La laïcité française permet des relations pacifiées entre l’Eglise et l’Etat

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Entretien avec Mgr Valdrini, professeur de droit canonique à l’Université pontificale du Latran

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ROME, Dimanche 15 novembre 2009 (ZENIT.org) – La question de la relation entre les Etats (ou les institutions supra-nationales) et l’Église est aujourd’hui clairement posée en Europe. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la place des crucifix dans les écoles italienne a mis un coup de projecteur sur ces relations parfois tendues. Le jour même de la publication de ce jugement, des députés français rendaient public leur rapport sur les relations entre la France et le Saint-Siège, où ils soulignaient la perte d’influence de la France auprès de la curie romaine. Au sein une démocratie laïque comme la France, l’opinion exprimée par les parlementaires peut sembler surprenante. Mgr Patrick Valdrini, professeur de droit canonique à l’Université pontificale du Latran, nous donne son appréciation sur la laïcité telle qu’elle est vécue en France aujourd’hui.

Zenit – Monseigneur Valdrini, pouvez-vous nous dire ce qu’est la laïcité française aujourd’hui ?

Mgr Valdrini – La laïcité française se définit d’abord par la neutralité de l’État. L’État est absolument libre par rapport aux religions, ce qui, historiquement, est relativement nouveau. Il n’y a pas de religion privilégiée en France et donc celui-ci accepte le pluralisme des religions. Par ailleurs, dans l’État français, les religions sont absolument libres, sauf à respecter l’ordre public. Ce qui aujourd’hui définit le mieux la laïcité française, c’est donc cette double liberté, exprimée par un homme politique au moment de la séparation en 1905. Il disait : « des Églises libres dans un État libre ».

Zenit – Comment est née cette laïcité, et comment s’est-elle structurée ?

Mgr Valdrini – Elle a une double origine : une source philosophique et une source politique. La source philosophique, c’est le 18ème siècle français, avec notamment les philosophes qui ont revendiqué un statut de citoyen libre par rapport à la foi. On pouvait être citoyen en France et être athée. Voilà qui explique d’ailleurs pourquoi un des terrains de combat de la laïcité a été l’école et l’enseignement de la morale. On promouvait une morale qui ne se référait pas à la religion.

Et puis la laïcité française a aussi des racines politiques. Dans les cadres juridiques et politiques précédant la séparation des Églises et de l’État en 1905, l’État s’intéressait à la nomination des évêques, à la gestion des biens, au statut d’institutions ecclésiastiques comme les écoles qui étaient sous la juridiction de l’Église ou le statut des universités catholiques. C’était un combat entre Français républicains, et donc contre l’Église, et des Français qui se disaient favorables au pape et donc pour l’Église. La liberté et de l’État et de l’Église a été une solution politique.

Zenit – Est ce qu’on peut imaginer qu’aujourd’hui, on soit arrivé, suite à deux cents ans d’histoire après la révolution française, à une espèce d’équilibre en France ?

Mgr Valdrini – Un équilibre, oui ! Je pense à ce propos que le Conseil d’État a joué un très grand rôle dans l’application concrète de la loi de 1905. Le droit a été un terrain de pacification. Aujourd’hui, malheureusement ou providentiellement disent certains, l’Islam est venu changer les données du problème. Providentiellement, disent-ils, parce que cela a permis de préciser un certain nombre d’éléments de la laïcité française. Ainsi quand le président de la république, Mr Sarkozy, est venu au Latran, il a développé le concept de laïcité positive. Or c’est un concept qui était né avant et que, paradoxalement, la recherche d’un statut pour l’Islam en France a favorisé. Par exemple le Ministre Jean Pierre Chevènement avait déjà parlé de laïcité positive. Dès lors, la laïcité « non-positive » paraissait une sorte de laïcité en creux et faisait que les Églises pouvaient vivre librement à l’intérieur d’un pays mais sans avoir d’autres registres d’action et d’explication que le registre privé. Voici que tout à coup la laïcité est dite positive. Dans cette nouvelle manière de la comprendre, on dit que les Églises peuvent avoir une importance dans le débat social, avec des points de vue, par exemple sur l’éthique, sur la morale ou sur tout autre sujet que l’État peut prendre en compte.

