paradoxe ! Bernard Lecomte - Le pape Ratzinger, quand il a été élu, avait l'image plutôt sévère, sans doute injuste, de l'ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi qu'il avait été pendant deux décennies. Son voyage en France, en septembre 2008, fut une réussite et eut pour effet positif, chez nous, de redresser cette image. Mais les « affaires » de ce début d'année, en trois mois, en ont fait un personnage archaïque, conservateur et insensible aux détresses de ce monde. C'est ce renversement d'image qu'il fallait contribuer à expliquer et à corriger. ZENIT - Les dysfonctionnements de la communication (discours de Ratisbonne, incompréhension sur la levée des excommunications, prise de position dans l'avion du Cameroun, que vous analysez dans des chapitres séparés) viennent donc selon vous d'abord du milieu auquel le pape s'adresse ?   Bernard Lecomte - La plus importante cause de ces dysfonctionnements, c'est l'évolution des media dans nos sociétés occidentales, qui privilégient tout ce qui est spectaculaire, certes, mais qui tendent surtout à expulser de la scène publique tout ce qui est religieux, à plus forte raison ce qui touche l'Eglise catholique, et encore plus nettement ce qui concerne le Saint-Père. Les journalistes d'aujourd'hui sont simplistes, binaires, ils n'ont plus aucune culture religieuse, et ils traitent par la dérision tout ce qui est institutionnel ou moral - à plus forte raison le pape. Le fond de l'affaire, c'est que les media, fidèles reflets des sociétés contemporaines, passent leur temps à valoriser le pouvoir, à sacraliser le sexe et à adorer l'argent, alors que le message du pape et de l'Eglise va exactement à l'encontre de ce triptyque ! ZENIT - On a aussi reproché à l'Eglise de ne pas savoir communiquer... de ne pas savoir « s'adapter » à son auditoire... Bernard Lecomte - Les torts sont partagés, en effet. Si l'évolution des media est désolante, l'Eglise doit néanmoins en tenir compte, et s'adapter à la rapidité, l'immédiateté, la mondialisation de l'information, surtout depuis l'essor planétaire d'Internet. Beaucoup d'hommes d'Eglise en sont convaincus, mais il reste nombre de cardinaux ou d'évêques persuadés que « le temps de l'Eglise n'est pas celui des media ». Certes, il n'est pas question que l'Eglise se plie aux modes et aux tendances d'un monde relativiste et changeant, mais il lui faut bien utiliser les media tels qu'ils sont, dans un monde réel, pour faire passer l'annonce l'Evangile ! ZENIT - Vous consacrez un chapitre à Pie XII, pourquoi ?   Bernard Lecomte - Parce que Pie XII a connu, lui aussi, un étonnant renversement d'image. Jusqu'en 1963, il était considéré comme un grand pape, y compris dans le monde juif, et personne ne le traitait alors d'antisémite ou de pronazi. J'ai voulu expliquer, minutieusement, comment la pièce du jeune allemand Hochhut Le Vicaire, en 1963, a brisé ce consensus au point que Pie XII est devenu quarante ans plus tard, dans les media européens, une sorte de « bouc émissaire » de cette période. Il ne s'agit pas pour moi d'occulter le débat sur les « silences » de Pie XII, débat qui est légitime, mais de revenir à la réalité historique. Or les fantasmes médiatiques, politiques et idéologiques ont délibérément occulté, aujourd'hui, cette réalité historique ! ZENIT - En somme, Benoît XVI n'a pas le monopole d'une communication difficile : Pie XII donc (à titre posthume), Paul VI et Humane Vitae, mais aussi Jean-Paul II (sa colère pour défendre la famille !), ont aussi eu leur part de « mauvaise presse » ?   Bernard Lecomte - Bien entendu. On a tort d'opposer, sur ce terrain, le pape Jean-Paul II, ancien comédien et journaliste, champion de la communication, maîtrisant très bien micros et caméras, et Benoît XVI, l'ancien professeur habitué aux amphithéâtres, qui n'aime pas la foule, etc : les deux hommes sont différents, c'est certain, mais il ne faudrait pas oublier que Jean-Paul II a été, lui aussi, victime de nombreux scandales médiatiques : je rappelle, dans Pourquoi le pape a mauvaise presse, les audiences accordées à Yasser Arafat ou Kurt Waldheim, l'affaire du carmel d'Auschwitz, les canonisations du P. Kolbe ou d'Edith Stein, la nomination de Jean-Marie Lustiger à Paris, sans parler de ce qu'il disait, lui aussi, sur la famille, la contraception ou l'avortement ! ZENIT - Ce qui est en cause, ce n'est pas seulement « l'image » du pape ou l'annonce de l'Evangile. Ces « ratés » de la communication provoquent une vraie souffrance chez les catholiques. Quel serait le remède ? Que les catholiques adoptent une attitude de veille critique face aux informations qui leur parviennent et croisent plusieurs sources avant de se faire une opinion ?   Bernard Lecomte - Il faudrait d'abord, je crois, que les responsables des media fassent preuve d'un peu plus de respect et de considération pour le chef spirituel de quelque 1,3 milliard de fidèles. Il faudrait aussi que les porte-parole de l'Eglise, notamment les responsables de la Curie et les évêques en général, dialoguent franchement avec les journalistes tels qu'ils sont, avec leurs faiblesses et leurs défauts, voire, parfois, leur hostilité. Je connais bien les media, je connais bien les hommes d'Eglise : prôner un peu plus de respect entre les uns et les autres est-il si utopique ? (*) Bernard Lecomte : Pourquoi le pape a mauvaise presse (entretiens avec Marc Leboucher). Desclée de Brouwer, 2009. Propos recueillis par Anita S. Bourdin