Zenit – Comment l’Église de France vit-elle cette laïcité aujourd’hui ?

Mgr Valdrini – Personnellement, je trouve qu’elle vit très bien cette laïcité. Nous parlons de la laïcité, mais il faudrait aussi parler de la société qui est considérablement sécularisée. Or, dans cette société où l’Église en France trouve de mieux en mieux sa place, elle a une parole très libre. Nous l’avons vu récemment et le voyons encore, avec le débat sur la bioéthique, où l’Église catholique a joué et joue encore un rôle essentiel, voire d’animation du débat politique, avec une approche du thème tout à fait originale et spécifique que n’avaient pas ou n’ont pas les hommes politiques.

Zenit – Cette conception de la laïcité permet-elle vraiment une expression libre de l’Église dans la société ?

Mgr Valdrini – Oui, encore une fois, parce qu’elle est totalement libre pour le faire et, en plus de cela, elle a des références pour parler. Par exemple la dernière encyclique du pape, Caritas in Veritate, est une référence pour les évêques. Comme d’ailleurs ce qu’on appelle la doctrine sociale de l’Église. Ainsi, tout ce que l’Église de France dit en matière d’éthique, que ce soit éthique personnelle ou éthique sociale, elle le tire du patrimoine de l’Église Catholique, qu’elle exprime dans ses termes et en tenant compte des circonstances nouvelles de lieu et de temps.

Zenit – Et est-ce qu’elle est écoutée dans ces prises de position ?

Mgr Valdrini – Écoutée, c’est un autre problème. Mais je reviens encore à l’exemple du débat sur la bioéthique : tout le monde a été étonné par l’intérêt qu’a suscité la Parole de l’Église. Parce qu’elle a su le faire intelligemment, c’est à dire en travaillant ses dossiers, pas seulement sous l’angle de l’affirmation de principes, mais étudiant ceux-ci dans leurs rapport aux circonstances.  Face à des dossiers qui sont difficiles en France, l’euthanasie, le diagnostique prénatal ou d’autres questions de ce genre, l’Église a fait un vrai travail de réflexion et sa contribution au débat est apparue essentielle !

Zenit – Finalement, la laïcité à la française pourrait-elle être, aujourd’hui, un modèle pour les autres états européens dans la gestion de leurs rapports avec les églises ?

Mgr Valdrini – Un modèle, c’est beaucoup dire. En effet, en Europe, les Églises ont des statuts très différents. La laïcité est affirmée comme une neutralité de l’État mais de manière diverse en raison de la tradition, de l’histoire, ou de l’identité même des peuples, comme on voit en Italie avec l’affaire du crucifix. Il y a contestation de la décision de la Cour européenne de Strasbourg parce que les gens au nom de leur culture propre n’acceptent pas qu’on retire les crucifix des écoles ou bien des tribunaux. Alors qu’en France c’est un problème qui ne se pose pas du tout. Ce qui montre bien que chaque pays a une identité que doit respecter la laïcité.

Mais je pense toutefois que la France peut être une référence positivement et négativement. Positivement, parce que nous avons parlé de liberté et je crois que c’est un modèle de pouvoir parler librement dans une société. Négativement, parce qu’il y a un lourd passé historique en France qui fait que l’Église a toujours des problèmes avec ses institutions ecclésiales, ainsi celles qui ont une activité menée avec un caractère propre comme les écoles ou les universités catholiques. Il n’est pas touj
ours facile de vivre dans la laïcité en France.

Propos recueillis par Stéphane Lemessin

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ZENIT Staff

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